Lettre 1198 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle
Vous disiez, mon très cher Monsieur, à la p.434
Je suis bien fasché de vostre
Comment est-ce donc qu’avec tant d’envelop[p]es je pus estre gelé derniérement ? C’est, mon cher Monsieur, que je m’opiniastray à vouloir achever de lire un livre, fenestres ouvertes, de peur d’estre estouf[f]é de la fumée de la chandelle. Le froid me perça insensiblement, et à peu près comme au fils de Ravaud ce fameux inquisiteur de la comté de Chiny [5], lequel ne put estre réchauf[f]é suf[f]isam[m]ent en arrivant à Rheims. J’estois courbé de froid ( frigore duplicatus) : mais le feu de hoüille qui est un feu prodigieux pour la chaleur, mais le vin, mais autre chose me feirent rentrer dans la vie le plus gentiment du monde. Je suis bien aise d’y estre, puis que je pourray encor[e] de fois à autres, me promener sur nos montagnes avec quelqu’un de vos petits livres dans la poche. /
Je suis presque toujours tout seul ; et si ce n’estoit un peu de courage (car ce n’est ni philosophie ni sagesse) je me serois laissé mourir il y a long temps.
C’est ce que voulut faire d’ Ablancourt ; et si on en croit le Menagiana [6], il ne le feit point bien du tout ; au moins il me semble l’avoir leû comme je le dis.
Tous ces Messieurs dont vous me parlez dans vostre lettre, vous remercient très respectueusement de l’honneur de vostre souvenir, et sont comme moy, vos très humbles serviteurs.
Othryadés est un peu trop long et encore trop mal ajusté*, pour paroistre devant un homme comme vous [7].
Je vous supplie très humblement d’asseurer de mes respects Mr Basnage et Mr de Marsilly [8]. Adieu, mon très cher Monsieur.
Ce 31 decemb[re]
Notes :
[1] Du Rondel reprend la contradiction qu’il avait dénoncée entre les PDC, §CXLV, et le DHC, art. « Zénon d’Elée », rem. B, p.1275 : voir la lettre précédente de Du Rondel du mois de décembre (Lettre 1196, n.4). Dans sa réponse – perdue – Bayle lui avait apparemment demandé de s’expliquer plus précisément.
[2] Du Rondel minimise poliment la « contradiction » et la juge digne des arguties des scotistes. Duns Scot s’opposait, en effet, aux nominalistes, qui pratiquaient la distinction per mentem entre l’essence et l’existence a parte rei. Sur la philosophie scolastique telle qu’elle était pratiquée au XVII e siècle, voir les articles de J. Schmutz dans le Dictionary of seventeenth century French philosophers, dir. L. Foisneau, et le site Scholasticon, dirigé par J. Schmutz.
[4] Nous n’avons pas trouvé le passage de Balzac évoqué par Du Rondel. Balzac évoque une question oiseuse concernant la calotte d’Ulysse dans Le Barbon, Œuvres de Monsieur de Balzac (Paris 1665, folio, 2 vol.), ii.705, pour illustrer la cuistrerie de François Guyet.
[5] Nous n’avons su identifier ce « Ravaud inquisiteur » avec certitude. Il s’agit peut-être tout simplement du Bertrand Ravaud, premier juge de la sénéchaussée en 1229. Voir J.-F.-A. Perrot, Lettres sur Nismes et le Midi : histoire et description des monumens antiques du Midi de la France (Nîmes 1840, 2 vol.), i.54.
[6] Voir Menagiana, éd. Bernard de La Monnoye (Paris 1715, 12°, 4 vol.), ii.186-187 : « M. d’ Ablancourt étoit de Vitri-le-François en Champagne, et il étudioit l’hyver au-dessus d’un four chez un pâtissier. Il étoit environ dans sa soixante et troisième année lorsqu’il se sentit pressé de la pierre, maladie dont son père étoit mort. Il voulut venir à Paris dans le dessein de se faire tailler : mais comme c’étoit au mois de novembre qui n’est pas commode pour ces sortes d’opération, voyant bien qu’il seroit obligé d’attendre au printemps, et que la dépense seroit grande, il prit la résolution étrange de s’abstenir de manger, pour voir plûtôt finir ses maux. Il avoit commencé à l’exécuter, lors que ses amis l’ayant pressé de manger il se laissa persuader : mais il étoit trop tard et il mourut. »
[7] Du Rondel avait proposé un article sur Othryadès dans sa lettre précédente : voir Lettre 1196, n.6.
[8] Sur Pierre Salbert de Marcilly, voir Lettre 232, n.9. Apparemment, à cette date, Marcilly ne séjournait plus à Maastricht.