Lettre 1092 : Pierre Bayle à Vincent Minutoli

[Rotterdam,] le 23 e de fevrier 1696

J’avois dessein mon tres cher Monsieur [1], de joindre à cette lettre de Mr de Waddinx-Veen [2] une longue tirade de nouvelles lit[t]éraires et autres, mais des visites à contre-tems et à quoi je ne suis pas sujet sont venues m’enlever toute la journée. Ainsi malgré moi je ne puis vous ecrire que sur le sujet principal. Je vous dirai donc que votre prompte reponse [3] extremement agreable par cet endroit-là nous a comblez de joye par tous les autres endroits qui la rendent recommandable. Je ne vous saurois exprimer la satisfaction qu’elle a donnée à Mr de Waddinx-Veen. Il se promet tant de choses de vos soins qu’il feroit partir dès aujourdui Monsieur son fils, si à cause de sa jeunesse (car il n’a pas encore 16 ans accomplis) il ne se croioit obligé d’attendre une occasion de le confier à quelques personnes accoutumées à voiager. Si une telle occasion s’offre avant le depart de nos marchan[d]s pour la foire de Francfort [4] il s’en servira, sinon il attendra à le mettre de la compagnie de ces Messieurs et vous voiez bien que cela n’est pas un fort long delai. Je lui ai dit qu’il y a tous les ans des marchans de Geneve qui vont à la meme foire, avec lesquels Mr son fils pourra aller à Geneve. Il s’agit donc mon cher Monsieur, que vous aiez la bonté de recommander à quelcun de vos amis qui ira à cette foire de prendre soin du jeune homme quand il s’en retournera. Vous nous ap[p]rendrez s’il vous plait le nom de celui à qui vous aurez recommandé cette affaire, et notre jeune homme sachant cela demandera cet ami à Francfort, et prendra ses mesures pour continuer son voiage en cette bonne compagnie.

Monsieur son père lui donnera un valet / qui s’en reviendra ici quand son jeune maitre sera arrivé à bon port, et puis on lui trouvera à Geneve un autre garcon qui le servira. On aime mieux qu’il soit servi par un valet qui ne soit pas de ce pays-cy, et Mr son père trouveroit de l’inconvenient à lui donner un camarade d’etude qui fut de ses anciennes connoissances, car deux Hollandois logez ensemble parlent toujours hollandois, et se retardent l’un l’autre dans le dessein de se dépaïser promptement et de se faconner à l’air etranger. Il veut laisser son fils aupres de vous 3 ou 4 ans et qu’il soit reçu avocat avant que de le faire voiager en Italie, France, Espagne, etc. comme je croi vous l’avoir marqué. Je vous reitere qu’on ne peut pas trouvé un plus honnete homme au monde que Mr de Waddinx-Veen ni qui prenne plus de soin de bien lever sa famille qui est assez nombreuse.

J’aurai soin de prier Mr de Beauval de s’informer des dernieres dispositions de feu Mr d’Ablancourt [5], mais je crains qu’il ne soit très mal aisé d’en ap[p]rendre des nouvelles, à cause qu’il s’est passé trop de tems depuis sa mort.

Je saluë Mr Goudet, dès que j’eus touché la petite somme [6], j’ecrivis un billet au marchand d’Amsterdam où je le priai d’en rendre compte à Mr Goudet, il y avoit meme quelque chose que je le chargeois de vous dire de ma part, c’est-à-dire des complimens de bonne amitié. Je ne lui ecrivis pas à droiture*, pour lui epargner un port de lettre.

On acheve d’imprimer la lettre M de mon Dictionnaire, c’est les 2 tiers de l’ouvrage.

Me voilà contraint de finir de peur de manquer l’heure de la poste. Je vous embrasse avec toute sorte de tendresse, et suis tout à vous. Mr Basnage vous fait mille et mille amitiez. Je vous ai dit sans doute qu’il vient de nous donner un Traité de la conscience bien long et bien beau [7].

Notes :

[1C’est le contenu de la lettre qui permet d’identifier le destinataire, puisqu’elle réplique à la réponse (perdue) de Minutoli à la lettre de Bayle du 2 février (Lettre 1080), où il demandait à Minutoli d’accueillir le fils de son protecteur Josua van Belle, seigneur de Waddinxveen.

[2La lettre de Waddinxveen que Bayle transmet à Minutoli ne nous est pas parvenue.

[3La réponse de Minutoli à la lettre de Bayle du 2 février (Lettre 1080) est perdue. Manifestement, il avait accepté d’accueillir le fils Waddinxveen.

[4La foire du livre de Francfort-sur-le-Main avait lieu au printemps et s’achevait aux environs du deuxième dimanche après Pâques.

[5Jean-Jacobé de Frémont d’Ablancourt était mort à La Haye le 18 octobre 1693 ; sur lui, voir Lettre 882, n.10.

[6Bayle avait envoyé un petit « mémoire » sur les frais qu’il avait encourus pour la diffusion du projet de paix de Goudet : voir Lettre 827, n.6. Apparemment, Goudet avait fini par honorer cette dette et Bayle l’en avait remercié : ces lettres ne nous sont pas parvenues.

[7Jacques Basnage, Traité de la conscience (Amsterdam 1696, 12°, 2 vol.) : voir Lettre 1046, n.22.

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