Lettre 1064 : Marie Brassard, épouse de Jacob Bayle à Pierre Bayle

A Montauban le 11 [novem]bre 1695

Monsieur mon tres cher et honnoré frere

Il n’y a que deux ou trois jours que je suis arrivée du Carla où il me faisoit bien de la peine d’aller à cause de la perte de mon mary [1] dont le souvenir [m]e fait encore souffrir beaucoup de chagrin, et celle cy est pour vous donner avis de ce que j’ay fait, je ne pris point la petite [P]auline [2] de peur que cela n’alterat sa santé veu qu’elle est gr[ac]es à Dieu fort bonne depuis sa maladie. Je ne souhaitte [r]ien au monde tant comme sa conservation, puis qu’elle vient d’un pere que j’aimois plus que moy même, j’espere que Dieu me faira la grace qu’elle nous donnera à tous deux de la satisfaction un jour. Elle est asses bien faite de corps et d’esprit, sur la lettre que mon pere m’escrivit, je partis pour voir sy je pourrois retirer le billet que j’avois fait pour prendre la somme de septante quatre livres dix neuf sols sur Paul Ribaute Noubiet [3], cependant je n’y feus pas asses à temps car on avoit compté lad[ite] somme à la veuve de Mercier, je connus fort bien qu’ils scavoient le malheur de Mr Daspe [4], et sy on eut vouleu ils pouvoient s’empecher de compter cette somme, et non pas me presser comme fit Mr Naudis [5] par ses lettres, scachant que je devois aller au Carla, je vous diray qu’en l’année 1686 que je quitta[i] le Carla apres avoir payé les debtes que nous devions[,] il ne nous resta que trois obligations la premiere est de 49lt sur Paul Lacanal [6] et la seconde de 126lt sur Lafont [7] et la troisieme de 120lt sur Pierre Cathala [8][ ;] j’ay retiré d[esdites] obligations une partie du payement pour payer lad[ite] veuve Mercier et cent livres qui me • restent en espece et il nous reste encore 135lt de ces trois / obligations[ ;] pour le loua[ge] de la maison je l’ay donné à prandre à Mr He[lie] Lourde [9] tous les ans pour le payer des 300 que nous luy devions de l’achapt d’une petite ma[is]on qui montoit 200lt et les autres 100lt venoi[en]t de reste qu’on luy devoit, pour les biens en fonds qui y restent [po]ur un premier la grande maison pour un second [l]a petite maison, dont Gafet [10] nous doit 200lt et les [in]terets qui vont à 55lt qu’il nous doit, et parce que vous souhaities que le partage ce [ sic] fit à fin que [vous] sceussies [ sic] vostre bien[,] Mr Naudis et moy aurions fait compter amicalement et auroit [ sic] trouvé à propos que la grande maison vous restat pour votre partage sy vous l’aves pour agreable, car je n[e] veux rien que ce que vous voules tant j’aime v[otr]e satisfaction et repos et il me restera à moy en partage la petite maison – et nous debvons a Mr Helie Lourde 141lt de cette petite maison, – de deux cents livres[,] les 135lt parce que Mr Naudis m’a fait passer à compte 251lt de la bibliotheque de Mr Guillamat [11] [12] avec les interets et les interets que je peus avoir receuz de ces trois petites sommes, laquelle bibliotheque et celle de mon mary que je vous ay destinée • despuis la perte de mon pauvre [mari,] laquelle bibliotheque estoit fort considerable tandis qu’il vivoit / et elle est en tres mauvais estat, et elle pleure son maistre aussy bien que moy, je n’ay point peu obtenir de Mr Naudis de m’en faire un cathalogue, je laissa[i] tous mes papiers entre ses mains quand je vins à Montauban, il y a cinq ou six ans qu’il m’ecrivit de luy envoyer une procuration ce que je fils [ sic] et il leva quelques interets et il les doit encore, Monsieur de Courbaut [13] a payé à Mr de Naudis la somme de 50lt et • à mon egard il batit fort froid. Mon cousin de Naudis a encore le billet, je vous donne avis encore que cette grande maison deperit et que Mr l’archipretre y loge et que par consequent elle sert de maison pre[s]biteralle et que la ville a donné en depot la somme de mille livres entre les mains de mon cousin de Ros [14] à ce que m’a dit Monsieur Naudis son frere[ ;] je leur dis qu’ils me feroi[en]t plaisir de faire en sorte que cette somme feut baillée pour payer un[e] debte de feu mon pauvre mary quy devoit dix huit cens livres et que vous auries la vostre hipoteque de Montauban qui est fort priviliegée qui est de l’affaire de la communauté car sy je n’eusse consigné cette somme que mes parans d’icy me firent la grace de me prester[,] on m’auroit fait decreter tout le bien de ma pauvre petite, sans compter que cela seroit un avantage pour vous car elle ne porte que 36lt et il faut payer la taille de là et les interets monteroi[en]t [à] 50lt[,] mais ils dirent qu’ils ne vouloient point venir à Montauban pour me faire decreter la maison et je feus fort surprise de leur facon de parler[.] Ainsin v[ous] voyes que chacun tire l’eau vers / son moulin, et je leur repondis que s’ils ne le vouloi[en]t pas faire de cette maniere qu’ils vous envoyassent lad[ite] somme de mil livres que je me faisois asses forte de vous la faire tenir par lettre d’eschange, mais ils n’ont vouleu entendre à aucune bonne raison[,] il est vray que nous sommes entre leurs mains, car ils ont tous nos papiers et ainsin il faut aller doucement, quand je feux au Carla ils me promirent de me preter un cheval pour m’en retourner et lorsque je feux sur mon depart quoy qu’ils en eussent à l’escuerie il n’y eut point de cheval pour moy disans que les journées estoient trop fortes et il falut que j’en louasse un et je ne leur en temoigné rien et ils me firent force complimens [...] sur le simetiere de la somme de 36lt qu’ils nous devoi[en]t et [...] Bruguieres Cabanac [15] jouit ledit simetiere y ayant fait bastir sans qu’il daigne payer lad[ite] somme de 36lt et on nous demande la somme de 13lt et les interets et je disois qu’on fit cette compensation, mais personne ne veut avoir à faire avec eux et c’est Bourgaille Duteil [16] à quy est deue cette somme de 13lt sy elle est juste, on avoit fait assigner Arabet [17] comme ayant achepté du bien, pour de [ sic] taille quy estoit deue sur led[it] bien dont je trouve la quittance[,] mais mon cousin de Naudis me fit donner quarante sols de despans[ :] jugés s’yl y a là de la justice[ ;] croyés que c’est la pure verité[.]

Notes :

[1Jacob Bayle, mort le 12 novembre 1685 dans la prison de Château-Trompette à Bordeaux.

[2Paule Bayle (1685-1706), la fille de Marie Brassard et de Jacob Bayle.

[3Sur l’affaire de Rachel Cavé, veuve Mercier, voir Lettre 961. Paul Ribaute Noubiet est sans doute un parent d’ A. Ribaute, surnommé « le tailleur » ou « le sieur du Carla », ancien intermédiaire très efficace des huguenots parisiens : voir Lettre 74, n.2. Les autres personnes citées par Marie Brassard – comme ses créditeurs – nous restent inconnues. Nous voyons ici toute la complexité de la situation financière de la veuve de Jacob Bayle, mais le manque d’informations sur les différentes transactions qu’elle mentionne nous empêche de nous en faire une idée précise.

[4M. Daspe, marchand d’Amsterdam originaire de Saverdun : voir Lettres 745, n.4, 961, 992, n.7, 1063, n.3.

[5Jean Bruguière de Naudis, le cousin des frères Bayle.

[6Nous n’avons su identifier plus précisément Paul Lacanal.

[7Un Lafon, « notaire royal », intervint dans le partage des biens de David Bayle entre Jacob Bayle et Joseph Isnard en 1675 : voir Lettre 116, appendice. Il s’agit peut-être du même notaire dans la présente lettre.

[8Nous n’avons su identifier plus précisément Pierre Cathala.

[9Un membre de la famille Lourde fut tué à la bataille de Senef : voir Lettre 66, n.17. Helie Lourde appartient certainement à la même famille.

[10Nous n’avons su identifier plus précisément ce Gafet.

[11Il s’agitsans doute de la bibliothèque de Marc-Antoine Guillemat, pasteur de Mazères.

[12Mr Guillaumat nous reste également inconnu.

[13Sur M. de Courbaut, cousin de Bayle du côté maternel, voir Lettre 627, n.3.

[14Charles Bruguière de Ros, fils d’ Anne Baluze et de François Bruguière de Ros, frère de Gaston de Bruguière et de Jean Bruguière de Naudis, était cousin germain de Jacob et de Pierre Bayle.

[15Sur Michel Bruguière de Cabanac, qui cherchait sa voie en Angleterre par le moyen d’une recommandation de la comtesse de Roye, voir Lettre 912, n.19-20.

[16Nous n’avons su identifier plus précisément cette personne.

[17M. Arabet, marchand au Carla : voir Lettre 1026, n.27.

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