Lettre 1181 : Matthew Prior à Pierre Bayle
Monsieur
J’aurois plutôt repondu à votre obligeante lettre [1], mais j’ay cru que je devois attendre que Milord Villiers [2] vous eût dit luy même que je me suis bien acquit[t]é de la commission que vous m’avez donnée : sans cela je n’aurois pas pû me resoudre à differer si longtem[p]s à vous ecrire : ne croyez pourtant pas que je veüille m’etendre sur le merite de votre ouvrage. Je laisse cela aux savan[t]s, et me contente seulem[en]t de l’admirer et de me feliciter de l’honneur que j’ay de connoitre le grand genie qui l’a fait.
Au reste je vous remercie par avance / du present que j’accepteray avec joye[ ;] je ne doute point que vous n’ayez disposé de vos autres exemplaires en faveur de veritables savan[t]s mais je doute fort que vous en ayez donné à personne qui en aime plus la lecture, et en estime plus l’auteur[.]
Je suis fort sincerement Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
Notes :
[1] La lettre de Bayle à Matthew Prior (1664-1721) est perdue. Celui-ci était un poète connu – surtout, à cette époque, par sa composition, en collaboration avec Charles Montagu (1661-1715), d’un poème satirique dirigé contre John Dryden – et un diplomate : en 1690, il fut nommé secrétaire à l’ambassade britannique à La Haye. Au bout de quatre ans, il retourna en Angleterre en tant que gentilhomme de la Chambre du roi et, en 1696 et 1697, fut envoyé comme secrétaire de Lord Portland auprès des plénipotentiaires aux négociations de la paix de Ryswick. C’est à cette occasion que Prior travailla en relation avec Edward Villiers (voir la note suivante) ; Bayle a pu faire leur connaissance au moment des négociations, mais peut-être sa notoriété lui permettait-elle de s’adresser à Prior sans le connaître personnellement. Dans ses prises de contact avec différents hommes politiques anglais, Bayle a pu être guidé par Benjamin Furly. Par la suite, Prior devait être rattaché auprès d’ Edward Villiers à l’ambassade de la Grande-Bretagne à Paris, avant de jouer un rôle politique du côté des
[2] Edward Villiers (1655/1656-1711),
Le portrait d’Edward Villiers (voir notre illustration n° 12) fut peint par Hyacinthe Rigaud et offert à Matthew Prior, intermédiaire entre le peintre et Lord Portland ; il est maintenant conservé au collège de Saint John à Cambridge.
[3] « Il me suffit de connaître cet homme. » Nous n’avons pas trouvé de source précise pour cette formule.