Lettre 1290 : Hervé-Simon de Valhébert à Pierre Bayle

A Paris ce lundi 19 aout 1697

Omnia sunt in meo Museo a1nw ka/tw d’une si étrange maniere que peu s’en est fal[l]u, mon illustre Monsieur, que je n’aye encore laissé passer cet ord[inai]re co[mm]e les autres sans vous écrire. Il y a prês de 15 jours que je me suis appliqué à la révision de toutes les paperasses de feu M. Ménage, à laquelle je ne comptois pas devoir perdre tant de tem[p]s. Cependant je ne sai pas encore si je viendrai à bout dans 8 jours d’y mettre l’ordre q[ue] je me suis proposé. Vous ne sauriez croire aprês tout quel plaisir je prends à jetter quelquefois les yeux sur les lettres des illustres avec lesq[ue]ls il a eu commerce et j’en trouve une inf[ini]té et de M. de Saumaise, et de M. Heinsius, et enfin de tous les savan[t]s de son tem[p]s tant dans les pays étrangers qu’en France. Mes amis me sollicitent ici de les don[n]er au public, et je pourrois bien déférer au sentiment de ceus qui me conseillent de don[n]er des lettres que j’ai de quelques dames dont on connoît quel a été le mérite. Comme toutes ces lettres étoient pesle mesle dans des portefeuilles, je n’ai pas peu de peines pour les trier et les mettre dans l’ordre qu’il faut, c’est à dire toutes celles de chaque auteur ensemble, et dans l’ordre des dates quand elle y est marquée. Mais c’est assés parler de ces lettres.

Je croi que M. Pinsson vous aura mandé* que M. de Santeuil de S[ain]t Victor mourut à Dijon / le lundi 5 du courant. Il venoit de publier un bel eloge de cette province, et il sembloit qu’il préféroit Dijon à Paris : mais ce n’est que parce qu’il lui en revenoit quelques piéces de vin qui lui eust couté trop cher s’il en eût voulu acheter à Paris.

M. l’abbé Regnier est un peu faché* de ce que l’on croit qu’il a loué l’ouvrage de M. Léti. Il m’a fait voir les lettres q[u’i]l lui a écrites, qu’il pretend que l’on interpréte contre son intention, puisqu’il n’y loue que quelq[ues] vers que M. Léti avoit faits à la louange du roi, et qu’il les critique d’une maniere à persuader M. Léti du peu de succès qu’il doit attendre de telles productions. •

Je suis bien aise de ne m’être pas mépris en vous écrivant de M. Bigot et de M. Guyet. Il me reste encore plusie[urs] bons morceaus de ce dernier, entr’autres un Suétone de Schildius in 8° fort chargé de belles notes et corrections qui meriteroient d’être employées dans une nouvelle edition si vos libraires s’avisoient d’en donner une. J’ai aussi un Pline le naturaliste de l’ed[ition] d’ Elzevier en 3 voll. in 12 qui n’est pas moins chargé. M. Gronovius n’inserera-t-il pas dans son Thesaurus Antiq[uitatum] • Græc[arum] les ouvrages de Meursius ? Le traité de M. Perizonius De Censoribus pop[uli] Rom[ani] doit être fort curieux. Mon patron en a bon[n]e / opinion sur ce titre mais plus encore par la connoiss[an]ce qu’il a du merite de l’auteur. A propos de M. Guyet, je ne sai si je ne vo[us] ai pas mandé que j’ai ses notes sur le Theocrite de M. Heins[ius]. J’ai un ouvrage de feu M. Ménage d’un genre assés singulier Historia meritricum Græcarum, et ce qui est de plus surprenant c’est que l’auteur a eu dessein de l’écrire en grec. N’auriez-vous rien sur cette matiere ?

Je voudrois bien savoir ce qu’est devenu le traité De prostibulis Veterum de Beverland, s’il a été imprimé et s’il ne s’en pourroit point trouver un exemp[lai]re. Je ne sache person[n]e qui m’en puisse don[n]er de nouvelles plus certaines q[ue] vous.

J’ai bien de l’impatience de trouver le loisir de parcourir votre ouvrage avec quelq[ue] attention. Je n’en ai vu que quelq[ues] endroits et entrautres notre pauvre M. Malherbe dont vous faites un impie. J’ai 4 sonnets de la main de M. de Racan qui les attribuë à Malherbe. Je ne sai s’il dit vrai, mais ils sont tres libres, peri\ o0xei/aj : il nomme les choses par leur nom. Si vous les aviez lû, vous n’auriez pas manqué de les f[aire] valoir.

Il paroît ici depuis 8 jours un livre nouveau, Enterrement du Diction[n]aire de l’Acad[emie] françoise pour reponse à M. Mallement de Messange qui a fait la critique d’un autre livre du même auteur anonyme intit[ulé] Apotheose du Diction[naire] de l’Acad[emie] fr[ançoise]. La ceremonie de cet Enterrem[en]t sera longue, car quoique ce volume qui est de plus de 300 pages, contienne 215 remarq[ues], ces remarques ne sont que sur l’epitre, la preface, et les 3 1 eres lettres du Diction[nai]re A. B. C.[ ;] aussi l’auteur promet une suite car il finit par ces mots Restat adhuc nobis spatiosum / littus arandum.

L’abbé Marsolier vient aussi de nous don[n]er une Histoire de Charles VII en deux vol[umes] in 12 chés • Pralard. J’ai oui dire qu’il y a bien des fautes contre la chronologie, je ne sai si ceux à qui j’en ai oui parler disent vrai car je n’en ai encore vu que le titre.

M. Bernier vient encore de se metamorphoser une 2 e fois : ce n’est plus M. de Pepinocourt, c’est auj[ourd’hui] M. de S[ain]t Honoré qui vient de publier une nouvelle production sous le titre de Jugement et nouvelles observations sur les œuvres gre[c]ques, latines, toscanes et francoises de M[aitre] Francois Rabelais D. M. ou le veritable Rabelais reformé, avec la carte du Chinonois pour l’intellig[en]ce de quelques endroits du roman de cet auteur, ses medailles, celle de l’auteur du jugement et des observations, et celle du medecin de Chaudrai auquel cet ouvrage est dedié par un medecin son contenporain et admirateur. C’est un volume in 12 qui contient plus de 500 pag[es] non compris son epitre qui est également longue, ennuyeuse et triveline*, sa preface et ses additions mal digerées et pleines de fautes, et tres mal imprimées. Je n’ai cet ouvrage que d’hier au soir, et n’en ai lu que • l’epitre qui m’auroit degouté de l’ouvrage si je n’eusse remarqué qu’il est assés bien imprimé, mieus écrit que je n’attendois de l’auteur et qu’i [ sic] contient des conjectures assés judicieuses pour le peu que j’en ai lu. Il don[n]e la vie de l’auteur, et critique celle que porte l’edition de Hollande, il fait l’histoire de ses ouvrages et des diff[eren]tes editions qui en ont paru. Je voudrois déja que vous l’eussiés. Don[n]és moi je vous prie le moyen de vous l’adresser, une adresse par laquelle je puisse quelquefois vous faire part de quelques nouveautés quand l’occasion s’en presentera.

Monsieur l’abbé Bignon me dist qu’il y a quelques jours qu’il se don[n]eroit l’hon[n]eur de vous écrire / aujourd’hui, mais des affaires l’ont obligé de sortir dês le matin. Il est rempli de vénération pour votre mérite. M. Corneille nous a don[n]é une nouvelle edit[ion] des Remarques de Vaugelas sur la langue franç[oise] avec de nouvelles observations. Je vous prie de faire mes civilités à M. Léers et de lui dire que je n’appren[d]s aucune nouvelle des paquets qu’il a adressés à M. Fiévet à Lisle, depuis une lettre du 5 juillet par laquelle il me disoit qu’il attendoit le lendemain un ballot qui lui venoit de Gand, et qu’il m’envoyeroit ce qui y étoit pour Monsieur l’abbé Bignon et pour moi dès que cette partie auroit été visitée. Voila d’étranges longueurs. Ces livres auront perdu l’air de la nouveauté quand ils arriveront.

Je vous prie de me permettre d’assurer ici Mess[ieurs] Basn[age] et de Beauval de mes tres humbles respects, et de vous bien persuader de la veneration tres particuliere avec laquelle je suis Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur

Simon de Valhébert

J’oubliois à vous dire que la carte du pays de Chinon que M. B[ernier] a don[n]ée dans son Rabelais reformé, lui a été communiquée par un de nos illustres qui avoit pris la peine de la dresser, mais qui a eu ses raisons pour ne pas permettre qu’on lui en fit hon[n]eur. C’est pourquoi je dois garder à son égard le même silence que vous gardés à l’égard de l’aute[ur] des Remarq[ues] sur la conf[ession] de Sanci, dont quelques personnes savent pourtant ici le nom.

A Monsieur / Monsieur Bayle / A Rot[t]erdam / Hollande •

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