Lettre 1287 : Pierre Bayle à Claude Nicaise

[Rotterdam, le] 2 d’aout 1697

Pour Monsieur l’ abbé Nicaise

Comme dans votre derniere lettre, Monsieur, vous ne faites point mention de celle que j’eus l’honneur de vous ecrire environ le 16 e de juin passé, et qui ne servoit que d’enveloppe à une beaucoup plus longue que Mr Cuper m’avoit adressée pour vous, je crains qu’elle ne se soit egarée, et je vous sup[p]lie de me tirer de peine. Je ne saurois vous remercier dignement de tous vos soins et de toute votre ponctualité. Mr Grævius vous caracterise admirablement par le officiosissimus omnium mortalium que je lui ai oüi dire en parlant de vous. Pour reparer son silence aux prolegomenes du Junius De pictura, il vous donnera sans doute cet eloge et plusieurs autres dans quelque autre livre. On n’a point encore envoié d’Utrecht ici son Callimaque qu’on dit etre un livre fort docte. On l’a annoncé comme achevé d’imprimer, et il me dit la derniere fois que je le vis (c’etoit vers la fin du printemps dernier) qu’il n’y manquoit que la preface. C’est un opera* pour quelques auteurs, et il me semble qu’on trouve dans le Menagiana que Mr Menage disoit en parlant d’une certaine preface, qu’il auroit eu besoin de trois mois pour la faire. /

[Rotterdam,] le 19 d’aout 1697

J’ai exhorté d’ ordinaire* en ordinaire • Mr Leers à se donner l’honneur de repondre à la lettre si obligeante que je lui donnai de votre part au commencement de ce mois, et comme ses affaires l’ont empeché jusqu’ici de remplir ce devoir là, je ne l’atten[d]s plus, je vous envoie ceci sans sa reponse aussi bien m’a t’il dit qu’il vous ecriroit par une autre voie bien tot.

Je compren[d]s fort bien que Mr de La Monnoie doit se plaindre de n’avoir pas à sa portée toutes les bibliotheques de Paris, car puisqu’il travaille à une critique, il ne sauroit jamais avoir assez de livres. Je suis encore plus à plaindre que lui, car à Dijon il a mille fois plus de livres, et plus d’autres aides que je n’en ai à Rotterdam. Dites moi je vous en prie, Monsieur quelle est cette critique à quoi il travaille[ ;] les ecrits semblables aux Nouvelles du Bandel fournissent bien des choses particulieres, et je ne m’etonne pas qu’il se plaise à les consulter. J’en ferois bien autant si je les avois, et quand il m’en tombe quelcun entre les mains, je ne le laisse pas tomber à terre.

Je suis ravi que Mr Begon vous ait fourni une matiere si propre à exercer votre plume, et à faire valoir votre antiquariat. L’exemplaire / qui vous est destiné vous sera remis par Mr Choüet le libraire, mais comme les autres livres que Mr Leers lui doit envoier sont encore ici, vu qu’ils ne sont pas encore convenus lui et Mr Leers des conditions de leur commerce, vous ne le recevrez pas aussi tot que je voudrois.

Voulant menager le reste de ce papier pour vous dire le peu que l’on a ici de nouvelles lit[t]eraires, je mettrai dans le billet cy-joint pour Mr de La Monnoie, ce que je voulois vous demander touchant le procez de M rs Lantin et Foucher au sujet de Carneade.

Je ne sai si vous avez vu la Critique historique et politique, morale, economique et comique sur les loteries anciennes et modernes spirituelles et temporelles. C’est un ouvrage de Mr Leti : vous admirerez la liberté avec laquelle il parle de toutes choses jusqu’à se moquer des alliez de ce qu’avec tant d’armées ils n’ont pu empecher que la France n’entretint toujours ses troupes sur les terres des ennemis etc. mais il n’y a point de gens qu’il pousse à bout avec plus d’acharnement pour ainsi dire que les theologiens, et nommement les protestan[t]s refugiez en Hollande. Cet ouvrage contient deux parties. L’auteur travaille à la troisieme, où il parlera de la loterie de Pologne / c’est à dire de l’election qui s’y est faite de deux rois en meme tem[p]s. Je l’exhortai l’autre jour en parlant à lui sur cela de bien suivre à la trace toutes les intrigues, et d’en parler avec sa liberté ordinaire, c’est à dire sans flat[t]er ni l’un ni l’autre parti. Il fait imprimer une traduction francoise de la Vie de Philippe II roi d’Espagne qu’il publia en italien à Geneve il y a je croi vingt ans. C’est le plus infatigable auteur qui soit au monde. Si je trouvois une occasion favorable je vous enverrois la dissertation philologique De censoribus Romanis qu’un des ecoliers de Mr • Perizonius a soutenuë depuis peu à Leide. Vous jugez bien que le professeur est l’auteur de cette dissertation. Mr Pictet prof[esseur] en theol[ogie] à Geneve a fait imprimer à Amsterdam une dissertation latine sur les demelez des lutheriens et des calvinistes ; c’est au sujet du jus feciale divinum de feu Mr Pufendorf, traité qui roule sur la meme matiere. Les petits livrets satiriques qui pleuvoient ici autrefois ont presque cessé entierement depuis qu’on croit la paix asseurée. On n’en doute plus ici, et l’on y est fort aise d’avoir deja des conditions • si glorieuses, et si avantageuses sans compter celles que l’on pourra obtenir dans la suite des conferences.

Je suis Monsieur tout à vous

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