[Gouda, le 8 septembre 1696]

A Pierre Bayle, Rotterdam

Je suis heureux que le Basilea Sepulta soit bien arrivé [1] ; j’y aurais volontiers ajouté la seconde partie du Dierum genialium de Lomeier [2], mais ayant manqué cette occasion je l’envoie maintenant, pour que vous le rendiez à son maître. Je vous prie de me communiquer le Chevillier [3] si tant est qu’il en reste des exemplaires. Empêché par mon voyage improvisé en Gelderland [4], je n’ai pu l’acheter. Quant aux petits poèmes de Falconia Proba [5], j’avais espéré venir en parler avec vous au moment des encænia de Rotterdam [6] et cet espoir m’a abusé. Quand vous aurez achevé votre Dictionnaire, alors du moins il vous restera le temps et l’espoir de faire l’homélie de notre vieille amitié.

Ce que vous écrivez à propos des notes très érudites de votre ami sur Hiéroclès [7] me réjouit et vous devez faire tous vos efforts pour leur trouver une Lucine [8] favorable, mais seulement après me les avoir communiquées d’avance ou bien après vous être mis d’accord avec les imprimeurs pour les examiner d’abord. Mais il est nécessaire aussi de connaître les conditions exigées par le possesseur, et si elles sont équitables, je suis sûr que je trouverai quelqu’un. Les joindre aux petits poèmes de Falconia cependant, je ne crois pas que ce soit à conseiller puisque ceux-ci diffèrent visiblement de style et de langue. Vraiment ceux de Falconia Proba que vous avez réunis et qui ne sont pas minimes, j’aimerais que vous les incluiez dans la lettre, aussi facilement et exactement que possible, car plusieurs sont venus de votre part comme me l’a rappelé notre Fabre [9], qui vous en a parlé un peu plus longuement. L’endroit du périodique français que vous avez mentionné, je le regarderai aussitôt que possible. Je voudrais que vous indiquiez quelques petites choses au sujet de Jean Michel Brutus [10], si vous en connaissez quelques-unes, puisque le très éminent Cramer [11] a ordonné de les donner à la presse et de les publier ensemble.

Je cherche en vain les poèmes de Johanna Otho [12] publiés à Strasbourg, 1616, 4° et les divertissements improvisés [13] 1617, 4°, si vous ou l’un de vos amis possédez ces ouvrages, veillez à ce qu’ils arrivent promptement chez moi. Je désire très fortement savoir si on peut se procurer le discours latin d’ Hippolyta Sfortia [14] ; et de Cassandra Fedele [15], de Laurence Strozzi [16], de Philippa et Anna Du Prat [ou Du Pré] [17], de Magdalena des Champs [18], les vers latins et grecs que ces auteurs ont faits. Et quelle réponse au sujet de l’origine de la Genevoise Waldkirch [19] ?

Au revoir notre très cher ami et continuez à m’aimer avec constance.

Donnée à Gouda le 6 e jour avant les Ides de septembre 1696.

Notes :

[1L’ouvrage de Johann Georg Gross et de Johannes Tonjola : voir Lettres 1150, n.21, et 1154, n.2.

[2Sur l’ouvrage de Lomeier, voir Lettre 1132, n.10.

[3Sur l’ouvrage d’ André Chevillier, voir Lettre 1045, n.1.

[4Voir l’allusion d’ Almeloveen au début de la Lettre 1153.

[5Sur les poèmes de Faltonia Betitia Proba, voir Lettre 1146, n.7.

[6La fête de la ville de Rotterdam.

[7Sur cet ouvrage en préparation, voir Lettre 1154, n.8.

[8Lucine, déesse latine qui préside aux accouchements.

[9Sur A. Fabre, ami d’ Almeloveen, pasteur de Gouda, voir Lettre 1154, n.5.

[10Il s’agit apparemment de Giammichele Bruto (1516-1594), auteur d’un ouvrage intitulé La Institutione di una fanciulla nota nobilmente. L’Institution d’une fille de noble maison, traduite de langue toscane en françois (Antverpiæ 1555, 8°), publié par Christophe Plantin.

[11Après avoir été associé dès 1681 avec son ancien patron, Léonard Chouet (?-1691), Jean Antoine Cramer (1655-1725) s’allia en 1693 avec Philibert Pérachon (1667-1738) pour racheter le fonds d’imprimerie et de librairie de Chouet. Entre 1694 et 1700, il travailla en association avec Philibert Pérachon. A partir de 1700, Cramer participa à une grande société de librairie avec Gabriel de Tournes (1656-1727), Samuel II de Tournes (1669-1752), Jean Antoine Chouet (1650-1732), Philibert Pérachon et David Ritter : voir Lettres 1183, n.15, et 1232, n.1 ; J.R. Kleinschmidt, Les Imprimeurs et libraires de la République de Genève : 1700-1798 (Genève 1948) ; G. Bonnant, Le Livre genevois sous l’Ancien Régime (Genève 1999), p.143.

[12Johanna Otho, poétesse néerlandaise de la fin du XVI e siècle : voir J. Stevenson, Women Latin Poets, p.238-244. Almeloveen cite l’édition Johannæ Othoniæ, Fœminæ Flandriæ, Viri Clarissimi, Domini Guilielmi Mayarti, In Provinciali consilio Flandriæ quondam Advocati consultissimi, Carminum Diversorum Libri Duo (Argentorati 1616, 4°).

[13Nous n’avons pas réussi à identifier cet ouvrage.

[14Hippolyta Sfortia (ou Ippolita Sforza, †1488), duchesse de Calabre, fille du duc de Milan, Franz Sfortia (†1466), auteur d’un poème adressé à Pie II (Enea Silvio Piccolomini, ou Æneas Sylvius, 1405-1464), pape entre 1458 et 1464. Voir P.O. Kristeller, Iter Italicum : a finding list of uncatalogued or incompletely catalogued humanistic manuscripts of the Renaissance in Italian and other libraries (London 1963-1996, 6 vol.), vi.80a ; J. Stevenson, Women Latin poets, s.v., et E.S. Welch, « Between Milan and Naples : Ippolita Maria Sforza, duchess of Calabria », in D. Abulafia (dir.), The French Descent into Renaissance Italy : antecedents and effects (Aldershot, NH 1995), p.123-136.

[15Cassandra Fedele (vers 1465-1558), née à Milan, étudia les langues et la philosophie aristotélicienne. En 1487, elle donna une conférence à l’université de Padoue intitulée pro Alberto Lamberto Canonico Concordiensi. Elle épousa Giovanni Maria Mapelli de Vicenza, qui mourut en 1521. Elle composa un ouvrage intitulé De Scientiarum Ordine, qui ne fut jamais publié quoique souvent mentionné dans ses lettres. Giacomo Filippo Tomasini composa sa biographie, publiée en préface à une édition de ses Epistolæ et orationes posthumæ (Patavii 1636, 8°) ; de cet ouvrage, il existe des traductions modernes : Orazioni ed epistole, trad. A. Fedele (Padova 2010) ; Letters and orations, trad. et éd. D. Robin (Chicago 2000). Voir aussi M.L. King et A. Rabil jr, Her immaculate hand : selected works by and about women humanists of Quattrocento Italy (New York 1980) ; C.C. Schlam, « Cassandra Fidelis as a Latin orator », in I.D. MacFarlane (dir.), Acta Conventus neo-latini Sanctandreani, Proceedings of the fifth international congress of neo-Latin studies (New York 1986), p.185-191 ; J. Stevenson, Women Latin Poets, s.v.

[16Francesca Strozzi (1514-1591), en religion sœur Laurence, née au château de Capelle, près de Florence, fille de Zacharie Strozzi, sénateur de Florence, fut élevée dans le monastère dominicain de Saint-Nicolas-du-Pré, où elle prit l’habit. Elle était la sœur de Cyriacus Strozzi, architecte et philosophe qui enseignait à l’université de Florence. Elle était savante, ayant étudié plusieurs langues, la musique et les sciences humaines. Elle composa un livre d’hymnes et d’odes en latin – à l’imitation du style d’ Horace – sur toutes les fêtes de l’Eglise, publié en 1588, dédié à Lactance de Lactantiis, évêque de Pistoie, et qui fut traduit en vers français par Jacques Mauduit (1557-1627). Voir Hilarion de Coste, Les Eloges et vies des reynes, princesses, dames et damoiselles illustres en piété en courage et en doctrine qui ont fleuri de nostre temps et du temps de nos pères (Paris 1647, 4°, 2 vol.), ii.99-106, qui cite son éloge par de Thou, la traduction de Jacques Mauduit et celle de son épitaphe par Guillaume Colletet (1598-1659). Voir aussi J. Stevenson, Women Latin Poets, p.297-300, 554-556.

[17Nous n’avons pu identifier Philippa et Anna Du Prat avec certitude. Il s’agit peut-être d’Anne Duprat, fille d’ Antoine Duprat et de Jeanne de L’Aubespine et demi-sœur d’ Antoine Duprat (1463-1535), cardinal-légat, chancelier de France et de Bretagne sous le règne de François I er , et d’une autre parente de cette même famille très cultivée. Il ne s’agit apparemment pas de Marie Du Pré, la nièce de Desmarets de Saint-Sorlin et de l’humaniste Roland Desmarets (Maresius), qui avait appris le latin auprès de son oncle et s’intéressait à la philosophie cartésienne : voir Lettre 940, n.11, J.-A. de Vissac, De la poésie latine en France au siècle de Louis XIV (Paris 1862), p.224-225 ; J. Stevenson, Women Latin Poets, p.326.

[19Sur Esther Elisabeth de Waldkirch, voir Lettre 1146, n.9.

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