Homme très illustre,
Ce livre français vous est envoyé par le sieur Thoynard [1]. Je l’ai trouvé dans un lot de livres qu’un de mes amis de Paris m’a envoyés, qui m’ont été livrés par un membre de la suite de l’ambassadeur de France [2]. Les lettres de cet ami furent écrites début mars, la négligence de celui à qui il avait confié le lot fut donc extrême, il était en effet possible que les messagers arrivent à Delft avant la fin du mois de mars. Cela me pousse à ne pas attendre l’occasion de trouver un passeur qui vous livre le colis, j’utiliserai plutôt le bateau. Ainsi connaîtrez-vous plus rapidement l’envoi de Thoynard.
En attendant, homme très illustre, recevez l’expression de ma reconnaissance pour avoir signalé dans une lettre à notre cher Basnage [3] les lettres de Jacob Grynæus [4]. Je les ai en ma possession, et je les examinerai de très près maintenant que je connais votre jugement à leur sujet. Moi-même je ne suis pas encore satisfait dans ma recherche de l’ouvrage d’ Aloisia Sigea de Toulouse. Mon édition est au nom du très illustre Meursius, mais j’en ai entendu certains qui l’avaient attribué à Isaac Vossius [5]. Tant que nous ne sommes pas mieux informés, j’estime qu’il faut repousser le jugement, s’il n’est pas permis de trancher. Si, par défaut, quelqu’un accordait publiquement son crédit à l’hypothèse du parlementaire d’Aix [6], faites-le-moi savoir, je vous prie.
Mille saluts, grand ornement et pilier de la République des Lettres, et comme vous l’avez fait avec tant de bienveillance jusqu’ici, conservez moi votre soutien. Honorant votre nom avec la plus grande déférence,
Donnée à Rotterdam le 9 mai 1697
Notes :
[1] Il ne semble pas que l’ouvrage en question ait été composé par Nicolas Thoynard lui-même, car entre sa Discussion de la « Suite des Remarques nouvelles » du P. Bouhours sur la langue françoise, pour defendre, ou pour condanner plusieurs passages de la version du Nouveau Testament de Mons : et principalement ceux que le P. Bouhours y a repris (Paris 1693, 12°) – qui n’était pas nouvelle – et ses Cartons du Nouveau Testament imprimé à Trévoux [par Richard Simon], conférés avec l’original (Bruxelles 1702, 12°) et son Phénomène litéraire, causé par la ressemblance des pensées de deux auteurs, touchant les antiquités des Caldéens et des Égyptiens ; où l’on voit la fausseté du grand nombre d’années que quelques écrivains, soit anciens ou modernes, donnent aux observations célestes prétendues faites par ces deux nations (Paris 1705, 8°), il n’a rien publié. Il ne s’agit certainement pas des Difficultez proposées au R.P. Bouhours, S.J., sur sa traduction françoise des quatre évangélistes (Amsterdam 1697, 12°), qui lui ont été parfois attribuées, car cet ouvrage est de Richard Simon et avait été imprimé à Amsterdam.
[2] Il s’agit sans doute d’un membre de la suite des plénipotentiaires français aux négociations de Ryswick, peut-être du Père Louis Doucin : voir Lettre 1330, n.1.
[3] Toutes les lettres de Grævius à Jacques Basnage sont perdues. A l’époque de la présente lettre, nous ne connaissons que les lettres de Basnage à Grævius du 28 avril et du 15 juillet 1697, où il n’est pas question des lettres de Jacob Grynæus : voir Jacques Basnage, La Corrispondenza da Rotterdam, 1685-1709, éd. M. Silvera (Amsterdam, Maarssen 2000), n° LI, LII.
[4] Johann Jacob Grynæus (1540-1617), prédicateur et théologien de Bâle. Nous n’avons pas trouvé d’édition de ses lettres avant celle de 1715 : Johannis Jacobi Grynaei elapissimi olim theologi Basil. epistolæ familiares LXVI ad Christophorum Andream Julium consiliarium Norib. scriptæ ; quas ex tabulis manuscriptis, et variis scholiis illustravit Sigism. Jac. Apinus (Francofurti, Lipsiæ 1715, 8°) ; une nouvelle édition fut publiée au XIX e siècle par W.T. Streuber, Simonis Grynæi clarissimi quondam academiæ Basiliensis theologi ac philologi epistolæ (Basiliæ 1847). Il se peut que Bayle désigne ainsi les lettres de Victorinus Strigel (1524-1569), qui furent publiées avec des thèses de Grynæus : Epistolæ aliquot piæ simul et eruditæ de negocio eucharistico scriptæ ad amicos [...] adiunctæ sunt D. Iohannis Iacobi Grynæi, Theologiæ Doctoris Theses de utriusq[ue] Testamenti Sacramentis, in Academia Basileensi, 4 Iulii, anno 1583 disputatæ (Neustadii Palatinorum 1584, 4°).
[5] On trouve sous le nom de Nicolas Chorier le titre suivant : Aloisiæ Sigeæ Toletanæ : Satyra sotadica de arcanis amoris et Veneris. Aloisia Hispanice scripsit ; Latinitate donavit Ioannes Meursius (s.l.n.d. [Grenoble 1660-1670], 12°). Cet ouvrage a connu plusieurs éditions et traductions modernes, parmi lesquelles : Aloisiæ Sigeæ Toletanæ Satyra sotadica de arcanis amoris et veneris. Re vera auctore Nicolao Chorier ; Aloisia hispanice scripsit, latinitate donavit Joannes Meursius, cura et studio Isidori Liseux (Parisiis 1885) ; Aloisiæ Sigeæ Toletanæ satyra sotadica de arcanis amoris et veneris sive Joannis Meursii elegantiæ latini sermonis, auctore Nicolao Chorier, éd. B. Lavagnini (Catania 1935) ; Dialogue de deux jeunes filles sur la vie de cour et la vie de retraite (1552), trad. et éd. O. Sauvage (Paris 1970) ; Die Gespräche der Aloisia Sigea, par Nicolas Chorier, trad. H. Conrad (Leipzig 1984).
[6] Il s’agit peut-être d’un écho d’une correspondance avec Louis Thomassin de Mazaugues, parlementaire d’Aix-en-Provence, en relation avec Claude Nicaise : voir Lettre 1091, n.1.