Lettre 1264 : Henri Des Marets à Pierre Bayle

• [Noordwijk, le 21 mai 1697]

Monsieur

A mon retour d’une visite à la campagne, j’ay trouvê celle dont il vous a plû de m’honorer [1], qui m’apprend que vôtre esprit inquiet menasse de remuer contre vôtre Dictionnaire [2]. J’ay peine à croire qu’il aille au delà de la menace, parce que comme vous l’avez placé assez souvent dans une juste perspective, s’il leve le casque, les moins penetrans jugeront qu’il peche contre le 3 e commandement, et que tout le feu de son zele ne va qu’à la vengeance de ses propres interets. Au reste mon cher Monsieur, vous vous expliquez si sagement sur la conduite que vous avez gardée dans la déduction* des differentes matieres que vous traittez, soit purement philosophiques, soit historiques où vous avez crû devoir repandre quelque fois quelques grains de sel, pour les rendre de meilleur goût à vos lecteurs, en reservant par tout à la parole de Dieu son autorité, et la veneration qui luy est deüe, que je preten[d]s garder precieusement vôtre derniere lettre et en faire bouclier envers ceux de mes amis, qui voudroyent vous condamner sur l’etiquette du sac. Soyez seur, mon cher Monsieur, / que je m’employeray à ceci de toutes mes forces, et que j’y joindray par tout celles de mes amis, sur lesquels je puis avoir quelque ascendant. Tenez vous, s’il vous plait, dans votre retraitte et dans le silence, sans songer encor[e] à preparer aucun exorcisme contre aucune sorte d’esprits. Ce sera le vray moyen de justifier à toute la terre vôtre moderation, et la mauvaise humeur de ceux quy voudront vous attaquer. En tout cas vous n’avez pas moins de courage pour dire, ce que Brutus dit comme vous savez, à son esprit inquiet qui le menassoit la veille de la bataille : Videbimus Philippis [3].

Conservez moy, s’il vous plait, l’hon[n]eur de vôtre sainte amitié, et croyez que je suis tres sincerement, Monsieur, votre tres humble et tres obeiss[an]t serviteur
Des Marets De Noortwyck ce 21 de may 1697. •

Notes :

[1Bayle avait déjà reçu deux lettres d’ Henri Des Marets, datées du 22 janvier 1696 (Lettre 1077) et du 20 avril 1697 (Lettre 1246), mais les lettres qu’il avait adressées au ministre de Delft ne nous sont pas parvenues.

[2Annonce des attaques de Pierre Jurieu contre le DHC.

[3« Nous verrons à Philippes », ville de Macédoine où Brutus et Cassius furent vaincus par Antoine et Octave.

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