Lettre 1658 : Pierre Bayle à François Pinsson des Riolles
A Rotterdam le 24 e de fevrier 1705
Je vous suis infiniment obligé, Monsieur, de la bonté que vous • continuez d’avoir pour moi, et dont vous m’avez donné de nouvelles marques dans votre lettre du 16 e du courant [1] que Mr de Lorme libraire d’Amsterdam [2] me fit tenir avant hier. Je lui envoie cette reponse qu’il mettra sous son couvert la premiere fois qu’il ecrira à Mr Boudot [3]. Vous ap[p]rendrez en meme tem[p]s la reponse au memoire inséré dans votre lettre touchant le voiage de Mr Misson [4]. Je l’ai copié pour l’envoier à Mr de Lorme et l’ai prié de repondre tout ce qu’il faut. Je vous ren[d]s mille graces de la peine que vous avez dejà prise et que vous voulez prendre encore de chercher les 3 livres que j’ai demandez. Celui que vous avez dejà trouvé, savoir Euphormionis Lusinini Satyricon cum continuatione [5] n’est pas du nombre de ces trois là. Celui pour qui je fais chercher le Censura / Euphormionis [et le] Censura censuræ Euphormionis [a déjà le] precedent, et en a même fait une traduction allemande qu’il veut publier accompagnée d’un commentaire sur tous les endroits dif[f]iciles, et d’une clef beaucoup plus ample et plus seure que tout ce qui a deja paru [6]. Je lui ai prêté la version francoise qu’un certain Beraud en publia à Paris avec quelques notes et une clef environ l’an 1640 [7].
Je viens de recevoir par la poste de ce matin une lettre de notre ami Mr de Larroque datée du 16 e de ce mois [8]. Je vous prie d’avoir la bonté de lui faire mes complimen[t]s, et de l’asseurer que j’aurai l’honneur de lui repondre dès que j’aurai quelques nouveautez lit[t]eraires à lui mander. Elles sont sterïles en ce païs ci autant qu’ailleurs. Il aura pu voir dans l’Histoire des ouvrages des savans, quartier de juillet 1704, qui paroit depuis 3 sepmaines que j’ai repondu à ce que Mr Le Clerc avoit remarqué contre moi dans le 5 e volume de la Bibliothèque ch[oisie] [9]. Mr / de Larroque me temoigne qu’il me croit obligé à repondre à cela. J’ai repondu en meme tem[p]s et dans le meme memoire inseré dans l’Histoire des ouvrages des savans à l’auteur du livre sur la nature du mal [10]. J’envoiai ce memoire à Mr l’abbé Du Bos dès qu’il fut imprimé [11], et le priai de le communiquer aux amis, et nommement au R.P. Dom François Lami [12] qui a eu la generosité de témoigner à l’auteur de ce livre-là qu’il ne me rendoit point justice. Je viens d’ap[p]rendre que Mr l’abbé Du Bos suit à Venise le nouvel ambassadeur Mr l’abbé de Pompon[n]e [13]. Il passe ici pour l’auteur des Interets de l’Angleterre mal entendus [14], et du Manifeste du duc de Bavière [15].
Les lettres que le P[ère] Quesnel sous le nom de l’abbé Verax a publiées contre l’ordonnance de Mr de Cambrai au sujet du cas de conscience [16] sont très fortes, et très capables d’embar[r]asser. On s’imagine que le prélat ne demeurera pas sans repartie [17]. Mais me voilà au bout du papier, ne me restant que la place necessaire pour vous asseurer que je suis avec tout l’attachement possible mon cher Monsieur votre etc.
Mr Leers vous saluë et doit vous ecrire au premier jour
A Monsieur / Monsieur Pinsson des Rioles / Avocat en Parlement / A Paris •
Notes :
[1] Nous ne connaissons que deux lettres de Pinsson des Riolles, datant toutes deux de l’année 1686 (Lettre 501 et 603). La dernière lettre de Bayle à Pinsson qui nous soit connue est celle du 20 août 1702 (Lettre 1576) : de nombreuses lettres ont dû se perdre et, au-delà des indications données dans la présente lettre, nous ne saurions identifier les livres dont il s’agit.
[2] Sur Jean-Louis Morissard de Lorme, imprimeur d’Amsterdam, voir Lettre 1607, n.1.
[3] Jean Boudot (1651 ?-1706), imprimeur ordinaire du roi et de l’Académie des sciences (1701), directeur de l’imprimerie du prince des Dombes à Trévoux (1699). Voir Jean-Dominique Mellot et E. Queval, Répertoire d’imprimeurs/libraires (vers 1500-vers 1810) (Paris 2004), p.92.
[4] François-Maximilien Misson (?-1722), réfugié à Londres, avait fait publier un ouvrage de son frère Henry Misson de Valbourg, Mémoires et observations faites par un voyageur en Angleterre (La Haye 1698, 12°) ; il s’agit ici sans doute des Remarques historiques et critiques faites dans un voyage d’Italie en Hollande dans l’année 1704. Avec une relation des différends qui partagent aujourd’hui les catholiques romains dans les Pays-Bas de ce dernier, qui devaient paraître deux ans plus tard (s.l. 1707, 12°) ; le fait que Bayle prenne contact avec l’imprimeur amstellodamois Jean-Louis Morissard de Lorme à propos de cet ouvrage donne peut-être une indication quant au lieu de sa publication ; il devait être recensé dans les Mémoires de Trévoux, juin 1707, art. LXX, p.965-985.
[5] John Barclay (1582-1621), Euphormionis Lusini sive Ioannis Barclaii Satyricon partes quinque cum clavi : Accessit conspiratio Anglicana Icon animorum (Parisiis 1605-1610, 12° ; Lugduni Batavorum 1637, 1655, 12° ; Amstelodami 1658, 1664, 12°), suivie par Euphormionis Lusinini sive Jo. Barclaii Satyricon, nunc primum in sex partes dispertitum et notis illustratum : cum clavi ; accessit Conspiratio anglicana (Lugduni Batavorum 1674, 8°) ; voir aussi Euphormionis Lusinini Satyricon 1605-1607, trad. et éd. P. Turner (Beaconsfield 1954) ; trad. et éd. D.A. Fleming (Nieuwkoop 1973). John Barclay était une figure importante à la cour de Jacques I er d’Angleterre : la première partie de sa satire ménippééenne « contre les crimes du monde » est dédiée au roi, et la seconde à Robert Cecil,
[6] Censura Euphormionis, auctore anonymo [de Seton, Scotus]. Censura censuræ Euphormionis, auctore Petro Musnierio [Pierre Musnier] (Parisiis 1620, 12°). Nous n’avons pu découvrir une traduction allemande de cet ouvrage : le projet du correspondant inconnu de Bayle ne s’est sans doute pas réalisé.
[7] La Satyre d’Euphormion composée par Jean Barclay et mise nouvellement en françois [par Jean Bérault], avec les observations qui expliquent toutes les difficultez [...] (Paris 1640, 8°).
[8] Cette lettre de Larroque est perdue. Sur sa destruction des lettres de Bayle en sa possession, voir Lettre 902, n.10.
[9] Voir Basnage de Beauval, HOS, août 1704, art. VII : « Mémoire communiqué par Mr. Bayle pour servir de reponse à ce qui le peut interesser dans un ouvrage imprimé à Paris sur la distinction du bien et du mal, et au 4 e article du 5 e tome de la Bibliotheque choisie ». Sur cette querelle autour du livre du chartreux Alexis Gaudin, voir Lettre 1656, n. 11.
[10] Basnage de Beauval, HOS, août 1704, art. VII : le titre de l’article rend explicite la nature de cette double réponse : voir la note précédente.
[11] La dernière lettre que nous connaissions de Bayle à Dubos est celle du 15 décembre 1704 (Lettre 1650), où il fait état d’un « livre » – un exemplaire de la CPD – qu’il lui envoie et dont Dubos le remercie dans sa lettre du 5 mars 1705 (Lettre 1660) : la lettre acccompagnant le « mémoire » où il réfutait Alexis Gaudin et Jean Le Clerc a dû se perdre.
[12] Sur le bénédictin François Lamy, que Bayle connaissait de longue date, voir Lettre 645, n.1. Si c’est par une lettre adressée à Bayle – plutôt que par l’intermédiaire de Larroque – que Lamy a communiqué cette nouvelle, elle ne nous est pas parvenue.
[13] Sur la carrière diplomatique de Dubos sous l’aile de Torcy, voir A. Lombard, L’Abbé Du Bos : un initiateur de la pensée moderne (1670-1742) (Paris 1969), livre II, p.103 sqq., et J.C. Rule et B.S. Trotter, A World of paper. Louis XIV, Colbert de Torcy, and the rise of the information State (Montreal, Kingston 2014), s.v.
[14] Sur cet ouvrage de Dubos, voir Lettre 1650, n.4.
[15] Dubos, Manifeste de S.E. l’électeur de Bavière (s.l. 1704, 12°). Voir le Mercure galant, novembre 1704, p.66-176, et A. Lombard, L’Abbé Du Bos : un initiateur de la pensée moderne, p.111-117.
[16] Sur le « cas de conscience » et sur Jacques Fouillou (et non pas Pasquier Quesnel), auteur des Difficultés sur l’ordonnance et l’instruction pastorale de M. l’archevêque de Cambrai (1704), voir Lettre 1642, n.5.
[17] Fénelon avait d’abord publié une Ordonnance et instruction pastorale [...], portant condamnation d’un imprimé intitulé « Cas de conscience » (Paris 1704, 12°). Aux Difficultez de Fouillou, il devait, en effet, répondre par une Seconde instruction pastorale [...], pour éclaircir les difficultez proposées par divers écrits contre sa première instruction pastorale du 10 février 1704 (Valenciennes 1705, 12°), par une Troisième instruction pastorale [...], contenant les preuves de la tradition sur l’infaillibilité de l’Eglise touchant les textes orthodoxes ou hérétiques (Valenciennes 1705, 12°) et par une Quatrième instruction pastorale [...] où l’on prouve que c’est l’Eglise qui exige la signature du Formulaire, et qu’en exigeant cette signature elle se fonde sur l’infaillibilité qui est promise pour juger des textes dogmatiques (Valenciennes 1705, 12°).