Lettre 1181 : Matthew Prior à Pierre Bayle

• De La Haye, ce 18/28 nov[emb]re [16]96

Monsieur

J’aurois plutôt repondu à votre obligeante lettre [1], mais j’ay cru que je devois attendre que Milord Villiers [2] vous eût dit luy même que je me suis bien acquit[t]é de la commission que vous m’avez donnée : sans cela je n’aurois pas pû me resoudre à differer si longtem[p]s à vous ecrire : ne croyez pourtant pas que je veüille m’etendre sur le merite de votre ouvrage. Je laisse cela aux savan[t]s, et me contente seulem[en]t de l’admirer et de me feliciter de l’honneur que j’ay de connoitre le grand genie qui l’a fait.

Satis est hunc mihi nôsce virum [3]

Au reste je vous remercie par avance / du present que j’accepteray avec joye[ ;] je ne doute point que vous n’ayez disposé de vos autres exemplaires en faveur de veritables savan[t]s mais je doute fort que vous en ayez donné à personne qui en aime plus la lecture, et en estime plus l’auteur[.]

Je suis fort sincerement Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
M. Prior

Notes :

[1La lettre de Bayle à Matthew Prior (1664-1721) est perdue. Celui-ci était un poète connu – surtout, à cette époque, par sa composition, en collaboration avec Charles Montagu (1661-1715), d’un poème satirique dirigé contre John Dryden – et un diplomate : en 1690, il fut nommé secrétaire à l’ambassade britannique à La Haye. Au bout de quatre ans, il retourna en Angleterre en tant que gentilhomme de la Chambre du roi et, en 1696 et 1697, fut envoyé comme secrétaire de Lord Portland auprès des plénipotentiaires aux négociations de la paix de Ryswick. C’est à cette occasion que Prior travailla en relation avec Edward Villiers (voir la note suivante) ; Bayle a pu faire leur connaissance au moment des négociations, mais peut-être sa notoriété lui permettait-elle de s’adresser à Prior sans le connaître personnellement. Dans ses prises de contact avec différents hommes politiques anglais, Bayle a pu être guidé par Benjamin Furly. Par la suite, Prior devait être rattaché auprès d’ Edward Villiers à l’ambassade de la Grande-Bretagne à Paris, avant de jouer un rôle politique du côté des Torys sous le règne de la reine Anne. L’arrivée au pouvoir de Robert Walpole devait entraîner son emprisonnement (1715-1717) ; il mourut peu après. Voir L.G. Wickham Legg, Matthew Prior (Cambridge 1921).

[2Edward Villiers (1655/1656-1711), earl de Jersey, fils de Sir Edward Villiers de Richmond (1620–1689) et de Frances Howard, était le petit-fils de Sir Edward Villiers (vers 1585-1626), le demi-frère du célèbre George Villiers (1592-1628), premier duc de Buckingham. Edward Villiers avait accompagné Marie Stuart aux Provinces-Unies après son mariage avec Guillaume III d’Orange en novembre 1677 ; il devint le beau-frère de Hans Willem Bentinck par le mariage de sa sœur Anne en février 1678 ; il revint en Angleterre avec le couple royal lors de la Glorieuse Révolution. Lors de leur accession au trône, il fut nommé Master of the Horse to the Queen et chevalier de la Jarretière ; il succéda à son père (et homonyme) comme Knight Marshal. Le 20 mars 1691, il fut nommé baron de Hoo dans le Kent et vicomte de Dartford dans le même comté. Son office auprès de la reine ayant été supprimé lors de la mort de celle-ci le 28 décembre 1694, il fut envoyé comme plénipotentiaire au congrès de La Haye en 1695 et comme l’un des plénipotentiaires aux négociations de la paix de Ryswick en 1697. La même année, il fut nommé Lord Justice en Irlande. Le 24 septembre 1697, il fut promu earl de Jersey et, le 29 octobre, il fut envoyé comme ambassadeur auprès des Etats-Généraux. Nommé ensuite ambassadeur extraordinaire à la cour de France, il arriva à Paris en grande pompe en janvier 1699. Il y resta jusqu’au mois de mai, date à laquelle il fut rappelé en Angleterre et promu secrétaire d’Etat ; le 24 juin 1700, il fut nommé Lord Chamberlain. Il fut de nouveau appelé à ce poste lors de l’accession au trône de la reine Anne le 8 mars 1702 ; il s’y maintint jusqu’au mois d’avril 1704 et se retira alors de tout emploi public. Il mourut le 26 août 1711. Dans l’entourage du roi Guillaume, il s’était heurté à l’hostilité de Gilbert Burnet, qui soulignait que sa femme était catholique et soupçonnait Villiers de s’être réconcilié avec la famille royale exilée à Saint-Germain-des-Prés lors de son séjour à Paris.
Le portrait d’Edward Villiers (voir notre illustration n° 12) fut peint par Hyacinthe Rigaud et offert à Matthew Prior, intermédiaire entre le peintre et Lord Portland ; il est maintenant conservé au collège de Saint John à Cambridge.

[3« Il me suffit de connaître cet homme. » Nous n’avons pas trouvé de source précise pour cette formule.

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