Lettre 1020 : Jean Dufresne à Pierre Bayle
Je crois, Monsieur, que l’idée de Sedan [1] vous remettra d’abord celle de mon nom, et en meme tems l’estime singuliere que j’ay eüe pour vous, dez que j’ay decouvert votre merite ; de conseiller au presidial de Sedan, je suis devenu conseiller au parlement de Metz [2], où je n’ay pas resté long tems sans faire tout le cas de Monsieur Brodeau [3] mon confrere, que son érudition et la delicatesse de son esprit meritent, / vous connoitrés assez vous mesme ce qu’il vaut, dez que vous verrez la traduction qu’il a faite du Divorce celeste de Palavissin [4], quoyqu’il soit catolique il n’approuve pas plus que moy les dereglemens des particuliers de notre communion, ceux qui sont descris par cet autheur luy ont paru si finement exprimez qu’il souhaiteroit faire imprimer la traduction qu’il en a faite, je joins / Monsieur, mes prieres aux siennes pour que vous preniez la peine de donner vos soins à l’impression de ce livret, vous avez le goust excellent et le discernement juste, ainsy je ne vous en diray pas davantage ; la grace que je vous demande est de me conserver tousjours quelque part en vos bonnes graces et de me faire l’honneur de me croire le mesme pour vous, c’est à dire plus que je ne puis l’exprimer Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
A Monsieur / Monsieur Bayle professeur de / Philosophie et d’histoire / à Roterdam •
Notes :
[1] Bayle donna ses premiers cours à l’académie de Sedan le 11 novembre 1675 ; l’académie fut supprimée par édit royal du 14 juillet 1681.
[2] Jean Dufresne (†1709), neveu du savant Charles Dufresne, fut conseiller au bailliage et siège présidial de Sedan, puis fut reçu conseiller auditeur en la Chambre des comptes du parlement de Metz le 20 décembre 1687, et conseiller en titre en cette cour le 13 septembre 1692. Voir E. Michel, Biographie du parlement de Metz (Paris 1845), p.135.
[3] Julien Simon Brodeau d’Oiseville (1665-1702), fils d’un parlementaire parisien, fut reçu conseiller au parlement de Metz le 12 avril 1689, à seulement 23 ans, puis successivement lieutenant général au bailliage de Tours, conseiller au conseil souverain de Roussillon et conseiller au Parlement de Paris. Voir E. Michel, Biographie du parlement de Metz, p.61. Voir aussi sa lettre à Bayle du 4 décembre (Lettre 1021).
[4] Brodeau d’Oiseville, Le Divorce céleste causé par les dissolutions de l’espouse romaine, avec un dialogue entre deux gentils-hommes volontaires des ducs de Modene et Parme sur la guerre presente d’Italie contre le pape. Et dédié à la simplicité des chrestiens scrupuleux avec la vie de l’auteur. Fidèlement traduit d’italien en françois (Villefranche 1644, 12°) ; la nouvelle édition recherchée par Brodeau devait être publiée par Jean-Louis de Lorme et E. Roger (Cologne [Amsterdam] 1696, 12°). La première édition italienne avait été publiée par Ferrante Pallavicino (1615-1644) sous le titre Il divortio celeste : cagionato dalle dissolutezze della sposa Romana, e consacrato alla simplicità de’ scropolosi Christiani (Villafranca 1643, 12°) ; une suite en deux tomes fut publiée par Giovanni Gerolamo Arconati Lamberti (Regunea 1679, 12°) ; voir aussi l’édition de Ferrante Pallavicino, Libelli antipapali, éd. A. Metlica (Alessandria 2011).
