Lettre 1289 : Jean-Baptiste Dubos à Pierre Bayle

A Paris le lundi dixneufvieme d’aoust [1697]

Je vous prie Monsieur de regarder mon hardiesse à vous envoier ce que Monsieur l’abbé R[enaudot] a escrit contre vostre Diction[n]aire, comme un temoignage indubitable de la grande et veritable estime que j’ay pour vous. Sur quelque impertinent* • fondement que soit ap[p]üié le decri que l’on fait de nos ouvrages, les entrailles en sont emues chez les • scavants d’un merite ordinaire, et sans qu’ils s’en apercoivent leur chagrin passe jusques à la person[n]e, qui leur a • rap[p]orté ce que l’on publioit d’eux. Je suis là dessus fondé en experience, • et puis meme employer ce mots [ sic] au pluriel, car j’en ai fait plus d’une. Mais je suis bien convaincu que je ne risque rien avec vous, et il n’est pas besoin que vous prenié la peine de me ras[s]eurer, pour me mettre hors de toute crainte. Je ne me suis fié à person[n]e pour copier le jugement que je vous envoie, tant j’ap[p]réhendois que l’on n’i changeat quelque chose, et vous le pouvés compter de la derniere exactitude.

Je vous remercie par avance des livres que vous m’envoié par Monsieur de Toureilles, et je com[m]uniqueré promptement au Pere Lami l’escrit sur le spinozisme. Je lui ai fait faire vos compliments, • car • il ne demeure pas à Paris, mais à Sainct Denis, sans quoy je les lui eusse porté[s] moy moimême [ sic]. Je suis fort curieux d’un livre imprimé à Utrecht, • la traduction du Nouveau Testament par Monsieur Martin. S’il en estoit encore temps, je vous sup[p]lierois de me la faire tenir par / Monsieur de Toureilles. C’est à condition que lorsque vous auré envie de quelque livre imprimé ici vous en useré avec la meme liberté. Je chargeré la premiere person[n]e de con[n]oissance qui partira d’un • autre exemplaire des lettres d’Aristenete. Je ne laisseré point de faire escrire à Monsieur Girardeau qui revient incessam[m]ent d’Angleterre en Hollande lors qu’il sera à La Haye, et de lui escrire moy meme que vous n’avé point recu celui dont il s’estoit chargé. Il me semble qu’il escrivit • l’avoir mis entre les mains de Monsieur de Beaüval pour vous le rendre.

Après que vous avé vu Monsieur Des Forts tout ce que je vous puis dire, c’est que • plus vous le verré plus vous l’estimeré.

Vous auré ap[p]ris, il i a lon[g]temps, la mort de Santeuil de Sainct Victor, • decedé à Dijon pour i avoir trouvé de trop bon vin. On pour[r]oit mettre sur sa tombe l’ est est est de Montefiascone. Voici un epitaphe qui court, le quel n’i sera point mis asseurement

A[p]prenant la mort de Santeuil

Poëtes et foüs prenez le deuil

Je vous envoierois sa derniere piece sur le chien de Madame la duchesse du Maine, si je ne croiois que vous l’avé deja vüe. Elle est pleine d’un feu si vif qu’il n’i avoit pas d’apparence qu’il düt s’esteindre si tost. Ses vers qui ne deplaisoient que à ses rivaus vont estre à present • gousté ici de tous le monde. Je les crois en meme estime chez vous.

L’abbé de Lanion est bien à plaindre que sans aucun sujet sa reputation ait esté si fort blessée. Pourvu qu’il ne lui en reste point de cicatrice, il devra s’en consoler.

Monsieur Perrault vous salüe, mais il ne vous croit point. Il dit que vous n’avé point raison, parce qu’il aura este / assez bonhomme pour escrire des contes de penser qu’il puisse croire vostre compliment. Il vous destine un exemplaire de son poëme de la Creation dont je me chargeré. Monsieur Toinard vous • remercie de vostre hon[n]eteté. Il travaille tousjours à son Harmonie des Evangiles, mais com[m]e le cardinal Noris l’escrivoit dernierement c’est partus Elephantinus. Il est vray que ultra nonum annum premit.

C’a tousjours este le defaux de Monsieur Leti que la prolixité. Il est aussi diffus dans les • nar[r]ations des faits les plus connus que s’il escrivoit pour des lecteurs qui ne lussent que ses livres ; encore i trouveroient ils des pages à sauter s’ils avoient bonne memoire. L’on m’a dit ici que c’estoit Madame Leclerc sa fille qui avoit traduit son Philippe second. Voila matiere à un beau sonnet italien. Parle t’il dans cette edition du dessein de son prince de transporter • le siege de son empire en Amerique[?] C’est dans cette vue qu’il i a depense en bastiment des centain[es de] millions. Je voudrois que vous vissié les descriptions qui nous sont venües de Cartagene, un de ses ouvrages.

Je vous ai parlé de l’apologie de Mallement de Mezange pour le Diction[n]aire de l’Academie. On vient d’i repondre par un livret intitulé • Le Tombeau du Dictionnaire de l’Academie. C’est un in 12 de deux ou trois cents pages qui comprend des remarques sur les premieres lettres.

Je me mesle peu de politiques, mais quand j’auré l’honneur de vous voir, ce sera immediatement apres la paix, je vous en diré bien sur les fautes de com[m]ission et d’omission des alliez dans cette guer[r]e, si vous estes d’humeur de m’ecoüter. Je me contenteré de vous marquer ici la bataille de Fleurus qui donna le bransle aux affaires et decida en nostre faveur de la superiorité des troupes, jusques là bien incertaine.

Je vous ai escrit le 9 e de ce mois, une lettre en explication de ce que je vous avois mandé sur l’ Histoire de Tamerlan.

A Monsieur / Monsieur Bayle / A Rotterdam •

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