[Rotterdam, le 8 novembre 1696]

Au très illustre et très cher Théodore Jansson van Almeloveen, Pierre Bayle fait ses compliments.

Peu après avoir lu votre très agréable et très affectueuse lettre [1] me voilà prêt à vous répondre. Je pousse notre ami parisien aujourd’hui même à terminer les notes posthumes de Bergier [2]. Entre temps il a été résolu que les imprimeurs n’attendraient pas davantage. Mon Dictionnaire sera envoyé tout de suite aux imprimeurs d’autres villes. Les autres [ouvrages] qui attendent, dont beaucoup sont chez mes adversaires, paraîtront dans leur temps si Dieu le permet. Je suis tourmenté et torturé de savoir que je ne vais pas donner d’exemplaires même à des intimes car si j’en donnais à certains, il faudrait en donner à bon nombre d’autres pour éviter de les offusquer ; c’est ce que ne permettent pas, d’un côté, mes maigres ressources et, de l’autre, le prix fou que notre Leers a indiqué pour cet ouvrage, prix qui va être fixé, d’ailleurs, à près de 40 florins, assurément très lourd et intolérable pour beaucoup en ce moment [3].

Le très distingué Bernardus s’est embarqué il y a dix jours [4]. J’aurais souhaité assez ardemment votre présence quand il m’est arrivé de profiter de sa très docte et très agréable conversation. Il est dommage que la vieillesse ait déjà miné ses forces, non certes du côté de l’esprit mais de celui du corps : [ce n’est pas] la vieillesse encore vive et verte d’un homme [5]. Utilisez sans crainte et à votre convenance les deux volumes de Hilarion de Coste [6]. Puis passez à d’autres si par hasard vous en trouvez d’utiles dans mon maigre bagage de livres ; rien ne me serait plus souhaitable en récompense de tant de bienveillance et de serviabilité que vous m’avez témoigné, que de pouvoir vous rendre le même service.

Au revoir chère tête et continuez toujours à m’aimer. Votre très dévoué.

Donnée à Rotterdam le 6 e jour avant les Ides de novembre 1696.

 

A Monsieur / Monsieur Almeloveen / Docteur en Medecine / A Tergou

Notes :

[1La lettre d’ Almeloveen de la veille (Lettre 1172).

[2Oudinet devait envoyer une copie des notes de Bergier sur son propre ouvrage : voir Lettres 1031, n.9, 1105, n.32, et 1125, n.32.

[3Bayle explique que ses maigres ressources ne lui permettent pas d’acheter suffisamment d’exemplaires du DHC pour en faire cadeau à tous ses amis, malgré la réduction que Leers lui accorde (voir les lettres de Bayle à Cailloué du 18 novembre 1697 et à La Faye du 15 août 1698). Almeloveen se pliera à cette loi d’airain (Lettre 1192), mais Bayle reviendra sur sa décision par la suite et enverra bien un exemplaire à son ami : voir Lettre 1221, n.2.

[4Almeloveen avait fait allusion au départ d’ Edward Bernard pour l’Angleterre : voir Lettre 1172, n.8.

[5Réminiscence virgilienne. Enéide, VI, vers 304 : Iam senior, sed cruda deo viridisque senectus : « Il est déjà assez vieux, mais de la vieillesse encore vive et verte d’un dieu. »

[6Sur l’ouvrage d’ Hilarion de Coste prêté par Almeloveen à Bayle, voir Lettres 1051, n.2, 1121, n.6, 1123, n.4.

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