Lettre 13 : Pierre Bayle à Jacob Bayle

[A Genève, le 21 septembre 1671]

Puis que je vous ay promis de vous ecrire fort au long par le moyen d’un jeune homme de notre pays qui s’en va revoir ses parens [1], il est juste que je vous tienne ma parole, et voicy comment je la veux tenir. C’est en vous parlant de plusieurs livres que j’ay ou leus, ou veus ou dont j’ay ouy parler depuis que je suis en cette ville, et de plusieurs autres choses que ma memoire me pourra fournir par cy par là, avec quoy si je ne me trompe, il se pourra bien faire que ma lettre ne sera pas des plus courtes que vous ayés veues en votre vie. Vous saurés donc que comme je ne suis pas capable d’une forte application, ce qui fait que le dernier livre que je vois, est celuy que je preferre à tous les autres ; il est arrivé que j’ay fait une lecture assés vague et assés diversifiée, et que j’ay bien souvent changé de tablature* en peu de tems, car tantot je me suis adonné aux langues, tantot à la philosophie, en suitte à l’histoire, aux antiquités, à la geographie, et aux livres gallans selon que ces diverses matieres m’etoient offertes, et tout cela sans faire qu’effleurer les choses, arrivant toujours que je suis degouté d’un sujet avant que d’avoir eu le tems de le cognoitre, soit qu’il ne me plaise plus du tout soit qu’il me plaise moins que quelqu’autre dont la curiosité me prend. D’où que cela procede il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maitresse, que j’ai varié mes lectures. J’ay donc leu premierement la grammaire greque de Vossius qui n’est qu’un choix de ce qu’il y a de meilleur dans Clenard et dans Antesignan [2] avec quelque peu de remarques qu’il y a mises du sien. Je parle de Vossius le pere nommé Jan Gerard, fameux par un nombre innombrable de livres savans qu’il a donnés au public, entre lesquels ceux cy sont particulierement dignes de consideration l’ Histoire du pelagianisme. La Theologie des gentils. Des historiens et des poëtes latins et grecs : une grande rhetorique. plusieurs traittés sur la grammaire et les vices du langage. des dissertations sur la genealogie de Jesus Christ et le tems de sa naissance, bapteme, mort, etc [3]. et plusieurs autres qu’il seroit long de vous rapporter. Il suffit de vous dire qu’ayant exercé la charge de professeur en histoire à Amsterda[m] avec une haute reputation, il a laissé un fils qui a succedé et à sa charge et à son savoir profond. C’est l’excellent Isacus Vossius connu par toute l’Europe par ses ecrits et par la grande capacité qu’il y a temoignée tant dans la philosophie que dans l’Antiquité. Sans parler de plusieurs Anciens qu’il a corrigés et illustrés de notes fort judicieuses, il a composé un livre de l’origine des fontaines et des fleuves où il temoigne une profonde science bien qu’il ne suive pas l’opinion la plus probable et la plus vray semblable qui est que toutes ces eaux qui composent les rivieres et les fontaines viennent de la mer [4].

Apres avoir donc leu ces regles de grammaire je m’abandonnay à la lecture des poetes grecs et pour commencer par le plus facile et le meilleur tout ensemble je leus toute l’ Iliade et toute l’ Odyssée d’ Homere, ensuitte les œuvres d’ Hesiode et de Theocrite le plus obscur de tous ces trois là. Pour les autheurs latins j’ay leu quelques satyres de Juvenal ; quelque peu des Metamorphoses d’ Ovide et quelques harangues de Ciceron. Mais je me suis beaucoup plus attaché je ne sai par quel caprice, à la lecture des modernes[ :] en effet j’ay leu les harangues de Passerat professeur en eloquence à Paris [5]. Clamor regii sanguinis faussement attribué à Mr Morus [6][,] la reponse de Milton à ce cry du sang royal où il s’emporte contre Mr Morus [7] qui n’en pouvoit mais, de la maniere la plus sanglante du monde. Le Fides publica [8] de Mr Morus où il se purge des accusations de Milton : la replique de Milton au Fides publica [9] et la reponse du meme à la Deffense royale que Mr de Saumaïse [10] composa apres la tragique mort du roy Jaques [11]. De tous le[s]quels livres j’ay assés dit mon sentiment dans les lettres que j’ay ecrites ou à Mr Rivalz ou à vous meme. J’ay leu aussi quelques harangues latines de Mr Morus les plus eloquentes et les plus brillantes que je vis jamais, le panegyrique de Calvin, qui est sans doute une piece où la plus pompeuse* rhetorique triomphe pleinement et est menagée avec un temperament* de figures et d’ornemens de langage tout à fait inimitable. L’oraison qu’il fit De pace ecclesiastica qui ne cede en rien à l’autre. celle où il explique la devise de Geneve sol et scutum. Et celle qu’il prononcea à Amsterdam où il etoit professeur en histoire sacrée, sur la victoire remportée en 1656 sur les Turcs par les Venitiens, avec un poeme heroique où il chante les beaux faits des victorieux si bien, qu’il en a eu du Senat des grandes recompenses et que les residens de la Republique ont eu de tems en tems ordre de luy faire civilité là où il se trouvoit [12].

J’ay leu aussi une tres belle harangue de Mr Frederic Spanheim qu’il prononcea en 1635 etant professeur en theologie, touchant la reformation de Geneve arrivée justement cent ans y avoit*, sous le titre de Geneva restituta [13]. Comme aussi le panegyrique du prince d’Orange Frederic Henry prononcé par le meme à Leyde en [14] 1647 où il etoit professeur en theologie. Ce grand homme a laissé des enfans tres dignes de luy, l ’ainé [15] qui est un homme d’affaires et qui a eté ministre d’etat du prince palatin[,] est un des savans hommes de l’Europe dans les humanitez ausquelles il s’est plu d’une telle maniere que son pere ne put jamais lui donner du gout ni pour la filosophie, ni p[ou]r la theologie, encore que ce fut sa passion q[ue] son fils etudiat p[ou]r le ministere[.] Mais il falut ceder au penchant qui l’emportoit p[ou]r les sciences de l’humanité ausquelles il fit de si grands progres • en peu de tems que son pere ayant à ecrire une replique contre Mr Amiraut qui[,] sur le pretexte de quelque mot latin que Mr Spanheim censure en passant dans ses Exercitationes [16] de la grace universelle, le chicana sur diverses phrases dont Mr Spanheim s’etoit servi, ce fils quoi qu’à peine agé de 20 ans prit sur luy le soin de satisfaire à toute la critique de grammaire, et s’en aquitta si bien que son ecrit imprimé avec l’ouvrage posthume du pere [17] l’a fait admirer de tous les doctes[,] tant il y paroit une grande lecture, une grande connoissance de la langue latine, et un esprit extremement penetrant. Aussi fut il apellé bien tot apres[,] quoi qu’il fut • si jeune que ses compagnons alloient encore au college, à la charge de professeur en eloquence dans l’Academie de Geneve où il etoit né, et ce fut là qu’en 1651 il prononcea le panegyrique de la reyne Christine [18] le plus fleuri et le plus brillant et le plus eloquent qu’on puisse voir et d’une latinité merveilleuse. Il a fait imprimer depuis quelques années un livre des medailles [19] qui a eté fort estimé. Le Journal des savans de 1665 en parle avec eloge [20], mais qu’auroit il dit, s’il eut eté augmenté et reveu de nouveau par l’autheur, comme il a eté cette année derniere [21]. Son second frere [22] est professeur en theologie à Leyden où l’illustre pere de l’un et de l’autre est mort exerceant cette profession.

Au reste, puis que nous sommes sur le chapitre de Leyden j’ay ouy dire que Mr Gaillard y est ministre de l’Eglize francoise [23][.] Je vous prie de luy ecrire de moy ce que vous jugerez à propos, afin que si le cas y echet* il soit disposé de me rendre ses services. Mais pour revenir à nos moutons vous saurés que j’ay leu les Epitres de Mr Le Fevre [24] qui sont ecrites avec une netteté et une force de langage incomparable, et remplies d’une critique fort fine et fort recherchée. Il corrige divers passages des Anciens qui etoient demeurés corrompus encore qu’ils eussent passé par les mains des plus excellens maitres, et il s’acquitte de cela avec tant de bonheur qu’il paroit bien qu’il a le genie de cela. Il porte meme sa critique sur l’Ecriture saincte [25] et montre qu’il y a faute dans plusieurs endroits ou par la malice ou par l’ignorance des copistes. Cela pourroit etre suspect s’il le disoit luy seul veu son peu de pieté [26], mais tous les traducteurs presque ont la meme pensée comme Erasme et l’illustre Theodore de Beze [27] qui avouë souvent que[,] s’il osoit donner lieu à la conjecture en ajoutant ou changeant quelque syllabe[,] il oteroit des difficultés apres lesquelles les interpretes suent inutilement, mais il ayme mieux laisser les choses comme elles sont que changer quelque chose au texte de l’Ecriture[,] bien que les differentes lectures qui se trouvent dans les divers manuscrits qu’il a consultés prouvent invinciblement qu’il y a faute ou dans les uns ou dans les autres[,] ne se pouvant faire que deux choses eloignées l’une de l’autre ayent eté dictées aux ecrivains sacrés. Or comme il n’y a point plus de raison de croire qu’un manuscrit est plutot corrompu qu’un autre en un certain verset, il semble qu’on devroit condamner la lecture qui s’acorde moins avec les antecedens et les consequens et qui n’entre pas dans le raisonnement du lieu dont est question. Et il y a de celebres theologiens qui ont assés bonne confiance au bon sens pour croire que qui aura bien examiné le but de l’apotre par exemple, la suitte de son discours, la maniere dont il veut insinuer une verité et telles autres choses, pourra retablir les passages corrompus et oter les fautes qui se sont glissées.

C’est à ce qu’on m’a dit le sentiment de feu Mr Capel qui a fait un gros volume pour prouver la nouveauté des points, et qui pour se defaire de l’objection de messieurs de l’Eglise romaine, que ceux qui ont mis les points ont pu accommoder l’Ecriture à leur poste* et luy faire dire tout ce qu’ils ont voulu, qui est ce qu’ils demandent eux qui veulent qu’elle ne soit point le juge des controverses [28], il repont que s’ils avoient corrompu quelque passage en colloquant mal les points, un habile theologien ne manqueroit pas de reconnoitre par la suitte du discours et la nature du lieu que cela ne quadreroit pas et ainsi la corruption se pourroit toujour[s] guerir sans peine. Je trouve que c’est fort affoiblir l’authorité des Ecritures, et qu’il faudroit bien se garder de la soumettre à la raison des hommes qui selon leurs differentes passions chercheroient divers sens à un meme chapitre, et ne voudroient jamais demeurer d’accord de la conjecture de leurs adversaires comme font les critiques à l’egard des passages d’un Virgile, d’un Horace et d’un Ciceron[,] mais d’autre coté on ne p[e]ut nier qu’il n’y ait des endroits de l’Ecriture où on ne lit pas comme il y avoit au commencem[en]t puis qu’à peine 2 exemplaires meme des plus anciens se trouveront conformes en ces endroits là[,] l’un portant un mot l’autre en portant un autre, et moins encore p[e]ut-on nier qu’un habile homme ne p[e]ut changer quelques mots qui feroient un sens plus juste que ceux qui sont aujourd’huy dans le texte. Par exemple[,] qui p[e]ut bien gouter en saint Jean ch[apitre] 8 v[erset] 22 que les Juifs sur ce que J[esus] C[hrist] avoit dit[,] Là où je vay vous ne pouvés pas venir, se demandent entr’eux[,] Se tuera t’il luy meme puis qu’il a dit là où je vay vous ne pouvés pas venir[?] Il n’y a nul sens à cela, dit Mr Le Fevre [29], et il faudroit etre le plus extravagant du monde pour s’imaginer qu’un homme qui menace de s’en aller en un lieu où personne ne le p[e]ut suivre, se doit tuer luy meme, car outre qu’il n’y a nulle connexion entre ces choses, il n’est pas vray qu’un homme qui se tue luy meme aille en un lieu où les autres ne puissent aller aussi bien que luy, et les Juifs qui savoient bien qu’ils n’etoient pas en ce monde pour une eternité n’ignoroient pas qu’ils mourroient un jour, et partant ils n’auroient seu ce qu’ils disoient s’ils eussent pensé à cause de ce que Jesus C[hrist] leur avoit dit, qu’il se tueroit luy meme. Ces inconveniens font juger que le mot qui est dans l’original asavoir a0poktenei occidet a eté mis là par corruption, et qu’il faudroit a0pocenoi= peregre proficiscetur [30] qui fait un sens fort juste avec ce qui precede et avec ce qui suit. Je vous prie de vous entretenir de cela avec vos amis savans et m’aprendre un resultat de cette conversation[scol] je ne doutte pas qu’on ne puisse imaginer cent jolies chymeres pour justifier la demande que se faisoient les Juifs, ausquelles sans doutte ils ne penserent jamais.

Mais je reviens à mes livres. Vous saurez donc qu’outre les lettres de Mr Le Fevre j’ay leu quelques unes de celles de Casaubon [31], et quelques-unes de celles de Scaliger [32]. Pour les lire toutes, je n’ay eu garde tant pour n’avoir pas assés de loisir que parce qu’il y en a quantité qui n’en vallent pas la peine, ce que vous comprendrés aisem[en]t si vous faites reflexion que la pluspart du tems les plus doctes ecrivent avec beaucoup de negligence une lettre qu’ils croyent ne devoir jamais sortir du cabinet de leurs amis, et qu’apres leur mort, il se trouve toujours quelqu’un porté d’un zele indiscret pour la memoire du defunt, qui ramasse jusques aux moindres billets qu’il a ecrit à son tailleur et en fait un present au public dont on luy fairoit grace tres volontiers. Cela fait que je me suis resolu de ne lire point de lettres posthumes sans precaution. Je liray pourtant à la premiere rencontre cum bono Deo [33] celles de Mr Naudé [34] qu’on a imprimées icy depuis 4 ou 5 ans, bien longues années apres la mort de ce grand homme qui a eté bibliothecaire des cardinaux de Baulne, Barberin, et Mazarini [35][,] la bibliotheque duquel il a batie et enrichie des plus rares pieces de l’Europe[,] ayant fait pour cela une infinité de voyages de part et d’autre. Enfin durant la disgrace du cardinal Mazarin il fut attiré par la reyne de Suede pour luy aider à augmenter la bibliotheque qu’elle avoit dessein de • perfectionner[,] et en effet il demeura quelque tems aupres d’elle [36][,] mais l’amour de la patrie luy prit bien tot[,] si bien qu’il demanda son congé et l’obtint. Mais etant arrivé à Abbeville en Picardie il fut atteint d’une fievre qui l’emporta au grand dommage des lettres en 1653. Comme il avoit connoissance et commerce avec tous les savans de l’Europe on p[e]ut dire que ses lettres sont comme l’histoire de la republique des muses [37][scol] en effet on y voit tous les desseins des bonnes plumes, les differens qui les brouilloient ensemble, et les livres qu’ils composoient, et comme il gardoit copie de ce qu’il ecrivoit à ses amis, on put juger dés là que ses epitres sont aussi elabourées que s’il les eut données au public[,] car autrement si on eut eté les redemander à ceux à qui elles avoient eté ecrittes comme on a fait celles de Casaubon, je ne m’y fierois pas trop.

J’ay leu aussi les œuvres de Mademoiselle Schurman [38] qui consistent en lettres latines, grecques, et francoises et quelqu’une meme en hebreu, avec quelques poesies latines, ce qui m’a semblé fort poli et fort net. J’ay leu encore un petit traitté de Jonston, De naturæ constantia [39] où il prouve que c’est une erreur populaire de penser que le monde deperisse de jour en jour, et il montre que la nature a eté generalement parlant aussi foible et aussi enervée puisqu’enervée y a, du tems de Moyse qu’elle l’est aujourd’huy ; depuis Mr de Rampale [40] a prononcé dans l’Academie francoise un discours pour faire voir que le monde ne va pas en empirant, et autant que je le puis conjecturer il se sera servi des memes raisons que Jonston. Je ne vous parle pas ni d’un traitté de Meursius De funere [41] ni du Libitina du jesuite Pomery [42] dans lesquels on voit tout ce qui concerne les coutumes des anciens payens sur la sepulture des morts. Je ne vous dis rien non plus d’une dissertation du Pere Rapin sur les poemes d’ Homere et de Virgile [43] dans laquelle il decouvre les foiblesses d’Homere avec beaucoup de jugement et d’eloquence, et enfin il donne le prix à Virgile dont il exalte fort le merite. C’est un bel esprit comme vous savés et grand poete comme le temoigne son poeme De hortorum cura [44] qui est une continuation des Georgiques de Virgile. Mais je vous parleray d’un petit livre qui est propre pour les heures de recreation que j’ay leu avec beaucoup de plaisir. C’est Le Barbon de feu Mr Balzac [45] dans lequel il decrit un pedant de la plus divertissante maniere du monde. C’est un sujet qui a eté fort touché de nos jours. Mr Menage a fait merveille dans La Vie de Mamurra [46] qu’il a composée en latin. Cyrano Bergerac dans une comedie qu’il apelle Le Pedant joüé [47] a eté inimitable, pour ne rien dire de Regnier qui en a fait une satyre tout expres [48], ni du Momus du Pere Strada[,] fameux jesuite du College romain qui a composé une fort belle Histoire de Flandres, d’un stile le plus pur du monde[,] que Mr Du Rier a mise en francois [49] : ni de Moliere qui en a produit de roles les plus ridicules de la terre sur son theatre [50]. Enfin je vous parleray de la celebre Mad[emoiselle] Des Jardins qu’on apelle autrement Madame de Villedieu, dont on voit tous les jours des ecrits d’une elegance admirable. Elle a donné au public 2 tomes des Amours des grands hommes et en promet plusieurs autres où elle se propose de nous faire voir tous les sages de l’Antiquité et tous les grands conquerans amoureux. Elle a commencé par Solon, Socrate, Caton d’Utique et Cæsar et ce qu’il y a de beau c’est que parmi les fictions de son esprit elle conserve les plus remarquables traits de l’histoire de ces gens là[,] ce qui est une double utilité au lecteur. Elle a fait aussi les Annales galantes en 2 tomes et quatre parties du Journal amoureux de six qui ont deja paru [51].

Pour vous parler de quelque chose d’assés nouveau je vous diray que les Entretiens du Pere Bou[hou]r jesuite [52] qui paroissent depuis quelques mois ont eté leus avec grand applaudissem[en]t et en effet il ne se p[e]ut guere rien voir de mieux ecrit ni de plus poli. De six entretiens qu’il y a[,] le meilleur à mon avis est celuy des langues où il fait voir que la notre est la plus belle des • viva[n]tes et qu’elle a des beautez qui ne le cedent ni à la grecque ni à la latine. Il fait pour prouver cela des reflexions fort savantes qu’il enrichit toujours de quelques comparaisons fines et de quelques ingenieuses applications de vers italiens et espagnols. Cela est fort à la mode que de faire des livres à la maniere d’un entretien de 2 amis. Mr le marechal de Clerembaud a fait sur cet air là, des conversations avec le chevalier de Meray qui valent beaucoup [53]. Que vous diray je ? C’est q[ue] j’ay leu un tome de l’ Almahide [54]. Ce roman est de la force des autres que Mr de Scudery a composé[s][scol] voire il me paroit plus vif que tout ce q[ue] j’ay veu des autres. Je laisse à vous parler de plusieurs livres m’imaginant qu’il y en a assés pour ce coup.

Au reste parce que cecy ne coutera rien pour le port, je vous ay fait copier quelques inscriptions qu’on a faittes pour mettre à l’entrée du Louvre [55]. On a proposé à tous les bons poetes d’en faire sous la promesse de 2 000 ecus pour celuy qui seroit jugé avoir fait la meilleure et enfin Mr de La Monnoye [56] de Dijon a emporté le prix. Mad elle de Scudery a emporté la victoire pour la prose. Je vous envoye aussi l’epitaphe du general Monck [57] qui apres la mort de Cromuel pouvant se mettre en sa place, caril avoit toute l’armée à sa devotion, ayma mieux employer son credit à faire revenir le roy qu’à le devenir luy meme. J’y ajoute pour la farce des vers de la force de ceux de Cadaichou [58] de ridicule memoire, dont vous pourrés vous divertir. Je vous envoye encore la copie de 2 lettres [59] que deux de mes amis ont ecrittes l’un contre l’autre. Le fait est qu’une demoiselle de la campagne qui se mele de lire et qui aime à cause de cela la conversation des gens d’etude pria un de ses amis de luy mander son sentiment sur un petit livre de l’abbé Cotin intitulé La Menagerie [60], qui est une petite relation du demelé que led[it] Cotin a eu avec Menage. Il le fit, et comme Cotin ni son ouvrage ne luy plaisoient pas il en fit quelque critique et l’envoya à la demoiselle. Comme elle la montroit à diverses personnes il arriva qu’un honnete homme qui n’avoit qu’un commencement de lecture vit avec grand plaisir cette lettre et la loua avec quelq[ue] empressement. On raporta cela à une personne de sa connoissance qui avoit une copie de la lettre, et comme il n’approuvoit pas qu’on la louat, il en fit une refutation d’une longueur assés raisonnable et l’envoya à ce sien amy. En deffaut de bons livres on s’est amusé à la campagne à ces 2 ecrits et on en a fort parlé diversement[.] Pour moy qui connoissois l’un et l’autre de ces deux ecrivains j’eus moyen d’avoir une copie de leurs lettres et parce que pendant que le second ecrivoit le premier s’etoit retiré dans son pays[,] il n’y eut pas à craindre qu’ils se brouillassent[,] ce qu’ils auroient peut etre fait veu les invectives où l’autheur de la reponse s’est dispensé*. Cependant je vous avouë que j’ay pris plus d’intheret à la premiere lettre qu’à la seconde et que j’ay cherché plus le foible de celle cy que de celle là[,] soit que j’estime plus celuy qui soutient Menage ou que l’amitié qu’il a pour moy m’engage à luy fournir de quoy bien laver la tete à l’apologiste de Cotin. Je vous demande votre sentiment sur l’une et l’autre de ces 2 pieces [61] et celuy de Mr Pradalz [62] à qui vous le[s] communiquerez s’il vous plait. Faites toutes les remarques de critique que vous pourrés sur tout contre la longue lettre. Mandés moy ce qui se pourra dire contre son stile, et cette maniere si raisonnante et si prolixe qui regne par tout, enfin fournissez moy des armes pour bourrer* un peu cet homme là et ne l’epargnez point[,] soyez un critique chicaneur et pointillés autant que votre loisir vous le pourra permettre. Que Mr Pradalz en face autant s’il vous plait.

A Dieu mon cher frere ecrivez moy le plus souvent que vous pourrez. Je vous avertissois par ma derniere [63] qu’un illustre jeune homme nommé Mr Basnage [64] avec qui je suis logé, et qui cherche d’etablir un grand commerce* de toutes parts, ne sera pas faché d’en avoir avecque vous. Il ayme les belles lettres passionnement, et sait toujours cent belles et curieuses choses touchant la republique des muses dont il vous regalera dans ces pays deserts et eloignés de la source des nouvelles où vous vivés quasi toto divisi orbe Britanni [65] . Excusés ce reproche. Cependant comme je vous le disois dans ma derniere, il ne vous est pas impossible de fournir votre ecot à ce commerce epistolaire. Outre que vous avez l’art de bien ecrire et que vous etes un ruisseau qui coule de source, vous pourrez aprendre à ce Mr ce qui regarde les muses de la Guienne et du Languedoc dont on n’entend point parler icy. Si donc les beaux esprits de Castres, de Montauban et de Puylaurens savent quelq[ue] chose et font quelq[ue] chose ce seront toutes nouvelles dont vous ferés bien de vous nantir pour en donner avis devers deça*. Le Mas d’Azil [66] vous pourra fournir bien des materiaux[ ;] ces messieurs vont souvent à Thoulouze et visitent la Porterie [67] assés souvent et quand il n’y auroit que Mr de Pradals que vous pouvés entretenir viva voce [68] ou par ecrit, vous aurés toujours quelq[ue] nouveauté. Mais que dis je que Mr Basnage sera bien aise de lier commerce avecque vous, il commence à vous ecrire par cette commodité* et vous aurez une lettre latine de sa facon cy incluse [69]. Il aime à s’entretenir comme cela en la langue des doctes. Et pour vous je ne croy pas que vous soyez faché de derouiller un peu votre latin que vous avez parlé si bien n’agueres dans les Academies. Outre ce que je vous ay dit, puisqu’il me reste encore un peu de papier, vous saurez que les Entretiens d’Eugene et d’Ariste par le Pere Bou[hou]r qui ont eté• tres bien receus, n’ont pas eté au gout de tout le monde puis que deja il en a paru à Paris une critique [70]. Il y a quelque apparence que c’est quelqu’un du Port Royal qui l’a faitte parce que le Pere Bou[hou]r les avoit assés maltraités dans son entretien des langues, examinant la traduction d’un petit livre intitulé L’Imitation de J[esus] Christ qu’ils ont faitte [71]. Mr Menage fait imprimer des Remarques sur la langue francoise où quelquefois il est du sentiment de Vaugelas quelquefois non [72], à ce qu’en a ecrit un honnete homme qui en voit les feuilles à mesure qu’elles partent de sous la presse. J’ay oublié de vous avertir que pour lire avec plus de plaisir les 2 lettres dont je vous envoye copie, il vous faudroit avoir La Menagerie de Cottin qui n’est qu’une lettre d’environ 30 ou 40 petites pages qu’il adresse à mademoiselle d’Orleans. J’ecrirois à mon cousin Naudis si j’etois asseuré qu’il passera les vacances au Carla. A Dieu mon cher frere. Je vous recommande à la grace de Dieu, souvenez vous de moy dans vos prieres qui suis à vous aere etlibra [73].

Je ne saurois me resoudre à laisser tout ce papier en blanc, tant je suis ennemi de ceux qui semblent vouloir vous envoyer de quoy ecrire la reponse que vous leur devés. Ainsi je ne vous diray pas adieu sans vous avoir encore parlé de quelques livres. Le premier qui se presente à ma memoire est celuy que feu Mr Blondel l’homme du monde qui avoit le plus de lecture et le plus de memoire a composé touchant les sybilles [74], pour prouver que le livre qui court sous le nom Des sybilles est un ouvrage supposé que le zele indiscret et aveugle des anciens chretiens forgea pour avoir des armes specieuses et foudroyantes contre les payens qui nioient l’incarnation. En effet ce grand mystere est si bien predit par ces sybilles et si bien accompagné de toutes ses circonstances et si nettement designé que l’Evangile n’est guere plus formel sur cette matiere. Jugés un peu si ce n’etoit pas reduire un payen à quia* de luy alleguer l’authorité des sybilles en faveur de J[esus] C[hrist] et luy faire voir que les oracles qu’il tenoit les plus infaillibles avoient predit sa naissance. Mr Blondel reconnoit que le grand desir que les anciens chretiens avoient de convertir les nations les empecha de faire toutes les reflexions qui auroient pu leur faire connoitre la fourbe, et que sans s’informer d’où leur venoit cette monnoye la voyant de grande utilité, ils en entreprirent le debit avec chaleur quoi qu’un peu d’examen eut peu suffire po[ur] leur faire remarquer qu’elle etoit fraiche venue de la forge de quelque chretien à fraudes pieuses, qui avoit voulu tromper les gentils pour leur mieux. Mr Le Fevre prouve la meme chose à l’egard de ce passage qui se trouve dans Josephe à l’avantage de J[esus] C[hrist] et fait voir par des raisons tres fortes que les anciens chretiens po[ur] argumenter ad hominem contre les juifs avoient fourré dans leur historien un temoignage pour le Messie à quoi Josephe n’avoit jamais pensé [75]. Vous voyés par là que les Peres avoient leurs deffauts aussi bien que nous. Le savant Petrus Cunæus professeur en droit à Leyde a remarqué dans une preface qu’il a mise au devant de la traductio[n] des Cesars de l’empereur Julien [76], que les Peres grecs etoient si immoderés dans leur amour et dans leur haine qu’ils ne louoient ni ne blamoient jamais qu’avec exces. De là vient qu’ils ont donné à l’empereur Constantin [77], prince en qui il y avoit bien à redire[,] plus d’eloges que les poetes n’en ont jamais donné à leurs heros, et à l’empereur Julien [78] qui à son apostasie pres, a eté un des plus achevés princes du monde, tant de blames, qu’il paroit dans leurs ecrits le dernier des ho[mm]es en tout sens. Je suis sur le point de lire la vie du Pere Paul, autrem[en]t Fra Paolo, ou Paolo Sarpi, ou Pietro Soave [79] l’autheur de cette belle Histoire du concile de Trente que Mr Diodati a traduitte en francois [80]. C’a eté l’un des plus grans hommes de son tems. On a imprimé icy ses lettres mais on croit qu’on en empechera le debit à cause que mess[ieu]rs de Rome y verroient qu’il entretenoit commerce avec ceux de notre religion comme Mr Du Plessis Mornay, Mr Diodati [81] etc. et qu’ainsi ils recuseroient son temoignage touchant l’histoire du concile que nous leur opposons plausiblement comme d’un moine qu’il a eté. Ce fut une des raisons qui •obligea feu Mr Daillé à s’opposer à l’impression de ces memes lettres quoiqu’au reste il eut beaucoup de passion pour la gloire du pere Paul qu’il avoit autrefois connu tres particulierement à Venize lors qu’il y conduisit les petits neveus [82] de Mr Du Plessis Mornay.

Le sieur Faure qui m’a promis de vous rendre ce paquet en main propre vous aprendra des nouvelles de mon etat particulierement. C’est un fort honnete jeune homme à qui j’ay bien de l’obliga[ti]on car il a eu beaucoup de soin de moy dans une maladie que j’eus l’hyver dernier. Je vous prie de le traitter fort civilement. S’il est besoin qu’il ne publie rien de moy vous l’instruirés sur cet article. Si je ne repons pas à votre lettre c’est q[ue] je l’ay fait assés amplem[en]t il y a environ trois sepmaines [83].

Vous saurés que Mr Arnaud a obtenu depuis peu qu’on n’appelleroit plus M rs du Port Royal jansenistes, car cela e[st] deffendu expressem[en]t [84].

le 21 septembre 1671
A Monsieur / Monsieur Bayle / f. m. du. s. E. / Au Carla

Notes :

[1A la fin de cette lettre on apprend que ce jeune homme s’appelle Fauré : c’est un garçon apothicaire de Saverdun.

[2En effet, la grammaire grecque de Gérard-Jean Vossius (1577-1649) s’intitule Institutiones linguæ græcæ, olim quidem scriptæ a Nicolao Clenardo, nunc autem […] locupletatæ […] operâ Gerardi Jo. Vossii (Lugduni Batavorum 1632, 8 o) : voir C. S. M. Rademaker, Life and work of Gerardus Joannes Vossius 1577-1649 (Assen 1981). Nicolas Cleynaerts, ou Clénard (1495-1542), un prêtre, fut l’un des premiers humanistes septentrionaux à s’intéresser à la langue arabe : voir V. Chauvin et A. Roersch, « Etude sur la vie et les travaux de N. Clenard », Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l’Académie royale des sciences de Belgique, 60 (1900-1901), p.1-203 ; R. C. Christie, « Clenardus, a scholar and a traveller of the Renaissance », in Selected essays and papers, éd. W. A. Shaw (London 1902), p.92-123 ; H. de Vocht, « Nicholas Cleynaerts and his training », in Monumenta humanistica Lovaniensia : texts and studies about Louvain humanists in the first half of the sixteenth century (Louvain, London 1934), p.409-23. Les Institutiones absolutissimæ in linguam græcam (Parisiis 1540, 8 o) de Clénard connurent de multiples rééditions, avec des additions et des changements apportés par d’autres hellénistes. C’est en particulier le protestant Pierre Davantes, dit Antesignanus (1525-1561), qui s’efforça de les rendre plus pédagogiques ; sur lui, voir DHC, « Antesignan ». L’ouvrage était utilisé dans les collèges de la Compagnie de Jésus, de sorte que divers jésuites retouchèrent encore ce manuel qui fut constamment réimprimé.

[4Isaac Vossius (1618-1689), fils de Gerard-Jean, fut lui aussi un des grands érudits de son temps. Il s’établit en Angleterre en 1670, où il devint aussitôt chanoine de Windsor. Il recevait une pension de Louis XIV, à qui il dédia le livre mentionné par Bayle : De Nili et aliorum fluminum origine (Hagæ-Comitis 1666, 4°). A la différence de son père, dont les sympathies étaient gomaristes, Isaac Vossius ne professait pas un calvinisme rigoriste, comme l’indique son passage dans l’Eglise d’Angleterre. Il était neveu de François Du Jon le fils, le bibliothécaire de Thomas Howard, earl d’Arundel. Voir F.F. Blok, Isaac Vossius and his circle. His life until his farewell to Queen Christina of Sweden, 1618-1655 (Gröningen 2000).

[5Jean Passerat (1534-1602) succéda à Ramus au Collège royal, en 1572. Il est l’un des auteurs de la Satyre Ménippée (1594), émanation du courant de pensée des « politiques », hostiles à la Ligue et favorables à Henri IV. Il s’agit peut-être des Orationes et præfationes (Parisiis 1606, 8 o).

[6Regii sanguinis clamor ad cœlum adversus parricidas anglicanos (Hagæ-Comitum 1652, 12 o), ouvrage dont on sut, après la restauration de Charles II, qu’il avait pour auteur Pierre Du Moulin le fils (1601-1684). Etabli en Angleterre, celui-ci avait pu faire parvenir clandestinement son manuscrit à Alexandre Morus qui se chargea de le faire imprimer.

[7Le poète anglais John Milton (1608-1674), correctement informé du fait que Morus s’était occupé de l’impression de l’ouvrage, l’en crut aussi l’auteur et se livra contre lui à des attaques personnelles cruelles dans sa Pro populo anglicano defensio secunda, contra infamem libellum anonymum (Londini 1654, 8 o).

[8Morus se défendit contre Milton en republiant le texte de l’auteur anglais avec la réfutation de ses incriminations : Fides publica, contra calumnias Joannis Miltoni (Hagæ-Comitum 1654, 12 o).

[9Milton répliqua à la défense de Morus par sa Pro se defensio contra Alexandrum Morum ecclesiasten, libelli famosi, cui titulus, Regii sanguinis clamor ad cœlum adversus parricidas Anglicanos (Londini 1655, 8 o). Le jeune Bayle ignorait encore que la querelle allait se poursuivre par un opuscule supplémentaire de chacun des adversaires ; il sera mieux informé par la suite : voir DHC, « Milton ».

[11« Jaques » : lapsus, lisez « Charles ».

[15Ezechiel Spanheim (1629-1710) fut invité à professer la philosophie dans sa ville natale dès 1650 : voir Borgeaud, Histoire de l’Académie de Genève, i.401 ; l’année suivante, son titre devint celui de professeur en éloquence. En 1656, au cours d’un voyage en Hollande qui comportait une mission diplomatique, il accepta une proposition de l’électeur palatin Charles-Louis et devint gouverneur du prince Charles, fils de l’électeur. Ezechiel Spanheim mena par la suite une carrière de diplomate en même temps qu’il devint un numismate renommé. Il a laissé une intéressante Relation de la cour de France en 1690, éd. E. Bourgeois (Paris 1900 ; rééd. 1973), où il avait été Résident de la cour de Brandebourg de 1680 à 1689.

[16Pour le titre complet des Exercitationes de Spanheim : voir Lettre 11, n.21.

[17Bayle se réfère ici aux Vindiciarum, dont on trouvera le titre complet Lettre 11, n.21.

[18E. Spanheim Panegyricus […] Christinæ […] reginæ (Genevæ 1651, 4 o) ; il en parut l’année suivante une traduction française : Panegyrique à la serenissime reine de Suede (Geneve 1652, 4 o).

[20Voir le JS du 2 février 1665.

[21E. Spanheim, Dissertationes […] editio secunda priori longe auctior, et variorum numismatum iconibus illustrata (Amstelodami 1671, 4 o). On notera que Bayle ne se trompe peut-être pas en disant l’ouvrage paru « l’année dernière », soit en 1670. En effet, les livres achevés d’imprimer dans le second semestre d’une année portaient fréquemment déjà le millésime de l’année suivante, afin que la lenteur de la distribution en Europe leur gardât plus longtemps ce que Bayle appelle souvent « la grâce de la nouveauté », une formule empruntée à Guez de Balzac : voir Youssef, Polémique et littérature, p.55, n.73.

[22Frédéric Spanheim le fils (1632-1701), fut comme son père un théologien d’une orthodoxie sourcilleuse. Encore très jeune, il fut professeur de théologie à Heidelberg, d’où il passa à Leyde en 1670.

[23Par « Eglise française », il faut entendre « Eglise wallonne ». Jacques Gaillard avait été pasteur à Bois-le-Duc de 1662 à 1666, année pendant laquelle il fut nommé non seulement pasteur et professeur à Leyde, mais en outre recteur du collège wallon de cette ville, pépinière de pasteurs francophones. Gaillard devait mourir en juillet 1688. Nous rencontrerons dans la correspondance de nombreux témoignages de ses rapports ultérieurs avec Bayle.

[25La critique de certains passages de l’Ecriture a lieu dans les Epistolæ, pars altera (Salmurii 1665, 4 o). Le Fevre propose huit corrections textuelles : Mc iv.1 (ii.53-54, ép. xvii, à Elie Bouhereau) ; Jn viii.22 (ii.159-62, ép. lxii, à Elie Bouhereau) ; Rm v.6-10 (ii.42-47, ép. xiv, à Gilles Ménage) ; Rm. x.16-18 (ii.346-52, ép. lxxii, à Elie Bouhereau) ; I Co vii.18 (ii.70-71, ép. xxvi, à Urbain Chevreau) ; I Co viii.10 (ii.63-65, ép. xxi, à Gilles Ménage) ; Ga ii.14 (ii.75-78, ép. xxix, à Elie Bouhereau) ; He xi.37 (ii.46-47, ép. xiv, à Gilles Ménage). L’ abbé Gallois en fit reproche à Le Fevre dans le compte rendu des Epistolæ, pars altera dans le JS du 3 mai 1666. Le Fevre y répliqua dans son Journal du journal, ou censure de la censure (Saumur 1666, 4 o), et Gallois lui fit de nouveau reproche dans le compte rendu de cette brochure, JS du 12 juillet 1666. Le Fevre réagit aussitôt par une Seconde journaline de Mr Le Fevre (Saumur 1666, 4 o) ; sur cet épisode, voir Laplanche, L’Ecriture, le sacré et l’histoire, p.546-547.

[26Sur la réputation de tiédeur religieuse ou même d’impiété qui entourait Tanneguy Le Fevre dans certains milieux réformés : voir Lettre 10, n.37.

[27Aucun passage spécifique soit d’ Erasme soit de Bèze ne correspond exactement, à notre connaissance, à l’allusion de Bayle.

[28Louis Cappel (1585-1658), après des études à Sedan, devint professeur d’hébreu à Saumur en 1614, puis professeur de théologie en 1633. Bayle fait allusion à son Arcanum punctationis revelatum, sive de punctorum vocalium et accentuum apud Hebræos vera et germana antiquitate diatriba ; in lucem edita Thoma Erpenio (Lugduni Batavorum 1624, 4 o). Cappel y soutint que les signes diacritiques (c’est-à-dire, les points-voyelles) du texte hébreu de la Bible n’appartenaient pas à la langue hébraïque la plus ancienne, mais avaient été introduits au cours du sixième siècle par les massorètes, grammairiens juifs de l’école palestinienne de Tibériade. Cette origine humaine des signes diacritiques les privaient du caractère d’inspiration divine littérale accordé par beaucoup de protestants au texte biblique. Les travaux de Cappel suscitèrent donc des réserves chez ses coreligionnaires, inquiets des conséquences théologiques auxquelles aboutissait la critique du professeur saumurois. En revanche, les théories de Cappel furent bien accueillies par les hébraïsants catholiques qui pensaient y trouver un appui pour leur contestation de l’autorité de la Bible et pour leur appel au rôle essentiel de la tradition. Cet accueil de la part des catholiques ne fit qu’augmenter l’opposition des protestants ; sur ce problème voir Laplanche, L’Ecriture, le sacré et l’histoire, p.212-24. Au cours de ses remarques sur Cappel, Bayle fait allusion au titre d’un ouvrage de Pierre Du Moulin le père : Du juge des controverses, traitté auquel est défendue l’authorité et la perfection de la Saincte Escriture contre les usurpations et accusations de l’Eglise romaine (Sedan 1630, 8 o).

[29Voir Le Fevre, Epistolæ, ii.159-62, ép. lxii, à Elie Bouhereau.

[30Le mot grec qui est dans Jn viii.22 – a0poktenei – troisième personne du singulier, futur du verbe a0pokteinw, signifie « il [se] tuera ». La conjecture faite par Tanneguy Le Fevre est qu’au lieu de cette forme il faudrait lire a0pocenoi, troisième personne du singulier de l’indicatif présent du verbe a0poceno/w, qui signifie « il s’exile » : voir Le Fevre, Epistolæ, ii.159-62, ép. lxii, à Elie Bouhéreau ; Laplanche, L’Ecriture, le sacré et l’histoire, p.547. La traduction latine que Bayle donne de la dernière expression grecque ( peregre proficiscetur) met le verbe au futur.

[31Isaac Casaubon, Epistolæ quotquot reperiri potuerunt, nunc primum junctim editæ (Hagæ Comitis 1638, 4 o). Cette première édition fut établie par Gronovius, elle fut suivie d’une seconde procurée par Grævius : Epistolæ, editio secunda LXXXII epistolis auctior, et juxta seriem temporum digesta (Magdeburgi et Helmstadi, Brunsvigæ 1656, 4 o).

[32Joseph-Juste Scaliger, Epistolæ omnes quæ reperiri potuerunt, nunc primum collectæ ac editæ (Lugduni Batavorum 1627, 8 o), édition procurée par Daniel Heinsius, qui connut une seconde impression (Francofurti 1628, 8 o).

[33« Dieu voulant. »

[34Gabriel Naudé (1600-1653), Epistolæ, nunc primum in lucem prodeunt [éd. Antoine de La Poterie] (Genevæ 1667, 12 o). Sur Naudé, voir Pintard, Le Libertinage érudit, p.156-73 et 245-70.

[35Le cardinal Giovanni-Francesco dei Conti di Bagno, dit Bagni (1565-1641), archêveque de Patras, nonce en Flandres, puis en France et évêque de Cervia, fut un diplomate renommé, un érudit et un bibliophile. Son nom était usuellement francisé en Baigné ; la forme adoptée ici par Bayle s’explique par le latin « a Balneo » : voir DHC, « Bagni ». Naudé fut son bibliothécaire pendant onze ans, de 1630 à 1641. A la mort du cardinal, Naudé devint le « gentilhuomo » (et non pas le bibliothécaire) du cardinal Antonio Barberini. Mais au mois de janvier 1642, Naudé quitta Rome pour entrer au service du cardinal Jules Mazarin (1602-1661), qui succéda à Richelieu comme premier ministre. Naudé fut le bibliothécaire de Mazarin jusqu’au moment où la bibliothèque du cardinal fut vendue par décret du Parlement, le 29 décembre 1651 : voir Pintard, Le Libertinage érudit, p.207-208, 246-47, 264-68, et 380-82.

[36Naudé quitta Paris le 21 juillet 1652 pour arriver à Stockholm le 13 septembre suivant. Il en repartit le 1er juin 1653 et mourut le 30 juillet, à Abbeville, pendant son voyage de retour. Christine de Suède (1626-1689) succéda à son père, Gustave-Adolphe Vasa, en 1632 ; elle abdiqua le trône de Suède en 1654 en se convertissant au catholicisme. Fort lettrée, la reine Christine passa les dernières années de sa vie à Rome, après avoir séjourné auparavant en France. Bayle devait par la suite avoir affaire avec elle : voir la lettre de Bayle à la reine Christine du 14 novembre 1686, et la réponse du 14 décembre 1686. Sur la reine Christine, voir S.K. Akerman, Queen Christina of Sweden and her circle (Leiden, etc. 1991) ; Pintard, Le Libertinage érudit, p.389s ; C.L. Thijssen-Schoute, Nederlands cartesianisme (Amsterdam 1954), p.595-610 ; S. Rosa, « The conversion of the Queen Christina of Sweden (1654) and the rhetoric of Catholic universalism », in M.-C. Pitassi et D. Solfaroli Camillocci (dir.), Les Modes de la conversion confessionnelle à l’époque moderne. Autobiographie, altérité et construction de l’identité religieuse (Florence 2010), p.137-158.

[37Première apparition d’une locution, d’ailleurs peu originale, qui laisse présager le titre du futur périodique que rédigera Bayle : Nouvelles de la république des lettres.

[38Anna-Maria van Schurman (1607-1678), célèbre pour son savoir exceptionnel, en particulier en matière linguistique (latin, grec, hébreu, arabe, syriaque). Elle correspondit avec de nombreux savants : Saumaise, Gassendi, Bochart, Mersenne, Conrart, et fut considérée comme sa « fille d’alliance » par André Rivet. A la fin de sa vie elle devint disciple du mystique Jean de Labadie (1610-1674) : voir T. J. Saxby, The Quest for the new Jerusalem, Jean de Labadie and the Labadists, 1610-1744 (Dordrecht 1987), p.221-34. S. Schama signale le mariage de Mlle de Schurman avec Labadie ( The Embarrassment of riches : an interpretation of Dutch culture in the golden age [London 1987], p.411), mais le silence de Saxby suggère que cette affirmation est erronée et fondée sur des racontars malveillants, les labadistes ayant été en butte à de nombreuses attaques. Il est probable que l’ouvrage lu par Bayle est celui qu’a édité Frédéric Spanheim, le père, Opuscula hebræa, græca, latina, gallica, prosaica et metrica (Lugduni Batavorum 1648, 8 o), qui connut plusieurs réimpressions. Voir aussi l’édition critique de la correspondance d’Anne-Marie de Schurman établie par C. Venesoen (Paris 2004) et le recueil Lire Jean de Labadie (1610-1674). Fondation et affranchissement, dir. P.A. Fabre, N. Fornerod, S. Houdard, M.-C. Pitassi (Paris 2016).

[41Johannes Meursius (van Meurs) (1579-1639), De funere liber singularis, in quo Græci et Romani ritus ; additum est de puerperio syntagma (Hagæ Comitis 1604, 8 o). Bayle exprimera plus tard son admiration à l’égard de cet auteur, voir NRL, juillet 1684, cat.vi.

[43René Rapin, S.J. (1621-1687), Observations sur les poëmes d’Homere et de Virgile (Paris 1668, 12 o) ; cette première édition fut faite à l’insu de l’auteur et suivie, l’année suivante, de deux autres éditions modifiées du texte initial : voir N. Hepp, Homère en France au XVII e siècle (Paris 1968), p.401-402. Il est impossible de déterminer laquelle de ces éditions Bayle a eue entre les mains ; les remaniements successifs ont atténué la sévérité de Rapin à l’égard d’ Homère.

[45Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654), Le Barbon (Paris 1648, 8 o). Sur cet ouvrage, voir J. Jehasse, Guez de Balzac et le génie romain 1597-1654 (Saint-Etienne 1977), p.394-95. Selon Youssef, c’est François Guyet qui a servi de modèle au Barbon, voir Polémique et littérature, p.213-19 ; selon A. Adam, François de Harlay, archevêque de Rouen aurait été le premier modèle de Balzac, qui ensuite remania son texte pour attaquer Guyet : voir Tallemant des Réaux, ii.947, n.2. Il y aura un article « Balzac » dans le DHC.

[46[ Gilles Ménage] (1613-1692), Vita M. Gargilii Mamurræ parasitopædagogi, scriptore Marco Licino (Luteciæ 1643, 4 o) : voir DHC, « Menage » et aussi « Montmaur ». Dans ce dernier article, Bayle se fait l’écho de la tradition selon laquelle c’etait Montmaur qu’avait visé la satire latine anonyme de Ménage. L’abbé Gilles Ménage (1613-1692), grammairien et lettré, vivait au cloître Notre-Dame, où il recevait ses amis tous les mercredis, d’où le nom de « mercuriales » donné à ces réunions savantes, que Bayle fréquentera quand il sera dans la capitale ; par la suite, il restera en relations épistolaires avec l’érudit.

[47Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), Le Pédant joüé, comédie (Paris 1654, 4 o) : voir H. C. Lancaster, A History of French dramatic literature in the seventeenth century (Baltimore, etc. 1929-1942), iv.494-97, et E. Harth, Cyrano de Bergerac and the polemics of modernity (New York, London 1970).

[48Mathurin Régnier (1573-1613), Œuvres complètes, éd. G. Raibaud (Paris 1958), xie satire ( xe en 1609), p.129-51.

[49Famiano Strada, S.J. (1572-1649), Momus, sive satyra Varroniana, poesi, poetisque cognoscendis accommodata (s.l. 1622, 12 o), ouvrage rarissime, que nous citons d’après Sommervogel, vii.1606. Il est probable donc que Bayle ne l’a pas lu, ou qu’il a consulté cet ouvrage dans une édition ultérieure : Elegantiores præstantium satyræ (Lugduni Batavorum 1655, 12 o, 2 vol.). La réputation littéraire de Strada repose avant tout sur son De Bello belgico, decas prima (Romæ 1632, folio), et son De Bello belgico, decas secunda (Romæ 1647, folio). Pierre Du Ryer (1605-1658) traduisit cet ouvrage sous le titre : Histoire de la guerre des Flandres (Paris 1644, folio), et Histoire de la guerre de Flandre […] seconde décade (Paris 1649, folio). Sur Du Ryer, voir R. Zuber, Les « Belles infidèles » et la formation du goût classique (Paris 1968), p.47-48, 53-54, 133-34.

[50Voir Molière, Les Femmes savantes, iii.2 et 3 ; iv.3 ; Le Misanthrope, i.2, vers 305-08. Dans une lettre ultérieure, sur le thème de la pédanterie, Bayle rendra explicite son allusion au Misanthrope, voir Lettre 30, n.8.

[51Marie-Catherine Desjardins (1640-1683), Les Amours des grands hommes (Paris 1671, 12 o, 2 vol.) ; Annales galantes (Paris 1670, 12 o, 2 vol.) ; Le Journal amoureux (Paris 1669-71, 12 o), cet ouvrage comporte six parties, dont Mme de Villedieu désavoua les troisième et quatrième. Par la suite Bayle mentionnera ce détail, mais commettra l’erreur de penser que le désaveu ne portait que sur une partie : voir Nouvelles lettres critiques, xxii.iii. Avec l’âge, Bayle deviendra hostile au roman historique, mais il saura gré à M me de Villedieu d’avoir affirmé explicitement qu’elle brodait autour de quelques faits connus : voir NRL, octobre 1684, cat.viii. Sur M me de Villedieu, voir DHC, « Jardins », M. Cuénin, Roman et société sous Louis XIV : Madame de Villedieu (Lille, Paris 1979) et Tallemant des Réaux, ii.900-909.

[52Dominique Bouhours, S.J. (1628-1702), Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène (Paris 1671, 4 o). L’orthographe adoptée par Bayle atteste la prononciation du nom propre par les contemporains.

[53Il s’agit d’un ouvrage d’Antoine Gombaud, chevalier de Méré (1610 ?-1684), Les Conversations d[u] m[arechal] d[e] C[lerembault] e[t] d[u] c[hevalier] d[e] M[éré] (Paris 1669, 8 o ; 3 e éd. déjà en 1671, 12 o). Philippe de Clérambault (1608-1665), comte de Palluau, devint maréchal de France en 1652 ; il dut son bâton de maréchal à son loyalisme à l’égard de la Cour lors de la Fronde. Sa veuve, qui lui survécut jusqu’en 1722, gagna toute la confiance de la duchesse d’Orléans, Madame Palatine.

[54Almahide, ou l’esclave reine (Paris 1660-1663, 8 o, 8 vol.), est un roman attribué à Madeleine de Scudéry (1608-1701), plutôt qu’à son frère, Georges (1601-1667), mais son titre, comme celui des autres romans de la féconde Précieuse, porte « Par M. de S. » : voir A. Niderst, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde (Paris 1976), et R. Godenne, Les Romans de Madeleine de Scudéry (Genève 1983).

[55Ces inscriptions, notées sur une feuille séparée perdue, ne se trouvent pas citées dans la Gazette. Bayle les aura probablement tirées de la Gazette d’Amsterdam ou de tel autre périodique étranger.

[56Voir Gazette, n o 103, nouvelle datée du 14 août 1671, qui rapporte les résultats de ce concours. Le Dijonnais Bernard de La Monnoye (1641-1728) deviendra beaucoup plus tard l’un des correspondants de Bayle.

[57George Monck (ou Monk) (1608-3/13 janvier 1670), premier duc d’Albemarle ; voir la Gazette, n o 15, nouvelle datée du 1 er février, et extraordinaire n o 28 du 7 mars 1670. La cérémonie funèbre fut retardée par la pompe que Charles II voulait lui assurer, et elle n’eut lieu que le 10/20 mai. Elle est signalée dans la Gazette, n o 70 du 31 mai 1670 ; on n’y lit pas l’épitaphe de Monck, que Bayle a donc connue par une autre source, probablement une gazette étrangère.

[58C’était le surnom d’un Bruguière, parent des Bayle et habitant du Carla, dont il est de nouveau question dans la Lettre 77. Il semble avoir eu des prétentions littéraires, dont on se gaussait autour de lui.

[59Ces deux lettres ne nous sont pas parvenues.

[60Charles Cotin (1604-1661), La Ménagerie (s.l.n.d. [1660 ?]). L’ouvrage est dédié à la Grande Mademoiselle, Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier (1627-1693), fille aînée de Gaston d’Orléans. C’est un mélange de vers et de prose qui doit son origine à la critique que Ménage avait faite de quatre vers de Cotin sur Madeleine de Scudéry : « Suivre la Muse est une erreur bien lourde,/ De ses faveurs, voyez le fruit :/ Les escrits de Sapho menèrent tant de bruit/ Que cette nymphe devint sourde. » A bon droit, Ménage avait jugé de mauvais goût une telle allusion à l’infirmité de Madeleine de Scudéry et Cotin prit très mal ce reproche : voir DHC, « Cotin », et RQP, i.xxix, où Bayle parle de l’abbé Cotin. Sur la Grande Mademoiselle, voir J. Garapon, La Grande Mademoiselle mémorialiste : une autobiographie dans le temps (Genève 1989), et D. Mayer, Mademoiselle de Montpensier : trois études d’après ses Mémoires (Paris, etc. 1989).

[61Il n’est pas impossible que Bayle soit l’un des deux « auteurs » sur les écrits duquel il souhaite le jugement de son frère. Toutefois, il est plus vraisemblable qu’il n’est que « l’honnête homme qui n’avoit qu’un commencement de lecture ». Les deux adversaires pourraient alors être Basnage et Minutoli. L’expression « à la campagne » est peut-être une allusion véridique à la propriété de Céligny, située dans les environs de Genève, où Minutoli passait la belle saison et invitait à l’occasion ses amis.

[62Pierre Du Cassé (ou Du Casse), sieur de Pradals, dont la noblesse avait été confirmée le 6 novembre 1669 : voir L. de La Roque, Armorial de la noblesse du Languedoc (Montpellier 1860), i.65. Il demeurait avec ses deux frères – Jean-Claude, sieur de Larbont, et François, sieur de Malecasals – au château de Larbont, non loin du Mas-d’Azil. Il semble avoir voisiné cordialement avec les Bayle, dont il partageait le goût pour les lettres et pour les nouvelles politiques. Il appartenait plutôt à la génération de Jean Bayle qu’à celle de Pierre. Il avait joué un rôle dans le retour de celui-ci au protestantisme, car à l’occasion de voyages qu’il faisait assez souvent à Toulouse, il y avait rencontré le jeune apostat, puis ménagé une entrevue entre Pierre et son frère Jacob qui cristallisa la résolution du premier de revenir à la religion réformée ; ainsi fut agencée la tactique complexe à suivre pour réaliser cette résolution et éluder les sanctions des autorités civiles. Il arriva à Bayle d’écrire à Pradals, pour qui il avait visiblement beaucoup de considération, mais aucune de ces lettres ne nous est parvenue.

[63Cette lettre ne nous est pas parvenue.

[64Basnage n’avait encore que dix-huit ans, et c’est peut-être pour cette raison que Jacob ne s’empressa pas de répondre aux avances du jeune proposant normand. Pierre en fut un peu dépité : voir Lettre 8, n.133. La proposition de Basnage au frère de Pierre répond au désir d’établir un réseau de correspondances, nécessité majeure chez qui ambitionnait de devenir citoyen à part entière de la république des lettres et d’être averti de la situation des Eglises réformées dans tout le royaume.

[65Virgile, Bucoliques, i.66 : « comme les Bretons, isolés au bout du monde » ; Bayle a mis au nominatif pluriel ce qui était à l’accusatif chez le poète.

[66Cette expression inclut Pradals de Larbont, les Bourdin, Jean Baricave (ou Barricave), un des deux pasteurs de la petite ville, et peut-être les Usson, tous amis ou parents des Bayle, plus riches qu’eux et grands amateurs de nouvelles littéraires et politiques.

[67C’était la rue des libraires à Toulouse : voir M. Caillet, L’Œuvre des imprimeurs toulousains aux XVI e et XVII e siècles (Toulouse 1963).

[68« De vive voix. »

[69Cette lettre ne nous est pas parvenue.

[70Bouhours s’était déjà fait connaître comme un farouche adversaire de Port-Royal dans sa défense de Georges d’Aubusson de La Feuillade, alors archevêque d’Embrun, au cours des polémiques soulevées par le Nouveau Testament dit « de Mons » (1667). Ses Entretiens de 1671 suscitèrent une critique fort pédante de la part de Jean Barbier d’Aucour, avocat ami de Port-Royal, sous le titre Sentimens de Cleante sur les Entretiens d’Ariste et d’Eugene (Paris 1671, 12 o). Bouhours obtint alors le soutien du mystérieux abbé Montfaucon de Villars, dont le roman comique Le Comte de Gabalis ou entretiens sur les sciences secrètes (Paris 1670, 12 o) avait provoqué l’indignation des théologiens de Port-Royal. Antoine Arnauld avait en effet obtenu que l’abbé de Villars fût interdit de chaire dès le mois de mars 1671. Villars s’en vengea en s’attaquant aux écrivains de Port-Royal dans son traité De la délicatesse (Paris 1671, 12 o), provoquant un nouveau commentaire de Barbier d’Aucour, dans une nouvelle édition des Sentimens de Cléante (Paris 1671, 12 o, 2 vol.). La polémique fut alors poursuivie par Gilles Ménage, qui, dans ses Observations […] sur la langue françoise (Paris 1672 et 1675, 12 o) s’en prit à Bouhours : c’est en effet celui-ci qui est visé sous le nom de « gentilhomme de province », pseudonyme qu’il prendra dans ses Doutes sur la langue françoise (Paris 1674, 12 o) : voir A. McKenna, « Ménage et Bouhours », in Gilles Ménage (1613-1692), grammairien et lexicographe, éd. L. Leroy-Turcan et T. R. Wooldridge (Lyon 1995), p.121-39.

[71De imitatione Christi, texte anonyme du quinzième siècle, généralement attribué à Thomas a Kempis, qui mourut en 1461. Cet ouvrage de piété, expression de la devotio moderna, connut d’innombrables éditions et traductions ; il fut apprécié aussi bien par les milieux catholiques que par les protestants aux tendances mystiques. Il s’agit ici de la traduction établie par Isaac-Louis Le Maistre de Sacy (1613-1684), publié sous le pseudonyme de « Sieur de Beuil, prieur de Saint-Val » (Paris 1662, 12 o), qui avait fait l’objet de la critique de Bouhours dans son entretien intitulé « La langue française », Entretiens d’Ariste et d’Eugène (Paris 1671, 4 o), p.135-52.

[72Sur les Observations de Ménage, dont Bayle cite ici inexactement le titre, voir ci-dessus, n.52. Claude Favre de Vaugelas (1585-1650), Remarques sur la langue françoise (Paris 1647, 4 o) ; cet ouvrage connut un grand succès car, dix ans après sa parution, il en était à sa quatrième édition.

[73Cette expression latine équivaut à la formule française « tout à vous ». L’expression latine signifie littéralement « par bronze [monnaie] et par balance », c’est-à-dire par un contrat en bonne et due forme – allusion aux formalités requises pour l’achat d’un esclave, par exemple.

[74David Blondel (1590-1655), grand érudit qui succéda à Vossius dans sa chaire d’Amsterdam : voir DHC, « Blondel ». Il est l’auteur du traité Des sibylles celebrées tant par l’antiquité payenne que par les saincts Peres (Charenton 1649, 4 o), où il démontre que les passages des oracles des sibylles païennes – prêtresses auxquelles on attribuait le don de prophétie – qui semblaient prédire l’avènement du christianisme sont en réalité des interpolations tardives, d’origine chrétienne.

[75Flavius Josèphe, historien juif du premier siècle, s’efforça de relever les juifs aux yeux des Romains, de qui il était estimé. Il a composé plusieurs ouvrages en grec. Dans ses Antiquités judaïques, xviii.iii.3, Jésus-Christ est mentionné, ce qui a valu à Josèphe d’être considéré comme chrétien par les Pères et durant le moyen âge. La première édition grecque des Antiquités judaïques (1544) est très fautive. Il en parut des traductions dans plusieurs langues européennes. Les hellénistes compétents – ici, Tanneguy Le Fevre – suivis par les exégètes actuels, considérèrent le passage concernant Jésus comme une interpolation. Ils récusèrent par là l’autorité traditionnellement accordée à Josèphe par les apologistes du christianisme. L’ouvrage de Le Fevre s’intitule Flavii Josephi de Jesu Domi[no] testimonium suppositum esse, Tanaquilli Fabri diatriba (s.l. 1655, 8 o).

[77L’empereur Constantin le Grand (vers 273-337), qui adopta le christianisme, n’en fut pas moins l’auteur de plusieurs crimes, tels que l’exécution de son fils, Crispus, et de sa seconde femme, Fausta. Ses apologistes tendaient à laisser dans l’ombre les côtés peu édifiants du personnage ; par un préjugé inverse, leurs adversaires les soulignaient.

[78L’attitude équitable de Bayle à l’égard de Julien l’Apostat révèle probablement l’influence de Montaigne : voir Essais, ii.xix, p.458-63, et xxi, p.471. Voir J. Boch, Apostat ou philosophe ? La figure de l’empereur Julien dans la pensée française de Montaigne à Voltaire (Paris 2013).

[79La Vie du P. Paul, de l’ordre des serviteurs de la Vierge, traduite de l’italien par F.G.C.A.P.D.B. (Leyde 1661, 12 o), a pour auteur un autre Servite, Fra Fulgenzio Micanzio : Vita del padre Paolo dell’ordine de’ Servi e theologo della Serenissima repub[lica] di Venetia (Leida 1646, 12 o). Certains bibliographes ont parfois attribué la traduction française à l’avocat protestant nîmois François Graverol, une conjecture actuellement abandonnée.

[80Pietro Sarpi (1552-1623), qui choisit le nom de Paolo en entrant en religion, fut un célèbre canoniste hostile aux tendances absolutistes de la papauté. Il avait animé la résistance de la République de Venise aux prétentions du Saint-Siège durant la crise de l’Interdit en 1606. Il noua des relations cordiales avec plusieurs théologiens protestants, dont Jean Daillé. C’est sous le pseudonyme de Pietro Soave Polano (anagramme de Paolo Sarpi Veneto) – et, prétendument, contre sa volonté – que parut son Historia del concilio tridentino (Londra 1619, folio), qu’il avait composée entre 1610 et 1618. Jean Diodati en fit paraître une traduction française, Histoire du concile de Trente (Genève 1621, 4 o), qui eut plusieurs rééditions. Ce livre, qui fait du concile de Trente un tableau assez féroce, incita le cardinal Pallavicino à le réfuter par un ouvrage du même titre, mais qui offrait une interprétation tout autre des événements.

[81Les lettres de Fra Paolo auxquelles Bayle se réfère furent éditées par Gregorio Leti et publiées à Genève sous de fausses indications typographiques : Lettere italiane di Fra Paolo Sarpi (Verona 1673, 12 o), mais elles passent pour apocryphes. Philippe de Mornay, seigneur Du Plessis Marly (1549-1623), théologien bien que laïc, fut un personnage de premier plan de la Réforme française et un auteur fécond ; c’est lui qui fonda l’Académie réformée de Saumur : voir R. Patry, Philippe Du Plessis-Mornay : un huguenot homme d’Etat (1549-1623) (Paris 1933).

[82« neveux » est un latinisme : il faut comprendre « petit-fils ». Daillé accompagna les deux jeunes hommes à titre de précepteur dans le « grand tour » qui les conduisit, en particulier, à Venise : voir DHC, « Daillé », rem. D.

[83Cette lettre, déjà mentionnée ci-dessus, n’est pas parvenue jusqu’à nous.

[84Les termes de la Paix de l’Eglise instaurée en 1668 excluaient toute controverse autour du Formulaire ; or, le terme de « janséniste » impliquait l’hétérodoxie de Jansénius ; il fut introduit par les polémistes jésuites tels François Pinthereau dans son livre, La Naissance du janssénisme [sic] découverte à monseigneur le chancelier par le sieur de Préville (Louvain 1654, 4 o) ; cette appellation était rejetée par les « messieurs de Port-Royal » qui tenaient l’ Augustinus (1640) pour une expression authentique et fidèle de l’augustinisme. Pour maintenir l’apaisement apparent qu’elles avaient réussi à ménager, les autorités civiles devaient veiller à l’exclusion de toute invective qui risquait de déclencher les hostilités entre deux camps qui n’avaient pas réellement désarmé.

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