Lettre 1286 : Pierre Bayle à Jean-Baptiste Dubos

[Rotterdam, le] 12 août 1697

Je ne vous dis rien d’une dissertation de M. Perizonius que je vous envoie. Elle traite De Censoribus populi Romani. Je la crois toute de lui, quoiqu’il ne la donne que sous le nom d’un de ses ecoliers qui l’a soutenue publiquement comme une these. •

M. Jaquelot a dit que M. l’ abbé de Lanion avoit soutenu la cause de l’Eglise romaine avec toute la force et toute l’habileté possible, et qu’il n’avoit jamais disputé (je parle de M. Jaquelot) avec un homme qui raisonnât mieux. Le bruit qu’on a fait courir de je ne sçais quelle intrigue avec l’ambassadrice mediatrice n’a nul fondement. /

Il n’y a personne que M. Perrault ait dû avoir plus en vuë que moi en faisant ses contes, car personne ne se divertit tant que moi et ne se delasse plus agréablement ni peutêtre plus necessairement, à la lecture de ces narrations pleines d’esprit et de beautés naturelles.

Il règne dans l’academie de Cambri[d]ge de grands restes des hipotheses platoniques que Henri Morus, celui qui fit de si fortes objections à M. Descartes et que vous avez pu lire dans le receiul [ sic] des lettres de ce dernier, a soutenues dans plusieurs livres. Je crois que M. Newton, qui professe là les mathematiques, disciple, si je ne me trompe, de ce Morus, a puisé de là la pensée dont je vous ai parlé, que les lois mechaniques ne suffisant point à expliquer les effets de la nature, il faut reconnoitre en plus d’occasions qu’on ne fait, la direction particuliere d’une intelligence. Je suis fort trompé si le P[ère] Mallebranche n’est de cet avis. M. Newton n’a pas laissé d’emploier uniquenent les principes mecaniques dans l’ouvrage qu’il a donné au public, et où l’on pretend qu’il a ruiné mathematiquement les tourbillons de M. Descartes.

On a imprimé un livre qui a pour titre : La Negotiation de Riswick. Plus de la moitié de cet ouvrage ne sert qu’à des ignoran[t]s qui n’ont point lû ce qui s’est dit et imprimé plusieurs fois sur les pretentions surannées de la France par rapport aux autres Etats, et sur celles des autres Etats par rapport à plusieurs provinces de France. Le reste de l’ouvrage est plus curieux ; il contient quelques discours politiques sur l’etat present des choses, avec la censure de la conduite de la France. On l’accuse d’avoir manqué aux occasions lorsqu’elles ne lui manquoient point, et de s’être mal servie de ses avantages, à Neerwinde, par exemple. / Ce sont toutes choses qui ont eté dites mille fois en conversation dans tous les païs des alliés. Peut être l’a-t-on dit aussi en France, car on y parle bien plus librement que les étrangers ne s’imaginent ; mais d’ailleurs peut-être vous trouvez que les alliés ont fait aussi quelques fautes, sur lesquelles nos ecrivains ni nos raisonneurs n’ouvrent pas les yeux. Ils auront besoin que les François les desabusent, si ce n’est qu’il soit de la politique de soutenir que l’on n’est pas redevable de quelque chose à l’imprudence de son ennemi. On n’a point cette politique en d’autres endroits, comme vous voiez.

Le livre de M. Leti sur le loteries seroit bien divertissant, s’il etoit beaucoup plus court, je veux dire dechargé du grand verbiage, et reduit aux bonnes choses. Cet auteur a sous la presse son Philippe 2 d , traduit en françois, corrigé et augmenté. Vous sçavés qu’il le publia à Geneve, en italien, en 2 volumes in 4° en 1679.

Je vous ai envoié un petit ecrit en françois qu’un medecin hollandois nommé M. Lufneu a publié contre l’operateur allemand qui se vante de guérir par l’injection de quelque chose dans l’urine du malade. Il a traduit lui même en notre langue ce qu’il avoit publié là dessus en la sienne, et vous trouverez, je m’assure, que pour un Hollandois, qui n’est jamais sorti de son paÿs, il n’entend pas mal la langue françoise.

Je vous ai parlé d’ un journaliste hollandois dont la femme se vantoit de la vertu que la baguette divinatrice tournoit en ses mains proche des métaux. Un de nos incredules, aiant obtenu d’être present, remarqua qu’il n’y a là qu’une adresse de la main, et il a fait tourner la baguette en mille occasions, sans qu’il y ait eut ni or ni argent autour de lui. M. Hartsoecker doit publier une lettre pour expliquer mecaniquement le mouvement de cette baguette qui ne dépend que du pressement de la main, après avoir incliné les deux fourchons. /

Le 2 d journal latin d’Utrecht, sçavoir juin et juillet, n’est pas encore publié. M. Leers commence à rimprimer le Dictionnaire de Furetiere, revû, et augmenté par M. de Beauval. Les augmentations iront au tiers.

J’ay fait attention à ce que vous m’apprenez du Jugement de l’ abbé R[enaudot :] il tiendroit 5 ou 6 pages au moins, me dites-vous. Voilà qui me surprend, et qui me fait avoir regret de n’avoir repondu qu’en une 20 ne de lignes. Je vous proteste avec la d[erni]ere sincerité que je n’ai sçu autre chose là dessus, sinon qu’il avoit declaré à M. le chancelier que le Dictionnaire considéré en lui même etoit un ouvrage trés meprisable, et des plus indignes de l’estime du public, et que consideré par rapport aux impuretés, et aux impietés dont il est parsemé, il doit deplaire aux personnes graves et pieuses ; outre que la France y est maltraittée et le prince de Galles aussi. Voila ce qui fut écrit à M. Leers, et comme ce qu’on lui communiqua etoit en stile direct, je crus que c’etoit la copie meme toute entiere de son Jugement. Je crus d’autre coté que ce Jugement n’étoit qu’un papier pour M. le chancelier ; c’est pourquoi je me contentai en ecrivant pour d’autres choses à un habile et honnete homme, qui a toute sorte d’accès auprès de ce chef de la justice, de le prier de lui representer etc. Je ne croiois pas que mes remarques dussent etre vues de personne, comme je croiois aussi que le Jugement ne le seroit pas. Mr ... à qui j’ecrivis, voiant que ce Jugement couroit partout en manuscrit, fit courir aussi ce que j’avois remarqué, et je n’ai sçu qu’aprés coup qu’il m’eût rendu cet office. Ceux qui auront cru que ma pretendue reponse etoit faite aprés connoissance exacte du Jugement de l’abbé, auront eu raison d’etre surpris, car c’est la reponse du monde la moins exacte ; aussi ne le devoit-elle pas etre, n’aiant eté faite que dans les circonstances que je viens de vous marquer. Vous jugerez / aisement de ma surprise, Mr, quand j’ai sçu par votre moien que ce Jugement est de plusieurs pages. Si je le vois, je pourrai y faire des reflexions plus exactes et plus precises.

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