Lettre 1303 : Pierre Bayle à Public
A Rotterdam, le 17 e de septembre 1697 Réflexions sur un imprimé qui a pour titre,
« Jugement du Public, et particulièrement de l’abbé Renaudot,
sur le “Dictionnaire critique” du sieur Bayle »
Mon principal but ici est d’avertir le public, que je travaille à une défense, qui auprès de tous les lecteurs non préoc[c]upez sera une démonstration de l’injustice de mes censeurs. Mais cette apologie ne méritant pas la destinée des feuilles volantes, qui la plûpart du tem[p]s ne passent pas la semaine, on la garde pour être mise à la tête ou à la queuë d’un in folio [1]. Par la même raison on renvoie là presque tout ce que l’on pourroit dire de considérable contre l’écrit qui vient de paroître. On se réduit à un petit nombre d’observations faites à la hâte et négligemment. Qui mettroit de l’esprit et du stile dans un imprimé de 7 ou 8 pages seroit bien prodigue.
I. Ce libelle-là [2] est fort mal intitulé. Il ne doit avoir pour titre que Jugement de l’abbé Renaudot commenté par celui qui le publie ; car tous les autres juges sont moins fantômes[,] ce sont des êtres invisibles ; on ne sait s’ils sont blancs ou noirs. C’est pourquoi leur témoignage et un zéro sont la même chose. J’excepte l’agent de Messieurs les Etats [3] ; mais je prie mon lecteur de considérer sur ce fait-là ce que je dirai bien-tôt de Tertullien.
II. Quelle manière de procéder est-ce que cela ! Faire consister le jugement du public en de telles pièces. J’en pourrois produire de bien plus fortes à mon avantage, si la modestie le permettoit. Outre cela, que de lettres ne pourrois-je pas publier, où mon adversaire [4] est représenté et comme un mauvais auteur, et comme un malhonnéte-homme ! Mais Dieu me garde d’imiter l’usage qu’il fait de ce que les gens s’entr’écrivent en confidence. C’est une conduite que les payens mêmes ont détestée. Quelles gens voyons-nous ici ? L’un écrit ce qu’il prétend avoir ouï dire à un évêque, l’autre le fait imprimer. Ni l’un, ni l’autre n’en demandent la permission. Ils le nomment sans aveu. Peut-on voir plus de hardiesse ? N’est-ce pas tyranniser la conversation plus que Phalaris ne tyrannisoit le peuple [5] ?
III. L’auteur de ce prétendu Jugement du public n’a gueres été sage dans la distinction qu’il a faite. Il a sup[p]rimé le nom de tous ses témoins, excepté celui qu’il devoit cacher principalement, nom odieux et méprisé dans tous les païs qui font la guerre à la France. Je ne veux point prévaloir de la préoc[c]upation publique : je veux bien ne le pas faire considérer du côté de sa Gazette [6], qui le décrie par tout comme un homme habitué à donner un tour malin au mensonge. Je veux le représenter par son beau côté. Monsieur l’abbé Renaudot passe pour très docte, et pour être d’un goût si délicat, qu’il ne trouve rien qui lui plaise. Il ne faut donc rien conclure de son mépris : c’est une preuve équivoque. On m’a dit de plus qu’il est fort dévot [7]. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il trouve trop libre ce qui dans le fond n’excède point les libertez qu’un honnête homme se peut donner, à l’exemple d’une infinité de grands auteurs. Un moraliste severe, Tertullien, par exemple, trouve-t-il rien d’assez éloigné du luxe dans la maison d’un homme du monde [8] ? Le public a beau être édifié du bon ordre qui y règne : la maîtresse du logis ne va à la comédie et au bal que de tems en tems : elle ne joüe qu’en certaines occasions : on louë la modestie de ses habits, et de ses paroles. Mais Tertullien ne laisse pas de crier qu’elle est immodeste. Elle ne cache pas assez son cou ni ses bras ; elle porte de rubans ; elle danse, elle plaisante quelquefois : la voila damnée. Ce n’est point selon le goût d’un tel censeur qu’il faut juger si le commentaire d’un laïque sur l’histoire des particuliers, est quelquefois habillé un peu trop à la mondaine ; car en suivant un tel goût, conforme d’ailleurs aux loix rigoureuses de l’Evangile, il faudroit bannir du monde tous les romans, et une infinité d’autres écrits autorisez par les loix civiles : il ne faudroit composer que des ouvrages de piété [9]. On me dira que des gens mêmes qui ne sont pas rigoristes, trouvent dans mon Dictionnaire quelques gayetez un peu trop fortes. On sera satisfait je m’assûre, quand on aura vû l’apologie que je prépare sur ce point-là [10]. J’en préparerois une autre sur ce que Monsieur l’abbé Renaudot appelle impiétez [11] ; mais comme je ne sai point sur quoi l’on fonde cette accusation, j’attendrai qu’on me le marque. J’ai déclaré en toute occasion, et je le déclare ici publiquement, que s’il y a des dogmes hétérodoxes dans mon ouvrage, je les déteste tout le premier, et que je les chasserai de la seconde édition. On n’a qu’à me les faire connoître. Quant à l’article de « David » [12], Monsieur l’abbé a grand tort de dire que je n’y ai eu aucun respect pour l’Ecriture ; car l’éclaircissement que j’y ai mis est plein d’une soumission très respectueuse pour ce divin livre. J’en pren[d]s à témoin tous les lecteurs. J’ajoûte que de la manière dont je prétens retoucher tout cet article, il ne pourra plus fournir de prétexte aux déclamations de mes censeurs [13]. Après tout oseroit-on dire que mon Dictionnaire approche de la licence des Essais de Montagne, soit à l’égard du pyrrhonisme, soit à l’égard des saletez ? Or Montagne n’a-t il point donné tranquillement plusieurs éditions de son livre ? Ne l’a-t-on pas réimprimé cent et cent fois ? Ne l’a-t-on pas dédié au grand cardinal de Richelieu ? N’est-il pas dans toutes les bibliothèques ? Quel désordre ne seroit-ce pas que je n’eusse point en Hollande la liberté que Montagne a euë en France [14] ?
IV. Si je réfute jamais le Jugement de Monsieur l’abbé Renaudot, ce ne sera qu’après avoir sû qu’il le reconnoît pour sien, tel qu’on vient de l’imprimer ; car il est si rempli de bévûës, de faussetez et d’impertinences, que je m’imagine qu’il n’est point conforme à l’original. On y a cousu, peut-être, de fausses pieces à diverses reprises en le copiant. Il avoit prévenu une infinité de personnes, mais d’habiles gens aiant lû mon Dictionnaire firent cesser bien tôt cette prévention. Monsieur l’abbé ne l’ignore point ; car il a dit dans une lettre « que je dois être content de l’ap[p]robation de tant de gens » [15]. Aussi le suis-je. On s’étonna qu’il eût mis dans son rapport tant de choses inutiles. Il n’étoit question que de savoir si mon ouvrage choquoit l’Eglise romaine, ou la France. On ne lui avoit point demandé si j’ai lû les bons auteurs, ou si je mets en balance les Anciens avec les Modernes [16]. Si plusieurs lecteurs l’ont contredit sur le chapitre de mon ignorance, je les en désavouë : il n’en a pas dit assez, j’en sai bien d’autres circonstances, et s’il veut faire mon portrait de ce côté-là, je lui fournirai bien des mémoires. Mais il me permettra de lui dire qu’il n’a pas bien choisi les preuves de mon incapacité ; car, par exemple, quand il la trouve dans la traduction de librarii par libraires, il me censure très injustement, puisque dans une note marginale j’ai averti mes lecteurs que par « libraires il falloit entendre les copistes et les relieurs, selon la maniere d’accomoder les livres en ce tems-là » [17]. J’ai donc entendu la chose comme il la fal[l]oit entendre. Je ne lui attribuë point l’impertinence de la note marginale que l’on a mise à cet endroit de son rapport [18] en le publiant ici. Cela doit être sur le compte de celui qui l’a publiée [19].
V. Il l’a fait avec peu de jugement ; car c’est produire une preuve démonstrative de la fausseté des accusations qu’il a tant prônées contre moi, sur des correspondances avec la Cour de France [20]. Chimeres qu’autre que lui n’était capable de forger, et dont il eût fait réparation au public à la suite d’une piece aussi justificative de mon innocence que l’est celle qu’il a publiée, si les actes d’honnête homme lui étoient possibles. Mais il a gardé un profond silence à cet égard, et ne s’est appliqué qu’à répandre un noir venin sur ce que j’ai dit à l’avantage des protestans et contre l’Eglise romaine. Il faut qu’il soit bien ennemi de l’édification du prochain [21], puisqu’il ôte aux reformez celle que leur donne le jugement de Monsieur l’abbé Renaudot, et que pour la leur ôter il se copie lui même la vingtieme fois, répétant des calomnies si souvent ruinées, et qu’il n’a jamais soutenûës qu’en entassant faussetez sur faussetez, comme il a paru par les longues listes qu’on lui a marquées publiquement [22].
VI. Je m’arrêterai peu à ses réflexions. Ce n’est qu’un épanchement de chagrin et de colère. Ce ne sont que jugemens vagues, dont les lecteurs intelligens connoîtront d’eux mêmes la fausseté, ou que des calomnies cent fois réfutées, ou que mensonges nouveaux qui ne sont pas dignes d’être réfutez, ou qui le seront en tems et lieu. Au bout du compte après avoir tant déclamé, on verra que les trois exemples qu’il indique le confondent. Il allégue une comparaison sur la chute d’Eve [23], un passage de saint Paul appliqué aux Abéliens [24], et une phrase sur le dessein d’ Abélard [25]. Le premier exemple est une objection que j’ai proposée aux sociniens, avec le ménagement de termes que la chose demandoit. Il n’y a nulle profanation dans le second ni aucune saleté dans le troisieme. J’en fais juges tous les lecteurs équitables et intelligens et je veux bien qu’ils en décident sans m’entendre. Voilà le sort ordinaire de nos déclamateurs. Pendant qu’ils se tiennent à des plaintes générales, ils surprennent les suffrages ; mais demandez leur un endroit particulier, il se trouve qu’ils ont donné de travers, qu’ils ont pris pour ma doctrine les conséquences qui résultent des hérésies que je combats, et que d’une mouche ils ont fait un éléphant. Cela m’oblige à leur donner charitablement ce mot d’avis. « Messieurs, je vous le dis sans rancune, ne parlez jamais de mon Dictionnaire que chez des gens qui ne l’ont pas ; car si on vous l’apporte pour vous obliger à la preuve, vous y serez attrapez. Cela vous arrive tous les jours aux uns et aux autres. Vous n’avez pas été assez fins, la passion vous a aveuglez ; vos hyperboles ont été cause qu’on s’est attendu à trouver dans chaque page l’abomination du Parnasse satirique [26], et l’on n’a trouvé que des bagatelles qui se disent tous les jours parmi les honnêtes gens, et que vous diriez fort bien ou dans une promenade divertissante, ou à table avec vos amis. Quittez l’amplication, faites en sorte que l’idée que vous donnerez n’égale pas la chose même. Cette manière de nuire ne rejaillira point sur vous.
VII. On peut joindre aux trois exemples qu’il a cottez, ce qu’il a dit contre l’article où je rap[p]orte des passages d’un livre de Tagereau [27]. Il ne pouvoit pas choisir plus mal un sujet de plainte ; car je ferai voir en tems et lieu, que toutes sortes de droit m’ont autorisé à insérer dans mon ouvrage ce que j’ai dit du congrès. J’ai pû dire en qualité d’historien, que Quellenec fut accusé d’impuissance, et que ce fut sa belle mere et non pas sa femme qui lui intenta ce procès. Je devois à la vérité cette remarque en faveur d’une héroïne de notre parti. Comme historien fidelle j’ai dû critiquer ceux qui ternissent la gloire de cette dame, en supposant qu’à son âge le plus tendre elle suscita un tel procès. C’est déclarer que je ne crois point qu’il soit glorieux à une femme de s’engager à de telles procédures. Tout auteur a droit de faire voir les raisons de ses sentimens. Ainsi en qualité de commentateur de mon propre texte, j’ai pû et j’ai dû étaler les preuves de l’opinion que j’avançois, et rapporter par conséquent ce que Tagereau a publié contre la pratique de ce tems-là. Nous voulons paroître plus sages que nos peres, et nous le sommes moins qu’eux. Cet avocat au Parlement de Paris obtint aisément un privilége pour publier un ouvrage où il étaloit toutes les ordures du congrès, et l’on fera en Hollande cent criailleries contre un auteur qui copie quelques endroits de cet ouvrage. N’est-ce point là une acception de personnes fondée ou sur des travers d’esprit, ou sur le déréglement du cœur ?
VIII. Mais, dira-t-on, cet avocat ne donna cet étalage, que pour obliger les juges à faire cesser une pratique opposée à la pudeur, et sujette à l’iniquité. Et moi ne déclarai-je pas jusqu’à témoigner la derniere indignation, que cette pratique étoit infame, parce qu’elle énervoit les principes de la honte, la source la plus précieuse de la chasteté ? Peut-on prendre le bon parti avec plus d’ardeur que je l’ai pris dans cet article ?
Outre cela en qualité d’historien, n’ai-je pas eu droit de raconter une procédure qui a subsisté long tems dans le ressort du Parlement de Paris, et qui n’est pas abrogée par tout ailleurs ? La maniere de procéder dans toutes les causes civiles et criminelles appartient sans doute aux faits historiques, et si elle a quelque chose de singulier, il se trouve bien des voyageurs, et bien des faiseurs de relations qui s’en instruisent curieusement. Quel plaisir n’eût-ce pas été à un Pietro della Valle de trouver en Perse un livre qui l’eut instruit d’une coutume bizarre [28], aussi bien que Tagereau le pouvoit instruire sur le cérémoniel de congrès ? Je demande si les procès verbaux des jurez et des matrones dans certaines causes, sont des pieces à rejetter quand on fait des compilations exactes de tous les us et coutumes d’un certain pais ? Furetiere qui ne faisoit pas un dictionnaire historique commenté, mais un dictionnaire de grammaire, s’est servi de ces verbaux [29]. Qui est-ce qui en a murmuré ?
IX. Ne quittons point cette matiere, sans avertir nos criards, copistes et distributeurs d’extraits de lettres, que Monsieur Menjot, que peut-être ils ont fort connu, et qui etoit un parfaitement honnête homme, a mis beaucoup de lascivetez dans une dissertation sur la fureur utérine, et sur la stérilité [30]. On seroit ridicule de l’en censurer, puisqu’en qualité de medecin il a eu droit de le faire : son sujet l’a demandé, ou l’a permis. Or je leur apprens qu’un compilateur qui narre, et qui commente, a tous les droits d’un médecin et d’un avocat etc. selon l’occasion : il se peut servir de leurs verbaux, et de termes du métier. S’il rapporte le divorce de Lothaire et de Thietberge, il peut donner des extraits d’ Hincmar archevêque de Reims, qui mit par écrit les impuretez que l’on avéra pendant le cours de la procédure [31]. On ne devroit jamais juger d’un historien commentateur qu’après s’être instruit des loix historiques, et des privilèges du commentaire. Si ces Messieurs avoient lû celui d’ André Tiraqueau sur les loix du mariage [32], ils y auroient vû des saletez bien plus entassées. C’étoit pourtant un conseiller au Parlement de Paris, et l’un des plus illustres personnages du dernier siècle, tant par son savoir que par sa vertu.
X. Prenez bien garde qu’il n’y a personne à qui il convienne moins qu’à mon adversaire de déclamer contre moi, lui qui dans un sermon de près de deux heures a critiqué la conduite du patriarche Jacob [33] ; lui qu’un synode censure de n’avoir pas assez ménagé la majesté des prophètes [34] ; lui des livres duquel on a extrait une liste de propositions profanes qui fut envoyée à un synode [35] ; lui qui avoit mis tant d’impuretez dans sa réponse à Maimbourg, qu’il fal[l]ut en retrancher une partie, pour déférer au remontrances de deux magistrats [36] ; lui qui dans une critique fort dure d’un livre de Monsieur l’abbé de Dangeau s’est servi de phrases bien cavalières [37] ; lui qui a tiré de la poussière d’un greffe à beaux deniers comptans les plus affreuses saletez qui se puissent lire et qui en a rempli un factum [38] ; lui dont la théologie mystique a sali l’imagination la plus endurcie [39] ; lui enfin qui rejettant la voie de l’autorité, avoüe que celle de l’examen de discussion est impraticable [40]. Il accuse donc d’athéïsme en la personne d’autrui sa propre doctrine.
XI. Jamais roman n’a été plus fabuleux, que ce qu’il raconte des prétenduës espérances fondées sur mon Dictionnaire [41]. Il est faux que mes amis l’aient préconisé par avance avec les fanfares qu’il leur impute. Ils sont trop sages et trop judicieux, pour tomber dans ce défaut. Et pour moi j’ai été si éloigné de m’en promettre quelque avantage que j’ai dit et que j’ai écrit cent fois à ceux qui m’en ont parlé, que ce n’étoit qu’une rhapsodie ; qu’il y auroit là dedans bien du fatras, et que le public seroit bien trompé s’il s’attendoit à autre chose qu’à une compilation irréguliere, que je n’étois gueres capable de me gêner, et qu’aiant une indifférence souveraine pour les loüanges, la crainte d’être critiqué ne m’empêchoit pas de courir à bride abat[t]uë par monts et par vaux, selon que la fantaisie m’en prenoit ; qu’étant un auteur sans conséquence, qui ne prétend à rien moins qu’à dogmatiser, je donnois carriere à mes petites pensées tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, persuadé que personne ne feroit de tout cela qu’un sujet d’amusement, c’est à dire qu’on ne feroit que s’y délasser de la lecture d’une infinité d’autres choses graves, utiles, curieuses, que j’ai rassemblées avec beaucoup de patience ; mais sans espérer que l’on écoutât en ma faveur le Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis offendar maculis etc [42]. Le succès a surpassé mes espérances. Un grand nombre de lecteurs critiques se sont réglez à cette maxime latine. Je n’ai commencé à croire que l’ouvrage n’étoit pas aussi méprisable que je me l’étois figuré que quand j’ai vû les mouvemens violens que l’on se donnoit pour le décrier, et le soin extreme que les partisans d’une cabale aussi formidable par son étenduë que par son crédit, ont eu de s’écrire des nouvelles les uns aux autres sur ce chapitre, et de copier des extraits de lettres qu’on faisoit passer de main en main chez tous les confreres, et par tout ailleurs.
XII. Quant aux charges qu’il assûre que j’ai espérées dans la République des Lettres par le moien de mon ouvrage [43], je lui réponds qu’il n’a pas mieux rencontré, que lorsqu’il disoit que Monsieur Arnauld avoit fait certaines choses pour recouvrer ses bénéfices [44]. Il reçut alors une mortification qui l’auroit dû rendre plus circonspect. S’il avait lû ma préface, il auroit vû ma disposition pour les emplois. Il peut dormir en repos de ce coté-là. Je n’en ai point voulu, et je n’en veux point. On m’a sondé en plusieurs manieres, et de divers endroits, pendant l’impression de mon ouvrage, et l’on a toûjours trouvé que je ne voulois dépendre de personne, ni me priver de la pleine liberté dont je joüissois de disposer de tout mon tems. Je n’ai sû que par ses extraits que l’on ait dit qu’un ministre avoit fait une tentative à Amsterdam. Je croi que cela est faux, et en tout cas, c’est une chose à laquelle je ne songeai jamais, et que j’eusse refusée.
XIII. Venons à la principale piece, à l’endroit mignon et favori de notre censeur, à celui qui l’a porté principalement à mettre la main à la plume. On gageroit que ç’a été son vrai but, c’est en un mot l’endroit, où avec des airs triomphans il se glorifie de m’avoir réduit à vivre de la pension d’un libraire [45]. On ne pouvoit pas mieux peindre la caractere de son orgueil. Son ambition a cela d’exquis et d’insigne, qu’elle le pousse à souhaiter sur toutes choses la derniere partie de l’épitaphe de Sylla [46]. Peu après il témoigne beaucoup de joye de s’imaginer que « j’acheve de me perdre ». Cela est naïf. On auroit tort de l’accuser de contrefaire l’homme de bien et le bon pasteur ; jamais homme ne cacha moins adroitement son foible. Mais que sont devenuës mes pensions de la cour de France ? Ont-elles cessé ? Et quand même cela seroit, une vie de philosophe comme la mienne a-t-elle pû engloutir ce fond ? Quoi ! aucune réserve pour l’avenir ? Il ne me reste plus rien que la pension d’un libraire. Voilà qui est fâcheux. Je ne savois pas qu’on eût si bien ou si mal compté avec mes fermiers, pour me servir d’un vieux proverbe [47]. On pourroit dire cent choses divertissantes sur son chapitre par rapport à ses libraires ; mais ce seroit dommage qu’elles fussent dans un écrit qui sera jetté tout comme le sien à la voirie des bibliotheques au premier jour. C’est le destin des brochures.
XIV. Il se vante de m’avoir fait plus de mal qu’homme au monde, en me découvrant à toute la terre. Voilà, sans doute, un personnage bien propre à faire du tort on accusant. Je le renvoie à l’assemblée synodale de la Brille, qui a déclaré orthodoxe le même Monsieur Saurin [48], contre lequel il avoit écrit deux volumes remplis de diffamations, à peu près aussi atroces que celles qu’il a publiées contre moi. Il s’étoit fait fort de le faire déposer, et il avoit cabalé longtems pour cela ; mais il eut la confusion de le voir absoudre. Apres une telle honte, tout autre que lui se seroit allé cacher dans un hermitage pour le reste de ses jours. Pour lui, il a declaré publiquement qu’il persistoit dans son avis malgré le décret du synode, et il se vante aujourd’hui d’avoir été accusateur. Quel cas voulez-vous qu’on fasse de son jugement ? On seroit bien simple, si l’on se mettoit en peine de ses calomnies.
XV. Le plaisir de se vanter d’avoir fait du mal lui a été d’autant plus sensible qu’il a espéré de tirer de ses vanteries un grand profit ; car il s’est imaginé que les choses que j’ai dites contre lui dans mon Dictionnaire ne lui feroient aucun tort, pourvu que le public sût que le désir de vengeance les a dictées. Je fais deux remarques contre sa ruse : il se trompe dans sa supposition, et dans ce qu’il en conclut.
J’ai toujours crû, et j’en suis encore persuadé, qu’il n’a eu part à la suppression de ma charge qu’en qualité de cause éloignée. Il s’est bien tourmenté pour cela deux ou trois ans ; mais si des personnes de sa robe, et d’une autre langue, dont il m’avoit découvert autrefois l’inimitié, n’avoient agi, il auroit perdu ses pas. Quoi qu’il en soit, je me suis si peu soucié de cela, que je n’en ai jamais eu le moindre ressentiment contre personne. Je bénis le jour et l’heure que cela fut fait, et je regretterai toute ma vie le tems que j’ai perdu à de telles charges. Il fera difficulté de m’en croire parce qu’il sent bien qu’il voudroit un mal de mort à ceux qui retrancheroient quelque chose de sa pension, quoiqu’on lui en laissât beaucoup plus qu’on ne lui en ôteroit, quoique, par exemple, on lui laissât les gages du ministère, et qu’on lui ôtât seulement ceux de professeur dont il joüit depuis environ seize années sans avoir fait qu’une vingtaine de leçons en latin, et un peu plus en françois. S’examinant bien soi même, il ne comprend pas qu’il soit possible qu’on supporte gaiement la perte totale de sa pension. Mais je le prie de ne point juger de moi par lui-même. Je suis un homme du vieux tems, vir antiqui moris [49] ; je ne suis point à la mode comme lui ; je ne fais pas plus de cas de cette perte que d’une paille. Il me feroit donc justice, s’il croioit que je n’ai point écrit contre lui par ressentiment. Que s’il refuse d’ajoûter foi à mes paroles, qu’il en ajoûte pour le moins mes actions. N’ai-je pas épargné son nom en mille rencontres, et si ses amis prétendent que je l’ai voulu désigner, lorsque j’ai parlé de certains désordres, et lors que j’ai donné le portrait de quelques inquisiteurs tels que les livres me l’ont fourni, ne s’en doit-il point prendre au malheur qu’il a de leur ressembler, et à la pénétration avec laquelle ses ses amis découvrent la ressemblance ? Ne l’ai-je pas épargné même par désignation en cent endroits où il s’offroit naturellement, comme les lecteurs habiles le peuvent sentir ? N’ai-je point loüé son apologie de Théodore de Beze [50] ? Si l’on savoit sur combien de fausses citations, et de sophismes je lui ai fait bon quartier, on admireroit ma modération. N’ai-je pas pris son parti dans les occasions où j’ai crû qu’on lui faisoit tort ? J’avouë qu’elles ont été un peu rares, mais ce n’est point ma faute. Que n’est-il tel que l’on puisse dire du mal de lui injustement ! Ses mains ont été contre tout le monde, et les mains de tout le monde contre lui. Il n’y a sortes d’injures, de plaintes, et de reproches qu’il n’ait eu à essuier, et cependant je n’ai presque point trouvé de lieu de critiquer ses censeurs. J’ai rapporté quelque part à son sujet le bon mot d’un empereur, taurum toties non ferire difficile est [51] ; mais présentement il faut tourner la médaille et dire, taurum toties ferire difficile est [52]. Il est bien étrange que tant d’auteurs aiant vuidé leurs carquois contre sa personne, il n’y ait eu presque point de coup qui n’ait porté. J’eusse été bien aise de trouver des faussetez dans ses censeurs ; car je les aurois rapportées non seulement comme des pieces de mon ressort, ou du plan de mon ouvrage, mais aussi comme des titres d’honneur. Le comble de la gloire pour un historien, c’est de faire justice à ses plus grands ennemis. C’est un véritable héroïsme. Thucydide s’est immortalisé par là bien plus glorieusement que par tout le reste de son histoire. Ainsi quand la raison et les motifs évangéliques ne m’auroient point déterminé à marcher sur cette route, on devra pour le moins croire que l’amour propre m’y auroit conduit. Les amis de mon adversaire n’ont qu’à me mettre à l’épreuve. Qu’ils me fournissent de quoi convaincre de fausseté ses accusateurs, je leur promets de faire valoir leurs mémoires. Mais enfin, me dira-t-on, il vient trop souvent sur les rangs dans votre ouvrage [53]. Non pas plus souvent que Varillas [54], répondrai-je, ni aussi souvent à beaucoup près que Moreri [55], deux auteurs avec qui je n’ai jamais eu de démêlé. Si je parle de lui plus souvent que de beaucoup d’autres, c’est que je suis mieux instruit sur son chapitre. Il se félicite des places que lui ai données dans mon Dictionnaire, et moi je suis ravi qu’il en soit content. Veut-on une plus belle marque de mon bon naturel ? Cela suffit contre sa supposition. Je passe à la conséquence qu’il en tire.
XVI. Je la lui nie ; car quand même il seroit vrai que le dessein de me vanger m’auroit fait faire les remarques qui le concernent, cela ne lui serviroit de rien, puisque je marche toûjours à l’ombre des preuves. Il est sûr que nous ne pouvons être témoins ni lui ni moi l’un contre l’autre en aucune affaire. La voix décisive, et la voix délibérative nous y doit être défenduë. Nous ne méritons aucune créance quand nous parlons lui contre moi, et moi contre lui, qu’autant que nous prouvons solidement ce que nous disons. Mais quel que soit le principe qui nous fait chercher des preuves et les emploïer, elles conservent également toute leur force intérieure. Cela est de la dernière évidence. Les lecteurs y doivent faire beaucoup d’attention.
XVII. On ruïne par là son dernier écrit [56]. Il m’y déchire de la maniere du monde la plus cruelle, et cependant il ne donne que son témoignage, si l’on excepte le Jugement de Monsieur l’abbé Renaudot, avec la lettre de l’agent. Il produit des lettres anonymes : l’analise de cela est sa seule autorité. Comme s’il disoit au public, vous devez croire tout ceci parce que je l’affirme. Et ne sait-il pas que son témoignage est nul de toute nullité dans mes affaires ? Comment donc ose-t-il ainsi abuser de la patience publique ? Quand il diroit mille et mille fois qu’il a lû mon Dictionnaire, et qu’il y a trouvé des impietez et des saletez, ce seroient toutes paroles inutiles ; car encore un coup il ne peut pas être témoin contre moi : la récusation lui est inhérente jusques aux mouëlles ipso facto. Il ne peut être reçu qu’à copier des passages, et à prouver qu’ils sont condamnables. Si les preuves ne marchent pas, il n’a qu’à se taire. A combien plus forte raison faut-il refuser audience à ses refexions, puisqu’il avoue qu’il n’a vû ni lû le Dictionnaire critique et qu’il ne dit point qui sont ceux qui lui en parlent. Je ne doute pas que comme il est le premier qui se soit joüé si hardiment du public, il ne soit aussi le dernier ; car il n’y a point d’apparence que des choses si monstrueuses puissent laisser de postérité.
XVIII. On n’a pas sujet de croire que ses nouvellistes soient exacts, puisqu’ils lui ont dit que j’ai abrégé Rabelais [57]. Je me trompe fort si je l’ai cité plus d’une fois. Si je l’eusse cité en plusieurs rencontres, je n’eusse fait qu’imiter de grands auteurs. C’est un livre qui ne me plait gueres, mais je sai, et mon adversaire le sait aussi, que beaucoup de gens de bien et d’honneur l’ont lû et relû, qu’ils en savent tous les bons endroits, et qu’ils se plaisent à les rapporter quand ils s’entretiennent agréablement avec leurs amis. Si ces gens-là faisoient des compilations, assûrez-vous que Rabelais y entreroit très souvent.
XIX. Les extraits des Nouvelles de la république des lettres qui me sont ici objectez [58], pourroient donner lieu à une dissertation bien curieuse. J’y travaillerai peut être avec le tems. Ce seroit une occasion de me disculper auprès de ceux, qui me blâment d’avoir donné trop d’éloges aux ecrivains dont je parlois dans ces Nouvelles. On pourroit donner une longue liste d’auteurs, qui ont dit beaucoup d’injures aux mêmes gens qu’ils avoient préconisez. Celui qui m’attaque par cet endroit-là seroit de ce nombre. Il a fort loüé, et puis déchiré Monsieur Simon [59]. Il m’a donné quelquefois bien de l’encens, et même un peu avant la rupture dans l’un de ses factums contre Monsieur de La Conseillere [60]. Mais j’ai quelque chose de plus fort à alléguer que des exemples : car il y a plus de douze ans que j’ai fait une confession publique d’un défaut dont je ne suis pas encore tout-à-fait guéri. Je me tirerai par là de l’embarras où l’on prétend me jetter. Ce ne sera pas une machine inventée après coup. Elle est tirée d’un ouvrage que je publiai dans un tems, où je ne prévoiois pas qu’elle pût jamais m’être nécessaire.
J’ai dit dans la page 575 des Nouvelles Lettres contre Maimbourg, que plusieurs livres méprisez par d’habiles gens me paroissoient bons [61]. Ce manque de discernement était excusable. Si je n’étois pas fort jeune dans le monde, je l’étois du moins dans la République des Lettres. J’avois commencé tard à étudier, je n’avois eu des maîtres presque jamais, je n’avois jamais suivi de méthode, jamais consulté en fait de méthode ni les vivans ni les morts. Tout cela joint à d’autres obstacles faisoit de moi un homme fort jeune quant à l’étude, et quoi qu’il en soit je me laissois aisément dupper par les auteurs. Je puis faire encore aujourd’hui l’aveu de Monsieur Arnauld, que j’ai rapporté dans la page 577 des mêmes Lettres [62]. Il n’y a gueres de livre qui ne me paroisse bon quand je ne le lis que pour le lire. Il faut que pour en trouver le foible je m’attache de propos délibéré à le chercher. Je ne faisois jamais cela pendant que je donnois les Nouvelles de la République des Lettres. Je ne faisois point le critique, et je m’étois mis sur un pié d’honnêteté. Ainsi je ne voiois dans les livres que ce qui pouvoit les faire valoir : leurs défauts m’échap[p]oient. Si j’en parlois donc honnêtement, ce n’étoit pas contre ma conscience, et au pis aller, il est sûr que les loix de la civilité me disculpoient d’une flat[t]erie blâmable. Flat[t]er les auteurs par des vûës de parasite, ou par d’autres motifs d’intérêt, c’est une infamie. Mais quand on a un désintéressement aussi entier que le mien, ce n’est tout au plus qu’un peu trop de civilité, et d’honnêteté. M’en fera-t-on un crime ?
Avec ces dispositions d’esprit, il étoit inévitable que je fusse la dupe des livres de mon adversaire. Ses manieres décisives, son stile vif, son imagination enjoüée, brillante, féconde, n’avoient garde de ne me pas ébloüir. Les illusions dangereuses de l’amitié fortifioient l’éblouïssement ; et ainsi ces livres me paroissoient admirables. Je croiois donc que pour leur faire justice, il falloit que j’emploiasse des expressions fortes ; car les phrases ordinaires de l’éloge dans un auteur qui s’étoit mis sur un pié d’honnêteté et de compliment, n’étoient qu’une loüange médiocre, qui offense plus les auteurs superbes que si l’on n’en disoit rien. Mes lecteurs ne s’y trompoient pas : ils ne prenoient pour un éloge dans mes Nouvelles que ce qui étoit exprimé par de beaux superlatifs. Le charme commença à se lever lorsque ne travaillant plus à ces Nouvelles, je comparai tout de bon ses livres avec les ouvrages où il étoit réfuté. Ce fut alors une lecture d’examen : ce fut la recherche des lieux foibles, et je trouvai peu à peu bien des défauts. Quelque tems après, il fal[l]ut que je le lusse pour réfuter quelques-uns de ses ecrits, ce qui acheva de m’ap[p]rendre à le connoître, et eut un effet rétroactif sur les autres productions. Il m’est arrivé à son égard la même chose que par rapport à Moreri et à Varillas, deux auteurs dont j’ai été successivement l’admirateur et le critique, selon que je les ai lûs ou par maniere d’amusement, ou dans le dessein de rechercher s’ils avoient raison.
XX. Qu’on fasse encore cette remarque. On ne trouvera pas que ce que je blâme dans ses Prophêties et dans son Esprit d’Arnaud [63], soit la même chose que j’y loüois autrefois. J’y ai loüé l’invention, l’esprit, le tour, le stile, l’abondance des pensées, et j’y blâme présentement les opinions, la médisance, etc. Il ne me tient donc pas entre les extrémitez de lâche flat[t]eur, et d’infame calomniateur, comme il s’est imaginé, par sa coûtume invétérée de ne suivre pas l’exactitude de la dialectique. Il y a un vaste milieu entre ces deux termes. L’opposition eût été plus juste entre panégyriste et censeur rigide. Mais, logique à part, je réponds à sa demande, que j’étois autrefois dans la bonne foi en le loüant et que je le censure aujourd’hui avec raison, aiant été mieux instruit. Donnons une marque de ma bonne foi. Son livre des Préjugez [64] m’aiant paru inférieur aux autres, j’en parlai plus maigrement (et je sai qu’il s’en plaignit) et sa Critique de Monsieur l’abbé de Dangeau m’aiant paru foible en quelques endroits, je la critiquai sans façon [65].
On ne peut donc me reprocher que d’avoir suivi l’instinct d’une conscience erronée [66] ; mais comme ce sont de fautes que les tribunaux de la République des Lettres ne pardonnent pas, le plus court pour moi est de déplorer ces tems de ténèbres, et d’avoüer que ce sont des fils qui méritent l’exhérédation. C’est aussi le traitement que je leur fais, et c’est la meilleure réparation que je puisse faire.
Il n’est pas besoin que j’avertisse que pour bien connoître un homme, il le faut plûtôt regarder dans les écrits où on le critique, les preuves toûjours à la main, que dans les écrits où on le louë, sans donner les preuves de son mérite.
Le 12 e de septembre 1697
Suite des Réflexions sur le prétendu « Jugement du public »
Voilà tout ce que je croiois devoir dire sur ce prétendu Jugement du public ; mais l’aiant relû avant que les réflexions précédentes sortissent de chez le libraire, j’ai trouvé que je devois en ajoûter quelques autres.
XXI. Expédions en trois mots ce que le censeur m’objecte touchant Salomon [67]. J’ai dit « qu’une politique à quelques égards de la nature de celle des Ottomans fit périr Adonija ». Cela ne veut dire autre chose si ce n’est que Salomon le fit mourir, pour n’être pas exposé aux guerres civiles qu’il avoit sujet de craindre. Personne n’ignore que c’est aussi la raison des Ottomans. Quel mal y a-t-il à comparer par ce côté-là un prince juif avec des monarques infidelles, sectateurs de Mahomet, un prince, dis-je, qui n’avoit pas encore cette sagesse que Dieu lui donna depuis ? L’auteur feroit-il difficulté de dire que Salomon prit plusieurs femmes, par un faste assez semblable à celui des rois paiens, et des sultans ? Notez sa supercherie. Il savait que le terme d’Ottoman ne frapperoit point la populace, mais qu’elle seroit allarmée par le mot Turc. C’est pourquoi au lieu de rapporter mes paroles, il les a métmorphosées en celles-ci, « une politique à la turque », qu’il a citées en italique. Voilà son péché d’habitude. Tout artifice lui plaît, pourvû qu’il lui serve à tromper les ignorans. Mais que diroit-il contre tant d’auteurs qui assûrent que Salomon fut idolâtre personnellement, et qui doutent de son salut ? C’est bien pis [que] de comparer pour une fois sa politique à celle des Turcs.
XXII. Il m’accuse d’avoir mal traité Cameron et Monsieur Daillé [68]. Oseroit-il dire cela, s’il avoit jetté les yeux sur mon Dictionnaire ? N’y eût-il pas vû que Du Moulin son ayeul, et les œuvres de Rivet, beau-frere de Du Moulin, m’ont fourni ce que j’ai dit au désavantage de Caméron ? N’y eût-i1 pas vû que je cite Monsieur Des Marets, pasteur et profesesur en théologie à Groningue, pour ce qui concerne Monsieur Daillé ; et que je déclare nettement que je ne prononce rien sur le fait ? Il y a bien des gens qui ne savent pas encore la différence qui se trouve entre un historien et un elogiste. Faisons une petite revûë de l’imprimé, afin de marquer une partie de faussetez de fait qui s’y rencontrent ; car pour celles de droit, il seroit très inutile de les indiquer. Ce sont des reproches vagues. Mes adversaires disent ouï, je dis non, nous voilà tant-à-tant. Nous ne sortirons de cet équilibre que par l’examen particulier de chaque proposition qui leur déplaira. Ils me trouveront toûjours prêt à les satisfaire. J’en donnerai même un petit essai dans les réflexions XXVIII et XXXII.
XXIII. Il y a quelques faussetez de fait dans le Jugement de Monsieur l’abbé Renaudot. J’ignore si elles viennent de lui ou des copistes. Outre que chaque lecteur se peut convaincre sans peine, qu’il est très faux que je donne plus d’éloges à Monsieur Abelli qu’à Messieurs de Saint Cyran et Arnauld [69] ; ni que je louë les traitez de controverse du Pere Maimbourg, plus que ceux de Monsieur Nicolle ; ni que je noircisse celui-ci, « comme aiant écrit des points de doctrine qu’il ne croioit pas » [70]. Comment l’aurois-je noirci de ce côté-là, puisque je pose formellement que si son silence a pû être attribué à un tel principe, il a pû aussi être allié avec la persuasion ? Je laisse au jugement des lecteurs quelques autres faussetez de même nature.
XXIV. Le commentaire sur le Jugement de cet abbé contient entre autres mensonges celui-ci, que la guerre a été cause que mon imprimeur a surpris le privilege [71]. Ce mensonge a plus de têtes que Cerbere ; car il suppose que les Etats de Hollande auroient fait examiner mon livre, s’ils n’avoient été trop occupez. Pensée chimérique ! Comme si un ordre donné en deux mots à des professeurs de Leide eût pu interrompre le soin des affaires générales. Mais d’ailleurs notre homme suppose qu’en tems de paix les privilèges ne s’accordent que pour des livres examinez et approuvez. Autre chimere. Messieurs les Etats ne les accordent que pour la sûreté de l’imprimeur, et nullement comme une marque de l’approbation des livres [72] ; car ils déclarent qu’ils ne prétendent point en autoriser le contenu. Enfin jamais privilege n’a été moins obtenu par surprice que celui-ci ; car il n’a été accordé qu’après un long examen de l’opposition des imprimeurs du Moreri [73].
XXV. Le I er extrait assûre que « je suppose que il n’y avait pas d’historien des Mores » [74]. Mais il est visible que je ne suppose sinon que nous n’avons point une histoire particuliere d’Abdérame. Le second extrait débite que j’ai travaillé sur des mémoires qui m’ont été envoiez de France ? J’ai toûjours marqué d’où je recevois quelque chose. Qu’on joigne ensemble ce que j’ai reçu de ce païs-là, on n’en pourra point remplir dix pages [75].
XXVI. Il y a dans le 9 e extrait une chose que je regarderai toûjours comme un horrible mensonge, à moins que je ne voie un certificat de Monsieur l’ evêque de Salisbury [76]. Un tel discours est si peu conforme à l’idée que j’ai de l’esprit et de la science de ce grand prélat, que je ne puis l’en croire capable. Un si habile homme auroit trouvé l’athéisme dans un ouvrage, où l’on établit cent fois que la raison se doit taire quand la parole de Dieu parle [77] ? N’est-ce point le principe de l’orthodoxie la plus sévère dans l’une et dans l’autre communion ? Une autre chose me fait croire qu’il y a ici beaucoup d’imposture ; « le public n’a que faire de leurs différens person[n]els », a dit ce prélat « avec indignation », si l’on s’en rap[p]orte à l’extrait. Quelle apparence qu’il ait parlé de la sorte, puisqu’il est visible que je ne fais aucune mention de ces différens ? Je censure mon adversaire sur des fautes que je montre dans ses ecrits, ou par des réflexions générales qui lui peuvent être appliquées ; mais je ne touche point à nos démêlez. En un mot, tout ce que j’ai fait se trouve enfermé dans le ressort, ou dans la jurisdiction d’un ecrivain, qui donne une histoire accompagnée d’un commentaire critique. On n’en peut disconvenir, si l’on est capable de juger avec connoissance de cause. J’ai un plein droit, par exemple, d’alléguer comme des faits tous les faux pas dont mon adversaire a été taxé dans les quatre tomes de Monsieur Saurin [78]. Je me sers de cet exemple, afin qu’on voie en passant le ridicule de ses espérances. On le peut faire vivre dans une critique, non pas comme l’ennemi mortel des libertins, mais comme atteint et convaincu de mille défauts honteux par un célèbre ministre qu’un synode a déclaré orthodoxe.
XXVII. L’extrait 11 assûre que Monsieur l’abbé Renaudot « me taxe de beaucoup de méprises dans l’histoire, la géographie, la chronologie et autres sciences » [79]. Cela n’est pas vrai. Il dit seulement 1° qu’il y a beaucoup de faussetez dans mon ouvrage ; 2° que dans les articles d’érudition un peu recherchez, je fais plus de fautes que Moreri. Les faussetez qu’il entend concernent ce que je rapporte ou contre les papes etc. ou à la gloire des réformateurs etc. En vertu de ses préjugez il présuppose qu’il y a là bien des mensonges. Mais en tout cas, ce ne seront point des faussetez à mon égard, puisque je les tire des ouvrages que je cite et que je déclare dans ma préface que je ne cautionne que la fidélité des citations. Il met entre ces faussetez le projet de réunion proposé à Amyrault par le jésuite Godebert au nom du cardinal Mazarin. Il falloit dire Audebert au nom du cardinal de Richelieu [80]. En cela je n’ai fait que suivre le mémoire de Monsieur Amyrault le fils, lequel j’ai cité. C’est à lui à le garantir. Quant aux fautes d’érudition, Monsieur l’abbé ne dit point où elles consistent et par conséquent le publicateur des extraits fournit lui-même des preuves de la témérité de ses témoins. Il nous apprend à les convaincre qu’ils se sont melez d’écrire des choses dont ils etoient mal informez. L’un dit que « je louë trop de l’avis de bien des gens » [81] : le publicateur au contraire soûtient que j’ai maltraité tout le monde [82]. Voilà les gens qu’il produit pour nous assurer de l’opinion générale.
XXVIII. Il y a dans le 13 e extrait « que dans l’article de « Pyrrhon » et en plusieurs autres le libertinage y est enseigné d’une maniere très dangereuse », et que j’ai pris de Meziriac toutes les observations, quelquefois d’une longueur ennuiante, « sur les Dieux, sur les héros, sur la mythologie payenne » [83]. Le premier point ne peut être discuté dans une feüille volante. Il me suffit en général d’observer ici, que ce prétendu libertinage est une justification très solide de nos docteurs les plus orthodoxes. Ils ne cessent de reprocher aux sectaires que le principe des sociniens conduit au pyrrhonisme, au déïsme, à l’athéïsme. Sur cela je leur demande, ou vous êtes des calomniateurs, ou il est très vrai qu’à moins que de captiver son entendement à l’obéissance de la foi, on est conduit par les principes de la philosophie à douter de tout. Or vous n’êtes point calomniateurs, donc il est très vrai etc [84]. Vous vous plaignez que je fasse voir par des exemples sensibles que vous ne calomniez pas les sociniens. Ne devriez-vous pas plûtôt m’en remercier ? Savez-vous bien qu’en Italie, sous le feu de l’Inquisition, on imprime impunément que nous ne savons avec certitude que par la foi qu’il y ait des corps ? Et vous voulez imposer en ce païs-ci un joug plus rude que celui du pape ? Je puis prouver qu’à Boulogne, qu’à Padouë etc. les professeurs en philosophie ont soûtenu hautement et impunément que l’on ne sçauroit prouver que par l’Ecriture l’immortalité de l’ame [85]. Je ferai voir dans le supplément de ce Dictionnaire, à l’article de « Pomponace » qui est déjà composé [86], qu’il n’y eût jamais de persécution plus mal fondée, que celle qu’on fit à Pomponace à ce sujet-là.
A l’égard de Meziriac [87], si l’on prétend que j’ai pris de lui des observations sans le citer, on me calomnie. Ni lui, ni aucun autre ecrivain, ne m’ont rien fourni dont je ne leur aie fait honneur en les citant, et en me servant même de leurs paroles presque toûjours. Comme l’auteur de la lettre ne dit point si j’ai cité Meziriac ou non, je ne puis point l’accuser de dire que j’ai été plagiaire. Mais j’impute tres justement ce mensonge à celui qui a publié l’extrait ; car voici son commentaire : « Un de nos extraits dit qu’il a pris de Meziriac sur les Epitres d’ Ovide tout ce qu’il dit des divinitez payennes, et que ce livre est assez rare. Voilà son grand art : il connoît assez bien les livres, il sait ceux qui sont rares et ceux qui sont communs : il pille avec hardiesse ceux qui sont rares, assuré que peu de gens s’appercevront du vol [88] ». Nous avons ici un exemple du péril qu’on court, quand on se mêle de parler d’un livre que l’on n’a point lû. Si le commentateur de l’extrait avait lû mon Dictionnaire, je doute qu’il eût osé dire que j’ai pillé Meziriac ; il auroit vû que je le cite toûjours. J’en ai usé de la sorte envers tous ceux qui m’ont fourni ou des faits, ou des pensées [89].
XXIX. Je crois aisément que les observations de mythologie ont été bien ennuiantes. On m’a écrit la même chose à l’égard des discussions chronologiques, et en general de tout ce qu’on peut appeller érudition. Je l’avois bien prévû ; et c’est pour quoi en mille rencontres je considérai ces choses comme l’ecart du jeu de piquet [90]. Je m’en défis, et je portai [91] d’autres cartes, moins fortes à la vérité, mais plus capables de faire gagner la partie ; car nous sommes dans un siecle où on lit bien plus pour se divertir, que pour devenir savant. Si j’avois fait mon Dictionnaire selon le goût de Monsieur l’abbé Renaudot, personne ne l’eût voulu imprimer ; et si quelcun avoit été assez hasardeux pour le mettre sous la presse, il n’en auroit pas vendu cent exemplaires. Si j’en avois ôté toute la littérature, la premiere édition n’auroit pas duré trois mois. S’imagine-t-il que j’aie pris pour des choses importantes toutes celles que j’ai emploiées ? Il me feroit tort. Je les ai prises pour ce qu’elles sont, et je ne m’en suis servi, qu’afin de m’accommoder à la maladie du tems. C’est ce qu’il faut faire quand on ne peut pas la guérir. Si j’avois écrit en latin, je me serois gouverné d’une autre manière ; et si l’on eût eu le goût du siecle passé, je n’eusse mis dans mon livre que de la littérature ; mais les tems sont changez. Les bonnes choses toutes seules dégoûtent. Il faut les mêler avec d’autres, si l’on veut que le lecteur ait la patience de les lire :
Cum dare conantur prius oras pocula circum etc. [92]
XXX. C’est ici le lieu de répondre aux dernieres lignes de la page 29. « Les personnes de meilleur goût entre ses propres amis avouent qu’on pouvoit retrancher de son ouvrage une grande moitié sans lui faire tort » [93]. Ces personnes-là n’en disent pas tant que moi. Je passe jusqu’aux deux tiers, et jusqu’aux trois quarts, et au-delà ; et si l’on me commandoit d’abréger mon Dictionnaire, en telle sorte qu’au jugement d’un Henri Valois [94] il ne contint rien que de bon, je le réduirais à un livre à mettre à la poche. Henri Valois et les savans de sa volée trouvent superflu dans un ouvrage tout ce qu’ils savent déjà, ou tout ce qu’ils n’espèrent point de tourner un jour à leur profit. Mais ils devroient compatir aux necessitez des demi-savans et du vulgaire de la République des Lettres. Ils devroient savoir qu’elle est divisée en plus de classes que la république romaine. Chacune a ses besoins, et c’est le propre des compilations de servir à tout le monde, aux uns par un côté, aux autres par un autre. Ils se trompent donc malgré leurs belles lumières, lorsqu’ils disent absolument « ceci est utile ou inutile, cela est superflu ». Ces attributs ne sont-ils pas relatifs ? Dites plûtôt, « cela est utile et nécessaire pour moi et pour mes semblables, utile ou inutile néanmoins pour cent autres gens de lettres ». Ce n’est pas raisonner juste que de dire, un tel ouvrage mériteroit mieux l’approbation des plus savans homnes de l’Europe s’il étoit plus court, donc il eût fal[l]u le faire plus court. N’allez pas si vite. Il n’y a rien d’inutile dans ces volumes que vous marquez ; car ce qui ne vous peut servir servira à plusieurs autres, et je suis bien assuré que si l’on pouvoit assembler tous les bourgeois de la République des Lettres, pour les faire opiner l’un après l’autre sur ce qu’il y auroit à ôter, ou à laisser dans une vaste compilation, on trouveroit que les choses que les uns voudroient ôter, seroient justement les mêmes que les autres voudroient retenir. Il y a cent observations à faire, tant sur les véritables qualitez de cette sorte d’ouvrage, que sur l’inséparabilité de la critique et des minuties. On en peut aussi faire beaucoup sur la différence qui se rencontre entre un bon livre et un livre utile, entre un auteur qui ne se propose que l’approbation d’un petit nombre de scientifiques, et un auteur qui préfère l’utilité générale à la gloire de mériter cette approbation, qui n’est pas moins difficile à conquérir qu’une couronne. Mais on trouvera de meilleures occasions de traiter de cette matiere.
Ne passons pas plus avant sans marquer un gros mensonge du treizieme extrait. L’anonyme écrivant de Londres le 28 may 1697 assure que le libraire Cailloué n’avoit pas vendu plus de 40 exemplaires. On peut prouver par une lettre qu’il a écrite le 22 e de mars 1697 [95], qu’il en avoit vendu 52 ; et notez cette circonstance, il répondit ainsi sur ce que l’imprimeur de ce Dictionnaire lui avoit mandé qu’il avoit appris, qu’avant la fin de février lui Cailloué avoit vendu plus de 60 exemplaires. Il répondit qu’il n’en avoit livré que 52. Ce n’étoit pas nier qu’il n’en eut vendu plus de 60. Notez qu’il n’avoit reçu ses exemplaires qu’en décembre. Je conclus de là que les auteurs anonymes qu’on nous produit sont mal informez, et qu’il ne faut faire aucun fond sur leurs nouvelles.
XXXI. Le 14 e extrait porte que ce que j’ai dit de Louïs XIII « a obligé particulierement Monsieur le chancelier de brûler » mon Dictionnaire « et de le défendre ». Si cela veut dire que Monsieur le chancelier a jetté au feu dans sa maison l’exemplaire qu’on lui avoit envoié, je suis sûr que l’on se trompe. Si l’on veut dire qu’il l’a fait brûler publiquement par le bourreau, je ne doute pas que l’on ne débite une insigne fausseté [96]. Le commentateur des extraits a pris la phrase au dernier sens.
XXXII. Faisons une bonne réflexion sur le dernier des extraits, c’est celui où il y a le plus de fureur. L’anonyme qui s’emporte si étrangement, n’a qu’à lire mes Additions aux « Pensées sur le cometes » ; s’il n’y voit pas que j’ai eu raison « de dénoncer par toute la terre pour des calomniateurs [97] », ceux qui m’ont accusé de deisme ou d’athéïsme, il sera bien stupide, et il le sera encore plus, s’il s’imagine que mon Dictionnaire est capable d’excuser mes accusateurs. Au reste, je veux bien qu’il sache que de quelque profession qu’il soit, on lui fera toûjours beaucoup d’honneur, si l’on dit que sa conduite est aussi réglée que la mienne l’a été toûjours et l’est encore. Je ne remarque cela qu’afin que lui et les autres puissent apprendre à peser mieux leurs paroles, quand ils parleront de conduite. Il m’apprend que mon article d’« Adam » est l’un de ceux qui excitent « avec raison l’indignation des honnêtes gens [98] ». Je suis bien aise de le savoir ; car je n’aurois jamais crû qu’on se fondât là-dessus. Et rien n’est plus propre que cela aupres des lecteurs intelligen[t]s, pour démontrer qu’on se scandalise mal à propos. Cet homme assûre qu’il ne voit pas que je puisse éviter l’excom[m]unication ; c’est parler comme un nouveau converti du paganisme. Il faut donc lui apprendre que nous n’avons pas une telle coutûme, ni aussi les Eglises de Dieu [99]. Nous n’excommunions les gens qu’en ces deux cas, l’un lorsque leurs crimes, comme l’inceste, la prostitution, l’adultere, le concubinage, l’assassinat, etc. scandalisent le public ; l’autre : lorsqu’ils soutiennent dogmatiquement des hérésies et qu’il s’opiniâtrent à les défendre malgré le jugement de l’Eglise. C’est ainsi qu’on excommunia les ministres remontrans [100], qui après avoir soutenu leurs opinions avec chaleur pendant plus de 7 ou 8 années, déclarèrent que nonobstant les canons du synode de Dordrecht, ils vouloient vivre et mourir dans leurs sentimens. Mais il est inoüi qu’on ait procédé par des censures ecclésiastiques contre la personne des auteurs, qui ont parlé historiquement des impuretez de la vie humaine ou qui aiant déclaré qu’ils sont fermement unis à la foi de leur Eglise, rapportent comme des jeux d’esprit ce que la raison peut alléguer sur ceci ou sur cela. Il est inoüi, dis-je, que de tels auteurs aient été excommuniez, lorsqu’ils déclarent comme moi que toutes ces vaines subtilitez de philosophie ne doivent servir qu’à nous faire prendre pour guide la Révélation [101], l’unique et le vrai remède des tenebres dont le péché couvre les facultez de notre ame, et qu’ils sont prets même à effacer tous ces jeux d’esprit, si on le trouve à propos. Notez que les nouvellistes de mon adversaire ont eu assez de bonne foi pour lui rapporter « Que j’etens par tout quelque voile, derriere lequel je me réserve une retraite pour le cas de nécessité » ; c’est « qu’il faut s’en tenir à la Revelation et soumettre la raison à la foi [102] ». Pouvois-je choisir une meilleure retraite ? Un homme qui a cherché sa félicité dans les avantages de la terre, et qui n’aiant pû la rencontrer nulle part, s’attache à Dieu comme à l’unique souverain bien, ne fait-il pas le meilleur usage qu’il puisse faire de sa raison ? Ne faut-il pas dire la même chose d’un philosophe, qui cherchant en vain la certitude par les lumieres naturelles, conclut qu’il faut s’adresser à la lumière surnaturelle, et s’attacher à cela uniquement ? Ne seroit-ce pas le conseil que David et tous les autres prophetes, et les apotres donneroient aux sages du monde ? Quoi ! Je ne serois pas à couvert des foudres de l’excommunication dans un asile si sacré, si inviolable ? Les théologiens eux-mêmes seroient les premiers à ne le pas repecter ! Je ne puis croire cela, et ainsi notre anonyme juge témérairement.
Je ne puis pas convenir que les rapporteurs aient eu toujours de la bonne foi ; car ils ont fait accroire au censeur, que je ne parle de la soumission à l’Ecriture, qu’« en disant, et apres avoir dit tout ce qui se peut imaginer pour affoiblir l’autorité de la Révélation et des ecrivains sacrez [103] ». Cela est tres faux, et je les défie d’en donner la moindre preuve. Il ne paroît pas qu’ils lui aient allégué d’autres raisons que celles que j’ai réfutées ci-dessus n° VI et n° XXI et celle qu’ils ont fondée sur mon article de « David ». Je ne sai pas s’ils lui ont parlé de mon Eclaircissement [104], ou non. S’ils n’en ont rien dit, ils sont tres blâmables ; mais s’ils en ont fait un rapport fidele, il ne peut se justifier d’un artifice tres indigne d’un homme d’honneur ; car les loix de la dispute ne permettent pas que que l’on supprime ce qui sert à justifier les gens. Voilà sa coutume éternelle, il ne s’attache qu’à ce qui lui sert, il le tourne de la maniere la plus odieuse par des hyperboles violentes. Tout ce que j’ai dit de quelques actions de David revient à ceci, qu’elles peuvent bien passer pour conformes à l’art de régner, et à la prudence humaine, mes non pas pas aux loix rigoureuses de la sainteté. Conclure de là que je « l’ai dépeint comme un scélérat [105] », c’est fouler aux pieds toutes les règles du raisonnement par une passion furieuse. Je ne demande que des juges équitables. Ils ne trouveront jamais que l’on donne atteinte à l’autorité de l’inspiration, lorsqu’on remarque des défauts dans la personne inspirée. Nous convenons tous que l’adultere et l’homicide n’ont point empêché que David n’ait été un grand prophête. Saint Paul n’a pas craint qu’en nous donnant une forte idée des infirmitez du vieil homme qui le faisoient soupirer, et qui demandoit un remede tres violent, il affoibliroit l’efficace de ses ecrits. Mais c’est une matiere qu’on ne peut traiter en peu de paroles. Revenons à l’anonyme, et à ses menaces de l’excommunication.
XXXIII. Les tribunaux ecclésiastiques ont-ils jamais procédé contre les traducteurs des Nouvelles de Boccace, contre d’Ouville, contre La Fontaine [106] ? J’allegue ces exemples comme un argument du plus au moins ; car personne n’osoroit dire que j’aie approché de la licence de ces gens-là. Les impuretez horribles de leurs ecrits, qui ont fait condamner au feu par sentence du Chatelet de Paris les Contes de La Fontaine sont en quelque sorte leurs inventions : et pour moi je n’ai fait que copier ce qui se trouve dans des livres historiques connus de toute la terre, et j’y ai joint presque toûjours une marque de condamnation [107]. Je n’en ai parlé que comme de choses qui témoignent le déréglement extrême de l’homme, et qui doivent faire déplorer sa corruption. Il n’y a gueres de commentateur, dont le sérieux puisse tenir contre les pieces qui se trouvent dans les œuvres d’ Abélard [108], ou contre la simplicité que l’on impute au bon Robert d’Arbrisselles [109]. Voilà bien de quoi crier, si j’ai plaisanté sur de telles choses, c’est-à-dire si je les ai censurées en les tournant en ridicule : vous m’allez dire que je n’allegue que des exemples de la tolérance de la communion de Rome. Mais ne peut-on pas vous répondre que c’est l’argument du plus au moins ? N’avez-vous pas crié mille et mille fois contre son gouvernement tyrannique ? Si cela ne vous satisfait pas prenons la chose d’un autre biais.
XXXIV. Nos peres censurérent-ils Ambroise Paré [110], dont les livres françois d’anatomie sont remplis d’ordures ? Censurerent-ils les ecrivains qui publierent en phrases choquantes les déreglemens impudiques de la cour de Charles IX, et de Henri III [111] ? Censurerent-ils d’Aubigné, dont la plume fut non seulement fort satirique, mais aussi très sale [112] ? Censurerent-ils Henri Etienne, pour avoir publié tant de sots contes, gras et burlesques, dans son Apologie d’Herodote [113] ? En ce païs-ci Sainte Aldegonde [114] n’a-t-il point mis dans un ouvrage de controverse toutes sortes de quolibets et beaucoup de termes gras [115] ? A-t-on censuré cela ? Les commentaires de Scaliger sur les Priapées [116], ceux de Douza sur Petrone [117], remplis de doctrines sales et lascives, ont-ils fait des affaires à leurs auteurs ; l’un professeur à l’académie de Leide, l’autre curateur de la même académie ? Peut-on rien voir de plus sale que les Baudii Amores, livre publié à Leide par le professeur Scriverius [118] ? Le recueil des poésies de Daniel Heinsius [119], professeur aussi à Leide n’en contient-ils pas de tres lascives ? Tous ces ecrits et plusieurs autres n’ont-ils pas eté tolerez ? Les consistoires et les synodes ont-ils fait des procedures ou contre les ecrivains, ou contre les livres ? Je ne dis rien du commentaire d’un professeur de Franeker sur la pastorale de Longus, j’en ai parlé dans mon Dictionnaire [120]. Je souhaite seulement que l’on prenne garde, qu’un commentateur qui cite les impuretez, est mille fois plus excusable qu’un poëte qui en compose. Quand on m’aura fait connoître le secret de recueillir dans une compilation, tout ce que les Anciens disent de la courtisane Laïs [121], et de ne point rapporter pourtant des actions impures, je passerai condamnation. Il faut du moins qu’on me prouve qu’un commentateur n’est pas en droit de rassembler tout ce qui s’est dit d’ Helène [122] ; mais comment le prouveroit-on ? Ou est le législateur qui ait dit aux compilateurs, « Vous irez jusques-là, vous ne passerez point outre : vous ne citerez point Athenée [123], ni ce scholiaste, ni ce philosophe » ? Ne sont-ils pas en possession de ne donner point d’autres bornes à leurs chapitres, que celles de leur lecture ? Mais voici un meilleur moïen de satisfaire les critiques. Je veux corriger dans une seconde edition les defauts de la premiere. Je m’occupe à cela avec toute mon application. Je ne me contenterai pas de rectifier ce qui est défectueux par rapport ou à l’histoire, ou à la chronologie, etc. j’oterai même les expressions et les manieres trop libres etc, et je supplie tous mes lecteurs, et principalement ceux qui sont membres des consistoires flamans, françois, etc. en ce païs-ci de m’aider par leurs remarques, à mettre mon Dictionnaire en bon état pour une nouvelle edition [124]. Les ouvrages de cette nature, et sur tout quand ils sont faits la hâte et avec peu d’aides, ne sont d’abord qu’une ébauche informe. Ils se perfectionnent peu à peu ; chacun en sait des exemples.
XXXV. Le dernier mensonge que j’indique est à la derniere page de l’imprimé [125]. On y voit 1° que je prépare « un nouveau Dictionnaire, où il n’y aura rien que de grave, de sage, de pur, et de judicieux. 2° Qu’on sait de bonne part que je cherche un grand nom distingué non seulement par la qualité, mais par le mérite et par la piété, pour mettre à la tête ». Je n’ai rien à dire sur le premier point ; car puisque mon adversaire m’avertit, que l’on a fait un grand préjudice à mon Dictionnaire en le preconisant par avance, c’est à moi à profiter de ce bon avis. Car que seroit-ce si j’allois moi-même vanter un livre que je n’ai pas fait encore ? Sa malignité contre le libraire se découvre ici. Il veut préparer le monde à ne se point soucier de mon Sup[p]lément. Sur le second point, je lui déclare qu’il a eté mal servi par ses nouvellistes. A ce que je vois, ils lui en font bien accroire, tout comme il y a six ou sept ans [126]. Je n’ai jamais été plus surpris, qu’en voiant dans son libelle ce dessein de dédicace, à quoi je ne songe, ni n’ai songé, non plus qu’à la découverte des païs austraux [127].
XXXVI. J’ai pris garde que l’affaire de Bellarmin [128] lui tient au cœur : je ne m’en étonne pas ; mais la prudence auroit voulu qu’il n’en eût pas fait la matiere d’une addition à la fin de son ecrit. Le silence eût été le bon parti ; moins on remuë certaines choses, moins s’y embar[r]asse-t-on. Ce que j’en ai dit n’est point un exemple « de menuitez* et de malignitez ». J’eusse mal rempli sans cela les devoirs d’historien ; puisque le dessein primitif de mon ouvrage étoit d’observer les fausses accusations, à quoi les personnes dont je parlerois auroient été exposées. Si j’eusse omis celle-la dans l’article de « Bellarmin [129] » n’eût-on pas pû dire raisonnablement que j’étois partial et que j’oubliois des choses dont je ne pouvois prétendre cause d’ignorance ? Je l’ai tirée non d’aucun livre satirique, comme il le dit faussement, mais d’un ouvrage de controverse, et du Journal des savan[t]s. Je n’examine point le tour qu’il prend pour couvrir sa faute ; je prie seulement mes lecteurs de recourir à mon Dictionnaire, afin de comparer à sa réflexion les pieces qu’on a produites. On verra par ce parallele combien la nature patit en lui, quand il faut faire quelque acte d’humilité de bonne foi. Je n’en suis point surpris ; car lorsqu’un arc a été toûjours plié d’un certain sens, on a mille peines à le courber du sens contraire, la premiere fois qu’on l’entreprend. Il en va de même des fibres de notre cerveau [130].
XXXVII. Je finis par une petite réflexion sur le long silence de mon adversaire [131]. J’avois crû qu’on verroit presque aussi-tôt que mes deux volumes un petit écrit de sa façon, où il annonceroit à toute la terre, bien muni du refrain de ses chansons de l’ Avis aux réfugiez etc. tant de fois réfutées, que c’étoit le plus abominable, le plus affreux, le plus détestable livre qui eût jamais vû le jour, un amas énorme d’impiétez, et de saletez monstrueuses, avec une misérable collection de minuties littéraires, qui ne feroit pas honneur à un ecolier de seconde. J’étois assûré qu’il ne s’engageroit pas à refuter ma critique pour sa justification, je n’attendois qu’un débordement subit d’injures vagues. Je me suis trompé dans mon calcul ; il n’est point accouché avant terme de l’écrit dont il était gros ; il ne s’en est délivré qu’au dixieme mois [132].
Qu’il me soit permis de mettre ici une pensée de Monsieur de La Bruyere [134], « Que dites vous du livre d’Hermodore ? Qu’il est mauvais, répond Anthime ; qu’il est mauvais ; qu’il est tel, continuë-t-il, que ce n’est pas un livre, ou qui mérite du moins que le monde en parle. Mais l’avez-vous lû ? Non dit Anthime. Que n’ajoûte-t-il que Fulvie et Mélanie l’ont condamné sans l’avoir lu et qu’il est ami de Fulvie et de Mélanie ? » Il semble qu’on ait fait cette remarque tout exprès pour moi.
Si j’ai été plus long que je n’avois résolu au commencement, c’est que j’ai crû dans la suite qu’il fal[l]oit s’étendre sur certaines choses, afin de n’être pas obligé de me détourner de mon travail à l’avenir, en cas que mes ennemis publient d’autres libelles. Je leur laisserai dire tout ce qu’ils voudront, j’irai toûjours mon chemin, qu’ils criaillent tout leur sou : je lirai leurs satires ; je le leur promets, et j’en profiterai, s’il le faut ; mais je ne perdrai point de tems à y répondre comme je viens de faire.
Le 17 e de septembre 1697
Notes :
[1] C’est l’annonce du « supplément » du DHC auquel Bayle songeait à cette époque ; ce projet se transformera en deuxième édition augmentée et corrigée, accompagnée d’un appendice sous forme d’« Eclaircissements ».
[2] Voir le texte intégral du Jugement de Renaudot en Annexe I du volume X de cette édition. Bayle commente la version que Jurieu venait de publier à Rotterdam. Voir aussi P.-F. Burger, « La prohibition du Dictionaire historique et critique de Pierre Bayle par l’abbé Renaudot (1648–1720) », in H. Bots (dir.), Critical Spirit, wisdom and erudition on the eve of the Enlightenment (Amsterdam 1998), p.81–107, et A. Matytsin, « Fictional letters or real accusations ? Anonymous correspondence in the Bayle-Jurieu controversy », Society and Politics, 7 (2013), p.178-190.
[3] Voir l’« Extrait d’une lettre imprimée d’un agent de Messieurs les Etats à Londres du 29 avril 1697 », qui accompagne le Jugement de Renaudot dans l’édition publiée par Jurieu : ce texte se trouve dans notre édition du Jugement en annexe du volume X.
[4] Pierre Jurieu, qui avait fait publier le Jugement de Renaudot chez Abraham Acher à Rotterdam.
[5] Allusion à la tyrannie proverbiale de Phalaris, qui aurait fait construire un taureau d’airain pour y faire rôtir ses victimes : voir DHC, art. « Timée », rem. F.
[6] Renaudot « odieux et méprisé dans tous les païs qui font la guerre à la France » en tant que principal rédacteur de la Gazette, qui minimisait les victoires des ennemis de la France et glorifiait constamment les prouesses de Louis XIV. Sur Renaudot et la Gazette, voir J. Sgard, Dictionnaire des journalistes, s.v. (art. de F. Burger), et le Dictionnaire de Port-Royal, s.v. (art. de F. Burger et A. McKenna).
[7] Proche de Port-Royal, Renaudot devait publier une suite à l’œuvre d’ Arnauld et de Nicole, La Perpétuité de la foy de l’Eglise catholique. Tome IV, contenant un examen particulier de la conformité de la doctrine des Grecs avec celle de l’Eglise latine (Paris 1711, 4°) et La Perpétuité de la foy de l’Eglise catholique sur les sacremens et sur tous les autres points de religion et de discipline, prouvée par le consentement des Eglises orientales (Paris 1713, 4°), où il continuait à exploiter les témoignages envoyés par Charles Olier de Nointel de son ambassade à Constantinople en 1672 : voir le Dictionnaire de Port-Royal, art. « Nointel, Charles-François Olier de » (art. de R. Pouzet) et BNF, n.a.f. 7460 : Lettres de M. Nointel, ambassadeur de France en Turquie, à MM. de Port-Royal, et documents divers relatifs à la doctrine des Eglises d’Orient sur l’eucharistie (1667-1672).
[8] Dans ses œuvres, Tertullien ne cesse de fustiger le luxe et la coquetterie des femmes. Voir, en particulier, Apologeticum [ Apologétique], VI ; De spectaculis [ Contre les spectacles], XXV ; De cultu feminarum [ De l’ornement des femmes], I, 1.
[9] Souvenir de la défense de la comédie dans la Réponse aux « Observations touchant le “Festin de pierre” de M. de Molière » : « Ces anciens philosophes qui nous ont soutenu que la vertu avait d’elle-même assez de charmes pour n’avoir pas besoin de partisans qui découvrissent sa beauté par une éloquence étudiée, changeraient sans doute de sentiment s’ils pouvaient voir combien les hommes d’aujourd’hui l’ont défigurée sous prétexte de l’embellir : ils se sont imaginé qu’elle paraîtrait bien plus aimable, s’ils en rendaient l’acquisition plus difficile et plus épineuse ; et ce pernicieux dessein leur a réussi si heureusement, qu’on ne saurait plus passer pour vertueux que l’on ne se prive de tous les plaisirs qui n’ont pas la vertu pour leur unique objet ; et comme ils se sont aperçus que la comédie en était un puisqu’elle mortifie moins les sens qu’elle ne les divertit, ils l’ont dépeinte comme l’ennemie et la rivale de la vertu ; ils prétendent qu’elle soit incompatible avec les plaisirs les plus innocents ; et ainsi, de cette familière déesse qui s’accommode avec les gens de tous métiers et de tous âges, ils en ont fait la plus austère et la plus jalouse de toutes les divinités. L’auteur à qui je réponds est un de ces sages réformateurs [...] il soutient que c’est le devoir d’un chrétien de corriger tous ceux qui manquent ; et sans considérer qu’il n’est pas plus blâmable de souffrir les impiétés qu’on pourrait empêcher que d’ambitionner à passer pour le réformateur de la vie humaine, il vient de composer un livre où il se déclare le plus ferme appui et le meilleur soutien de la vertu. Mais ne m’avouera-t-on point qu’il s’y prend bien mal pour nous persuader que la véritable dévotion le fait agir, lorsqu’il traite M. Molière de démon incarné, parce qu’il a fait des pièces galantes et qu’il n’emploie pas ce beau talent que la nature lui a donné à traduire le vie des Saints Pères ? » (in Molière, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris 1971, i.1209-1210).
[10] Bayle envisage donc à cette date l’ Eclaircissement sur les obscénitez, qui devait être publié en annexe de la deuxième édition du DHC en 1702. Cette composition ne fut donc pas motivée uniquement par les demandes insistantes – ultérieures – du consistoire de l’Eglise wallonne de Rotterdam. Voir les actes du consistoire en annexe du présent volume.
[11] Bayle devait se résoudre par la suite à composer trois Eclaircissements sur cette question : un Eclaircissement sur les manichéens, un Eclaircissement sur les pyrrhoniens et un Eclaircissement sur les athées. Voir le texte de ces Eclaircissements et des commentaires contradictoires quant aux intentions de Bayle dans H. Bost et A. McKenna (dir.), Les « Eclaircissements » de Pierre Bayle (Paris 2010).
[12] Sur le scandale provoqué par cet article, voir Lettres 728, n.8, 1363, n.110, et 1375, n.22, ainsi que W. Rex, Essays on Pierre Bayle and religious controversy (The Hague 1965), et H. Bost et A. McKenna, « L’Affaire Bayle », p.62-66, et les actes du consistoire de l’Eglise wallonne de Rotterdam à partir du 3 novembre 1697 (en annexe à ce volume).
[13] Dans la deuxième édition du DHC, datée de 1702, Bayle censure son article « David » et ajoute un commentaire à sa remarque G : « Quant aux remarques que certains critiques voudroient étaler pour faire voir qu’en quelques actions de sa vie il a mérité un grand blâme, je les supprime dans cette édition d’autant plus agréablement, que des personnes beaucoup plus éclairées que moi en ce genre de matieres m’ont assuré que l’on dissipe facilement tous ces nuages d’objections, dès qu’on se souvient : I. qu’il étoit roi de droit pendant la vie de Saül ; II. qu’il avait avec lui le grand sacrificateur qui consultoit Dieu pour savoir ce qu’il falloit faire ; III. que l’ordre donné à Josué d’exterminer les infidelles de la Palestine subsistoit toûjours ; IV. que plusieurs autres circonstances tirées de l’Ecriture, nous peuvent convaincre de l’innocence de David dans une conduite, qui considérée en général paroît mauvaise, et qui le seroit aujourd’hui. » Cependant, à la demande du public, Leers publia une version complète de l’article « David » initial à la fin du même tome.
[14] Argument vulnérable à l’objection que Montaigne venait d’être interdit en France et que le Jugement de Renaudot ne visait, de même, à faire interdire le DHC qu’en France.
[15] Voir la lettre de Renaudot à Janiçon du 2 juillet 1697 (Lettre 1271) : « C’est donc un malheur inévitable que je seray toujours l’objet des reproches de Monsieur Bayle. Mandez lui, mon cher Monsieur, qu’il ne peut mieux faire que de montrer que je me trompe sur ce que j’ay dit. Il n’aura pas de peine à persuader tous les lecteurs, et admirateurs des livres modernes, dont le nombre est fort grand : mais que je ne pretends ny suivre dans leur jugement, ny les attirer au mien. J’ay une autre idée de la litterature qu’on n’a communement. Et l’âge que j’ay m’y confirme, ainsy que l’exemple des hom[m]es veritablement scavans qui ont esté mes maitres. »
[16] Sur la citation d’une lettre de Bayle par Charles Perrault dans sa critique de Boileau, voir Lettres 1086, n.12, et 1105, n.6.
[17] Voir Renaudot, Jugement, in fine : « On peut juger de la capacité d’un homme, qui dans l’extrait de cette vie [de Pomponius Atticus par Cornelius Nepos] traduit librarii par libraire. »
[18] Voir la note marginale du Jugement : « Le mot signifie ce qui pese une livre, libraria frustra, morceaux pesans chacun une livre ».
[19] Pierre Jurieu.
[20] Jurieu se contredit en publiant cette dénonciation du DHC par les autorités françaises, déclare Bayle, car elle dément les accusations qu’il avait lancées contre Bayle dans l’affaire de la « cabale chimérique » de complicité avec la cour de France : voir Lettre 857, et H. Bost et A. McKenna, « L’Affaire Bayle », p.49-50.
[21] Allusion au pamphlet polémique de quatre pages de Bayle sur un sermon de Jurieu : Nouvelle hérésie dans la morale touchant la haine du prochain (s.l., 2 mars 1694, 4°) ; voir aussi Henri Basnage de Beauval, Considérations sur deux sermons de M. Jurieu touchant l’amour du prochain, où l’on traite incidemment de cette question curieuse, s’il faut haïr M. Jurieu (s.l. [1694], 8°).
[22] Voir la bibliographie des pamphlets de l’affaire de la « cabale chimérique » en Annexe III du volume VIII de la présente édition.
[23] On lit au tout début du Jugement de Renaudot, p.5-6 : « Pour ce qui regarde la religion, l’auteur qui en a changé plus d’une fois, en parle d’une maniere qui ne peut que scandaliser toutes les personnes pieuses, et favoriser le libertinage. Il parle des saints patriarches de l’ancien Testament, d’une maniere si peu respectueuse, qu’on ne peut l’excuser. L’article d’Adam, est plein de réfléxions impertinentes et licencieuses sur la tentation des premiers Peres, sur la nudité ; jusques-là même que de digressions en digressions, il vient à parler des regards et des attouchemens impudiques, pour tomber jusques à des extraits des casuistes modernes. Il a indiqué à cette occasion des livres abominables, dont les auteurs ont été punis par les protestan[t]s mêmes, pour leur impieté. » Plus loin (p.32), on lit la comparaison dont s’indigne Renaudot : « On n’a pas manqué aussi de vous parler de l’article des
[24] Renaudot, Jugement, p.32 « En rapportant l’histoire de certaine secte qui vouloit avoir l’apparence du marriage sans pourtant étre en peril d’avoir des enfans, il leur applique ces paroles de s[aint] Paul, qu’ils avoient l’apparence du mariage, et en avoient renié la farce. Et afin que personne ne pût ignorer l’allusion profane ; il fait observer que s[aint] Paul dit cela de la piété. »
[25] Renaudot, Jugement, p. 35 : « Par exemple quand il dit d’ Abelard et de son Aloyse, qu’
[26] Le Parnasse des poetes satyriques (Paris 1622, 8°) et La Quintessence satyrique, ou seconde partie du Parnasse des poetes satyriques de nostre temps. Recherchez dans les œuvres secrettes des auteurs les plus signalez de nostre siecle (Paris 1622, 8°), recueils de vers libertins dénoncés par Garasse dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels, contenant plusieurs maximes pernicieuses à la religion, à l’Estat et aux bonnes mœurs, combattue et renversée (Paris 1624, 4°). C’est à la suite de cette dénonciation que Théophile de Viau fut arrêté et emprisonné pendant près de deux ans à la Conciergerie ; il fut libéré le 1 er septembre 1625 et, après un séjour chez Philippe de Béthune, le frère de Sully, passa les derniers mois à Chantilly sous la protection du duc de Montmorency ; il mourut le 25 septembre 1626 à l’hôtel de Montmorency, rue de Braque à Paris. Voir l’édition critique établie par G. Saba des Œuvres poétiques de Théophile de Viau (Paris 1990, 2008) et des Œuvres complètes (Rome, Paris 1978-1987, 4 vol. ; Paris 1999, 3 vol.), et A. Adam, Théophile de Viau et la libre pensée française en 1620 (Paris 1935 ; Genève 2000) ; L. Godard de Donville, Le Libertin des origines à 1665 : un produit des apologètes (Paris, Seattle, Tübingen 1989) ; S. van Damme, L’Epreuve libertine. Morale, soupçon et pouvoirs dans la France baroque (Paris 2008) ; M. Folliard, P. Ronzeaud et M. Thorel (dir.), Théophile de Viau, la voix d’un poète. Poésies 1621, 1623, 1625 (Paris 2008).
[27] Vincent Tagereau, Discours de l’impuis-sance de l’homme et de la femme, auquel est déclaré que c’est qu’impuissance empeschant et separant le mariage. Comment elle se cognoist. Et de qui doit estre observé aux procès de séparation pour cause d’impuissance (Paris 1611, 1612, 12°) : Bayle cite la deuxième édition dans le DHC, art. « Quellenec (Charles de) », rem. A et F.
[28] Pietro della Valle (1586-1652), célèbre par ses voyages en Terre sainte, au Moyen-Orient et en Inde : voir G. Gancia (éd.), Viaggi di Pietro Della Valle il pellegrino, descritti da lui medesimo in lettere familiari all’erudito suo amico Mario Schipano, divisi in tre parti cioè : la Turchia, la Persia e l’India (Torino 1843).
[29] « Terme de Palais. Ac[c]ouplement charnel de l’homme et de la femme ordonné par arrêt de la Cour. » (Richelet 1680). Le congrès fut supprimé par arrêt du Parlement le 18 février 1667.
[30] Antoine Menjot (1615-1695), Dissertationes pathologicæ de passione uterina et de dolore quartæ ac ultimæ parti dissertationum pathologicarum adjiciendæ (Parisiis 1687, 4°).
[31] Nous n’avons pas trouvé d’allusion à cette histoire dans le DHC. Voici comme elle est résumée succinctement dans l’ Encyclopédie méthodique. Economie, politique et diplomatique (Paris 1782-1832, 157 vol.), art. « Reine », xvi.96 : « Lothaire avait épousé Thietberge ; il veut épouser Valdrade, et ne croit ce second mariage possible, qu’en répudiant Thietberge ; pour pouvoir la répudier, il l’accuse d’inceste, fait prononcer le divorce, et se marie avec Valdrade. Thietberge se justifie ; le pape prend son parti, menace d’excommunier Lothaire et Valdrade, et les excommunie en effet. Lothaire va demander à Rome son absolution : il ne l’obtient qu’à condition que lui et les seigneurs de sa suite jureront qu’il n’a pas approché de Valdrade depuis les dernières défenses du pape : ils jurent tous ; c’était un faux serment qu’ils faisaient : tous moururent dans l’année, et leur mort fut regardée comme une punition du parjure. »
[32] André Tiraqueau (1488-1558), Ex Commentariis in Pictonum consuetudine sectio de legibus connubialibus et jure maritali, ab ipso autore adeo reformata, totaque ac tantis thesauris locupletata, ut non immerito novum opus censeri debeat (Parisiis 1546, folio), ouvrage qui connut de nombreuses autres éditions.
[33] Voir Entretiens sur la « Cabale chimérique » (septembre 1691),
[34] Voir Chaufepié, art. « Jurieu (Pierre) », rem. U : il s’agit des critiques lancées contre l’ouvrage de Jurieu, L’Accomplissement des prophéties (Rotterdam 1686, 12°, 2 vol.) et la Suite [...] (Rotterdam 1687, 12°). Chaufepié évoque les différentes attaques contre ces publications et prend la défense de Jurieu en citant la procédure devant les synodes : « Le synode de Nord-Hollande de l’année 1686 attaqua le livre de Mr Jurieu, principalement par rapport à l’hypothèse du règne de mille ans, qu’il défend avec beaucoup de feu. Le synode communiqua l’acte qu’il avoit fait au synode des Eglises wallonnes, assemblé à Balc en Frise au mois de septembre de la même année. Cette assemblée nomma quatre Eglises pour examiner,
[35] Il s’agit peut-être d’une allusion au pamphlet de Basnage de Beauval, Considérations sur deux sermons de M. Jurieu touchant l’amour du prochain, où l’on traitte incidemment cette question curieuse, s’il faut haïr M. Jurieu (s.l. 1694, 8°). Voir F.R.J. Knetsch, Pierre Jurieu. Theoloog en politikus der Refuge (Kampen 1967), p.320-344.
[36] Jurieu, Histoire du calvinisme et celle du papisme mises en parallèle : ou apologie pour les réformateurs, pour la Réformation, et pour les réformez, divisée en quatre parties ; contre un libelle intitulé « L’Histoire du calvinisme » par Mr Maimbourg (Rotterdam 1683, 12°, 4 vol.) : la première partie (vol. I) contient « l’apologie pour les principaux réformateurs, pour les martyrs de la réformation, pour Calvin, pour sa personne, pour sa doctrine et pour sa religion » ; la deuxième partie (vol. II) comporte la « Défense de la manière dont la Réformation de ceux qu’on appelle calvinistes, s’est establie en divers lieux de l’Europe, et particulièrement en France » ; la troisième partie (vol. III et IV) constitue une « reponse par voie de recrimination aux trois grandes accusations repandües dans l’ouvrage du sieur Maimbourg. Contenant l’histoire abbrégée des troubles que le papisme a causés dans le monde, des cruautés qu’il y a exercées, et de ses attentats contre l’authorité souveraine ».
[37] Allusion à l’ Apologie d’un tour nouveau, pour les « Quatre dialogues » de M. l’abbé de Dangeau lecteur du Roy. I. Sur l’immortalité de l’âme. II. Sur l’existence de Dieu. III. Sur la Providence. IV. Sur la religion (Cologne, Pierre Marteau 1685, 12°), dont un compte rendu avait été publié dans les NRL, janvier 1685, cat. iii. L’attribution à Jurieu se fonde sur ce passage des Réflexions de Bayle, mais elle est contestée par Chaufepié, art. « Jurieu (Pierre) », par E. Labrousse, Pierre Bayle, I : Du Pays de Foix à la cité d’Erasme (La Haye 1963 ; 2 e éd. Dordrecht 1985), p.192, n.85, et par E. Kappler, Bibliographie de Jurieu, p.388-389. Voir aussi Lettres 299, n.11, et 387, n.3.
[38] Allusion très probablement au Factum pour demander justice aux puissances contre le nommé Noël Aubert de Versé atteint et convaincu des crimes d’impureté, d’impiété, et de blasphême (s.l.n.d. [1696], 4°), par lequel Jurieu se vengea de l’écrit d’Aubert de Versé, Le Nouveau Visionnaire de Rotterdam, ou examen des « Parallèles mystiques » de M. Jurieu, par Théognoste de Bérée (Cologne 1686, 12°) et auquel celui-ci répondit par un Manifeste (Amsterdam 1687, 4°). Sur cette furieuse querelle, voir A. McKenna, « Sur L’Esprit de M. Arnauld de Pierre Jurieu », Chroniques de Port-Royal, 47 (1998), p.179-238, appendice I :« La critique de Jurieu par Aubert de Versé », p.217-232.
[39] Allusion au Mémoire [de Jurieu] pour montrer le rapport des trois dimensions de la matière avec les trois personnes de la nature divine, publié dans les NRL, juillet 1685, art. III, qui avait été reproduit entièrement dans L’Accomplissement des prophéties (2 e éd., Rotterdam 1686, 12°, 2 vol.) sous le titre d’ Essai de théologie mystique. Bayle avait commenté cette publication de façon très sarcastique dans les NRL, septembre 1685, art. X, et septembre 1686, art. V ; Pierre Allix s’en était pris à Jurieu sur un ton dur et méprisant ; Aubert de Versé s’était également attaqué très violemment à l’esprit mystique de Jurieu, « furieusement malade, puisqu’il voit partout ce qui ne fut jamais » : voir les passages en question, Lettre 458, n.1.
[40] Voir sur ce point le compte rendu par Bayle lui-même de l’ouvrage de Pierre Nicole, Les Prétendus Réformés convaincus de schisme (Paris 1684), dans les NRL, novembre 1684, art. I, où il tire précisément la même conclusion, qui fut ensuite exploitée par Jean Lévesque de Burigny dans le manuscrit clandestin De l’examen de la religion : voir l’édition établie par S. Landucci (Paris, Oxford 1996).
[41] Renaudot, Jugement, p. 47 : « Les amis de l’auteur disent, que les compagnies ecclesiastiques qui voudront juger du Dictionnaire, doivent faire répondre M. Jurieu comme sur des accusations personnelles, graves, et importantes. »
[42] Horace, L’Art poétique, v. 351 : « Si, dans un poème, brillent un grand nombre de beautés, je n’irai pas me choquer de quelques taches. »
[43] Renaudot, Jugement, p. 37 : « Jamais personne n’a fait tant de mal à cet homme [Bayle] que M. Jurieu, il l’a découvert à toute la terre ; il a rendu les hommes plus attentifs aux impiétez de ce libertin ; par là il luy a procuré la mortification de se voir interdire la charge d’enseigner. Il l’a réduit dans l’état où il est, c’est à vivre de la pension d’un libraire. »
[44] Voir le DHC, art. « Arnauld (Antoine) », rem. N : « Mons r Jurieu s’est fort abusé, lorsqu’il a dit que Mons r Arnauld avoit fait l’ Apologie pour les catholiques, dans la vue d’obtenir son rappel en France, afin d’y jouïr paisiblement de son bien, et de ses bénéfices ( L’Esprit de Mons r Arnauld, tom. I, p.34, 36, 44), et que la crainte qu’on ne fît confisquer ses bénéfices l’a engagé dans quelques démarches. » Bayle cite le témoignage d’Arnauld, qui affirme qu’il ne dispose d’aucun bénéfice, réfute à plusieurs reprises les accusations de Jurieu et conclut : « Il est donc arrivé à l’auteur de L’Esprit de Mons r Arnauld ce que les Latins expriment par le proverbe, Cantherius in porta : il a bronché dès le premier pas. »
[45] Bayle fut destitué de sa chaire à l’Ecole Illustre en octobre 1693 : voir Lettre 950. Il fait ici allusion au passage suivant de l’édition du Jugement de Renaudot par Jurieu (p.37), déjà partiellement cité ci-dessus, n.43 : « Le sieur Bayle poursuit M. Jurieu à toute outrance. Il le hait, il le blâme, il le noircit : l’auteur du Dictionnaire n’a-t-il pas raison ? On hait ses ennemis. Jamais personne n’a fait tant de mal à cette homme que M. Jurieu, il l’a decouvert à toute la terre ; il a rendu les honnêtes hommes attentifs aux impietez de ce libertin ; par là il a procuré la mortification de se voir interdire la charge d’enseigner. Il l’a réduit dans l’état où il est, c’est à vivre de la pension d’un libraire : n’est-ce pas une offense assez grande pour s’en ressentir ? Il se vange : cela n’est il pas naturel ? »
[46] Dernière partie de l’épitaphe de Sylla : « Aucun ami ne m’a jamais porté secours et aucun ennemi ne m’a jamais fait tort que je n’aie payé pleinement de retour. »
[47] Bayle ironise sur ses ressources et sur les investissements qui ont pu lui permettre de survivre à la perte de sa chaire à l’Ecole Illustre. Voir cependant Lettre 1349 (et n.10) sur l’échec d’un investissement en Angleterre.
[48] Sur le synode de La Brille et l’examen des fautes reprochées à Elie Saurin, voir Lettre 1115, n.24.
[49] Vir antiqui moris : « homme d’une antique sévérité de caractère ».
[50] Voir le DHC, art. « Audebert (Germain) », in corp. : « On ne sauroit assez déplorer, ou la malice, ou l’ignorance de l’homme, quand on songe que Théodore de Bèze a été accusé d’une infamie abominable, sur un fondement aussi frivole que l’est son épigramme, de sûa in Candidam et Aubertum benevolentiâ. Mr Maimbourg renouvella cette accusation dans son Histoire du calvinisme. On le réfuta très solidement par l’examen de la piéce même, et on n’oublia point de fortifier l’apologie par le grand mérite d’Audebert » – passage accompagné d’un renvoi à Jurieu, Apologie pour les réformez, I re partie, p.141 sqq. Cependant Bayle revient sur cette calomnie dans l’article « Bèze (Théodore) », rem. V, où cet « éloge » de Jurieu donne lieu à un raisonnement où il vise manifestement les calomnies de Jurieu à son propre égard : « Qu’il me soit permis de faire ici une observation, qui peut avoir ses usages dans la discussion des faits personnels. Plusieurs auteurs ont soutenu, I, que Beze sortit de France, pour éviter les suites d’un procès de sodomie qu’ils disent qu’on lui avoit intenté au Parlement de Paris ; II, qu’il amena avec lui la femme d’un certain tailleur [Candida]. Beze a soutenu publiquement que c’étoient deux calomnies énormes, et qu’il avoit vécu à Paris sans reproche, et qu’il n’en sortit ni par crainte, ni pour dettes, mais pour la Religion ; et que jamais il n’avoit attenté à la femme de son prochain plus qu’au roiaume des Indes. [...] Jusques-là personne, de quelque religion qu’il puisse être, n’est obligé de juger, ni que Beze est innocent, ni qu’il est coupable. [...] C’est donc aux lecteurs à se tenir en équilibre, jusques à ce que l’accusation soit prouvée ; mais d’autre côté, c’est à eux à prononcer pour l’accusé, dès qu’ils voient que l’accusation demeure sans preuve [...]. Voici le précis de tout mon raisonnement. Le fait est d’une telle nature, que s’il étoit véritable, les preuves juridiques et authentiques ne manqueroient pas. Les accusateurs ont toute l’adresse et toute la capacité qui sont nécessaires pour trouver ces preuves. Ils ont le plus grand intérêt du monde de les trouver. Ils ne les ont pas trouvées : c’est parce, faut-il encore conclure, que le fait en question étoit chimérique. Je me suis étendu sur cette pensée, parce qu’il m’a semblé qu’elle peut servir de clef pour débrouiller les incertitudes où nous jettent tant d’écrivains téméraires, qui copient les uns après les autres les accusations les plus atroces, sans se soucier d’en donner des preuves, pendant que d’autre côté les accusez et leurs amis ne cessent de crier à la calomnie. » Voir aussi le commentaire de M. van der Lugt, « Pierre Bayle or the ambiguities » : Bayle, Jurieu and the « Dictionnaire historique et critique », D. Phil. Oxford, 2014, ch. II : « The two tribunals », section « The return of Jurieu », § « Bèze » - « Sixe IV ».
[51] « Il n’est pas si facile de rater tant de fois un taureau. » Allusion à un bon mot de l’empereur Gallien ( Vie des deux Galliens, Histoire auguste, XII, 3-5) : « Un jour qu’il avait fait lâcher dans l’arène un taureau énorme, le chasseur qui était sorti pour l’abattre ne réussit pas à le tuer, bien que l’animal se fût présenté face à lui à dix reprises. Gallien envoya néanmoins une couronne au chasseur et, comme tous les gens maugréaient en se demandant pourquoi on couronnait un imbécile, il fit répondre par le héraut : “Il n’est pas si facile de rater tant de fois un taureau.” »
[52] « Il n’est pas si facile de frapper tant de fois un taureau. »
[53] C’est un reproche qu’avaient lancé, en effet, presque tous les correspondants de Bayle à la lecture du DHC.
[54] Tous les ouvrages d’ Antoine Varillas sont critiqués dans le DHC, dans des articles trop nombreux pour être cités tous. Qu’on en juge par l’exemple de son Histoire des révolutions arrivées en Europe en matière de religion (Paris 1686-1690, 4°, 6 vol.), qui fait l’objet de critiques dans trente-quatre articles et souvent dans plusieurs remarques d’un même article. Voir, par exemple, l’article « Buchanan (George) », rem. B.
[55] On sait que le projet du DHC était à l’origine un projet de recueil des erreurs de Moréri, qui sont citées dans de très nombreux articles. Voir H.H.M. van Lieshout, The Making of Pierre Bayle’s « Dictionnaire historique et critique » (Amsterdam, Utrecht 2001), p.1-4.
[56] Pierre Jurieu (éd.), Jugement du public et particulièrement de M. l’abbé Renaudot, sur le « Dictionnaire critique » de M. Bayle (Rotterdam 1697, 4°) : voir l’introduction par Jurieu et les nombreuses lettres citées à l’appui de ses accusations dans l’Annexe I de notre tome X.
[57] La formule implique, évidemment, que Bayle a exprimé beaucoup d’obscénités en peu de mots ; sur sa lancée polémique, Bayle feint d’entendre la formule littéralement.
[58] Bayle publia dans les NRL de nombreux comptes rendus favorables des ouvrages de Jurieu : voir H. Bost, Un « intellectuel » avant la lettre : le journaliste Pierre Bayle (1647-1706) (Amsterdam, Maarssen 1994), p.287-289.
[59] La méthode de Richard Simon dans ses premiers ouvrages pouvait paraître favoriser le « libre examen » des réformés, mais Jurieu s’attaque violemment à Richard Simon dans son ouvrage L’Accomplissement des prophéties ou la délivrance prochaine de l’Eglise (Rotterdam 1686, 12°, 2 vol.), vol. ii, ch. XVII : « Ceux qui ne veulent rien trouver ici que la lettre et l’histoire, ne sont pas dignes que nous ayons aucun égard à eux. » (éd. J. Delumeau, Paris 1994, p.229). Bayle est attentif à ce revirement dans les NRL, mars 1686, art. VI.
[60] Pierre Méhérenc de La Conseillère, pasteur d’Altona près de Hambourg, fut accusé de socinianisme par Jurieu sur la base de sa fréquentation de Noël Aubert de Versé. Bayle prit sa défense : voir Lettre 753, n.7, et Chaufepié, art. « Jurieu (Pierre) », rem. CC.
[61] Bayle, Nouvelles lettres critiques, lettre XVIII, OD, ii.287 : « Quand un livre est bon, je le trouve bon ; mais il y en a que je trouve bons, qui sont fort méprisez par les plus habiles. Ceux qui trouvent peu de choses qui leur agréent ont de quoi se glorifier, parce qu’ils ont là une preuve de la pénétration de leur esprit, qui découvre les défauts les plus cachez. C’est donc une pensée bien humiliante pour un homme, que de voir qu’il approuve un livre qui est méprisé par les connoisseurs. »
[62] Nouvelles lettres critiques, lettre XVIII, OD, ii.287, à la suite du passage cité à la note précédente : « Néanmoins comme toutes choses ont deux faces, un homme qui chercheroit de quoi se glorifier, en trouveroit assûrément une raison dans le jugement favorable qu’il feroit d’un livre, que d’autres désap[p]rouveroient, car il n’auroit qu’à se figurer qu’il a plus de pénétration d’esprit qu’eux, pour découvrir les beautez cachées. Or les plus grands maîtres demeurent d’accord, qu’il faut beaucoup plus d’esprit pour découvrir le bien, que pour découvrir le mal ; ainsi pour peu qu’on se flat[t]e, la facilité qu’on se trouve à ap[p]rouver les écrits d’autrui, est un plus grand sujet de vanité, qu’un goût qui se contente malaisément. Quoi qu’il en soit, Monsieur, je renonce à l’avantage, et je vous fais ici une confession publique, que ma facilité me semble une marque de petit esprit, sans qu’il faille pour cela conclure la même chose par tout ailleurs ; car par exemple le public est assez persuadé que Monsieur Arnauld est un des plus grands génies du siecle, et cependant il a confessé depuis peu, qu’il a moins de disposition à désap[p]rouver un livre, qu’à l’ap[p]rouver. Voici comme il parle à son ami, dans sa Défense du livre des vraies et des fausses idées. »
[63] Jurieu, L’Accomplissement des prophéties ou de la délivrance prochaine de l’Eglise (Rotterdam 1686, 12°, 2 vol.) et L’Esprit de M. Arnaud, tiré de sa conduite, et de ses écrits de luy et de ses disciples [...] (Deventer 1684, 12°, 2 vol.) : le premier de ces ouvrages est recensé dans les NRL, mars 1686, art. VI, tandis que le second ne fait l’objet que de brèves allusions, Bayle s’étant refusé à le recenser à cause de l’outrance des injures personnelles à l’égard d’ Antoine Arnauld.
[64] Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme [...] (Amsterdam 1685, 4°, 2 vol.), ouvrage recensé dans les NRL, avril 1685, art. III.
[65] Bayle attribue à Jurieu l’ Apologie d’un tour nouveau pour les « Quatre dialogues » de M. l’abbé de Dangeau [...] (Cologne, Pierre Marteau 1685, 12°), recensé dans les NRL, janvier 1685, cat. iii. Sur cette attribution douteuse, voir Lettres 320, n.15, 327, n.10, 387, n.3, 418, n.2, et ci-dessus, n.37.
[66] Allusion ironique à sa propre doctrine des droits de la conscience errante développée dans le Commentaire philosophique et attaquée par Jurieu dans son traité Des droits des deux souverains en matière de religion, la conscience et le prince [...] (Rotterdam 1687, 12°).
[67] Jurieu, « Réflexion » suivant le Jugement de Renaudot (p.13) : « Il [Bayle] médit des auteurs de l’Eglise romaine ; l’abbé [Renaudot] trouve cela fort mauvais ; mais c’est dans le même esprit par lequel il médit des auteurs sacrez, et inspirez : qu’il represente David et Salomon comme des scelerats, comme des politiques à la turque, et comme des gens dont les actions que l’on a crûës innocentes, sont pourtant des crimes selon les regles de la morale naturelle. » Voir l’Annexe I du tome X pour le texte complet du Jugement et de la « Réflexion » de Jurieu.
[68] Ibid., p.14 : « Il [Bayle] est né pour la satyre. Tout ce qui est satyrique entre en luy comme dans son lieu naturel : il le rend comme il l’avoit reçû. Il en a usé de même à l’égard des auteurs protestans lesquels il louë le plus. Aux louanges qu’il leur donne, il coût les passages les plus passionnez qui ont été écrits contr’eux dans la chaleur de la dispute. C’est ce qu’on a remarqué dans l’article de M. Daillé, et dans plusieurs autres. » Voir aussi la lettre 15 citée par Jurieu, p.28 : « Celuy [l’article] qui regarde M. Daillé, m’a extrêmement scandalisé ; il inspire des soupçons contre la probité de ce grand homme, qui me paroissent insupportables. Ce n’est que par citation : mais il y a de la malignité dans ces sortes de citations ; et par cette voye là, il n’y a aucun grand homme qu’on ne diffame. » Et le passage suivant, p.35 : « Mais par malheur pour M. Daillé et pour M. Cameron, ils sont morts, et leurs enfants aussi ; ils n’ont plus ni voix, ni credit entre les vivans, c’est pourquoy ils n’ont pas été bien traitez. »
[69] Renaudot, Jugement, p.8 : « Il donne plus d’éloge à M. Abely, qu’à M. de S. Cyran et à M. Arnaud, et autres qui ont écrit contre les calvinistes. Il infere à propos de ce dernier, une digression sur les attestations touchant la foy des chrétiens du Levant, et les traite de supposées ; parlant de cette question comme si l’on avoit convaincu sans replique les catholiques de leur fausseté. II trouve aussi par tout de quoy rendre le regne odieux à l’occasion de la revocation des edits, et des plaintes des refugiez. »
[70] Renaudot, Jugement, p.7 : « Il affecte par la même malignité, de parler avec éloge de quelques livres qui sont à peine connus parmi les catholiques, d’en loüer les auteurs, pour parler ensuite avec plus de mépris des défenseurs de la foy contre les calvinistes. Ainsi il loüe fort les traitez de controverses du Pere Maimbourg, et méprise fort ceux de M. Nicole, qu’il noircit comme ayant écrit pour défendre des points de doctrine qu’il ne croyoit pas. »
[71] Voir la fin de la « Réflexion » de Jurieu à la suite du Jugement de Renaudot : « Il seroit à souhaiter que les souverains fissent beaucoup d’attention sur la réfléxion de l’abbé, qu’on ne peut assez s’étonner que de pareilles choses ayent pû être tolerées dans un pays où l’on fait au moins profession de croire la Bible. Nous devons regarder comme un des malheurs de la guerre, que le nom de l’Etat et ses privileges ayent été surpris par un imprimeur, pour les mettre à la tête d’un tel ouvrage. Et il y a lieu d’esperer que la paix remediera à ce mal ; afin qu’au moins les deux volumes qu’on doit ajoûter à ce monstrueux libelle, n’ayent pas le même honneur. »
[72] Il n’y avait pas de censure préalable aux Provinces-Unies : les livres et pamphlets pouvaient exceptionnellement être interdits, mais toujours à la suite de leur publication. Il est vrai que Bayle avait accepté d’être nommé sur la page de titre du DHC et avait déclaré qu’il s’agissait d’assurer à Reinier Leers l’obtention du privilège ; il s’agissait en réalité tout simplement de calmer les inquiétudes des frères Huguetan , éditeurs du Grand dictionnaire de Moréri, qui y faisaient obstacle : voir Lettre 1165.
[73] Voir la lettre de Bayle adressée aux frères Huguetan , qui s’inquiétaient de la confusion possible entre le Grand dictionnaire de Moréri et le DHC de Bayle : Lettre 1165.
[74] Voir la lettre de Renaudot à Janiçon du 5 mars 1697 (Lettre 1228), citée par Jurieu à la suite de sa « Réflexion » : Renaudot y dénonce « un grand ridicule dans l’article d’“Abderame”, puisqu’il suppose qu’il n’y avoit pas d’historien des Mores, vû que nous en avons encore. » La formule citée n’est pas tout à fait conforme au texte de la lettre de Renaudot.
[75] Bayle minimise l’apport de ses correspondants français afin de contrer l’accusation de « connivence » avec la cour de France. En fait, ses correspondants parisiens, directs et indirects, lui avaient fourni de très nombreux passages, qu’il désigne explicitement dans les articles du DHC en reconnaissant sa dette. Sur l’importance de cet apport, voir l’introduction à notre volume IX et A. McKenna, « Les réseaux au service de l’érudition et l’érudition au service de la vérité de fait : le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle », La Lettre clandestine, 20 (2012), p.201-211.
[76] Lettre 9 citée par Jurieu à la suite de sa « Réflexion » sur le Jugement de Renaudot : « L’ evêque de Salisbury m’a parlé avec indignation sur ce que M. Bayle a dit de M. Jurieu, le public n’ayant que faire, dit-il, de leurs differen[d]s personnels : et luy, et quelqu’autre evêque qui entend le françois, ont horreur des impietez et des saletez. Il m’a dit qu’il l’avoit crû deïste, qu’à present il le croyoit athée. S’il retournoit en Hollande, qu’il ne pourroit plus le frequenter qu’il n’eût fait à la religion une reparation publique, par un ouvrage qui répondît à son dernier, en bon chrêtien. »
[77] Cette défense contre l’accusation d’athéisme constitue le fondement des Eclaircissements sur les manichéens, sur les pyrrhoniens et sur les athées et devait donner lieu au mot de Leibniz : voir ci-dessous, n.103.
[78] Sur la bataille entre Jurieu et Saurin, voir Lettres 1025, n.10, 1031, n.34, 1053, n.9, 1057, n.8, et 1093, n.2, et 1103, n.8.
[79] Lettre 11 citée par Jurieu : « Je ne say si vous savez que M. le chancelier ayant donné ordre à l’abbé Renaudot d’examiner le Dictionnaire critique de M. Bayle, et luy en donner son avis ; cet academicien qui a beaucoup de savoir, a écrit le jugement qu’il en faisoit. Il taxe l’auteur de beaucoup d’ignorance ou de méprises dans l’histoire, la geographie, la chronologie, et autres sciences. On ne croit pas que cela s’imprime ; mais on pourra en avoir une lecture par quelque ami, et en parler plus positivement. »
[80] Renaudot, Jugement, p.8 : « On trouve par tout des éloges des ministres calvinistes, remplis de faussetez ; comme entr’autres un projet de réünion proposé à Amirault par un jesuite nommé le Pere Godebert, au nom du cardinal Mazarin, dont le fondement étoit l’établissement d’un patriarche en France. » Il s’agit, en fait, du jésuite Audebert et de Richelieu : voir DHC, art. « Amyraut (Moïse) », rem. I.
[81] Lettre 5 citée par Jurieu : « Il loue trop, de l’avis de bien des gens. Il n’y a que M. Jurieu qu’il poursuit à outrance. »
[82] Jurieu, « Réflexion », p.13-14 : « Dans un autre il détruit la religion romaine ; dans l’ Avis aux refugiez il abime la religion protestante. Il ne faut pas s’imaginer qu’il se contredisse pourtant, il s’accorde fort bien avec luy même, et tend à son but. Si donc l’abbé ne doit pas se chagriner contre le s[ieu]r Bayle de ce qu’il a maltraité la religion, les amis dudit Sr Bayle ne doivent pas l’excuser parce qu’il a blâmé le papisme. C’est son fait, et il est de son propre de blâmer toute religion. »
[83] Lettre 13 citée par Jurieu : « M. de *** le medecin, dit que dans l’article de « Pyrrhon », et en plusieurs autres, le libertinage y est enseigné d’une maniere tres-dangereuse. » Voir aussi ci-dessous, n.87.
[84] Bayle tire ici les conséquences de la formule qu’il citera également dans l’ Eclaircissement sur les manichéens : « Les catholiques romains et les protestants s’accordent à dire, qu’il faut récuser la raison quand il s’agit du jugement d’une controverse sur les mystères. Cela revient à ceci, qu’il ne faut jamais accorder cette condition, que si le sens littéral d’un passage de l’Ecriture renferme des dogmes inconcevables, et combattus par les maximes les plus évidentes des logiciens, et des métaphysiciens, il sera déclaré faux, et que la raison, la philosophie, la lumière naturelle, seront la règle que l’on suivra pour choisir une certaine interprétation de l’Ecriture préférablement à toute autre. Non seulement ils disent qu’il faut rejetter tous ceux qui stipulent une telle chose comme une condition préliminaire de la dispute, mais ils soutiennent aussi que ce sont des gens qui s’engagent dans un chemin qui ne peut conduire qu’au pyrrhonisme, ou qu’au déisme, ou qu’à l’athéisme : de sorte que la barrière la plus nécessaire à conserver la religion de Jésus Christ est l’obligation de se soumettre à l’autorité de Dieu, et à croire humblement les mystères qu’il lui a plu de nous révéler, quelque inconcevables qu’ils soient, et quelque impossibles qu’ils paroissent à notre raison. »
[85] Cesare Cremonini (vers 1550-1631) à Padoue et Pietro Pomponazzi (1462-1525) à Boulogne ont soutenu qu’on ne pouvait démontrer ni l’immatérialité ni l’immortalité de l’âme au moyen de la philosophie aristotélicienne, tout en prétendant y croire par la foi : c’était la doctrine de la « double vérité » : voir L. Bianchi, Pour une histoire de la « double vérité » (Paris 2008).
[86] Tout en corrigeant les épreuves du DHC à un rythme épuisant, Bayle avait trouvé le temps de rédiger de nouveaux articles destinés au « Supplément » et qui allaient trouver leur place dans la deuxième édition de 1702. Voir en l’occurrence l’article « Pomponace (Pierre) », rem. F : « Si l’on n’a fondé les impiétez dont on l’accuse que sur son livre De l’immortalité de l’âme, il n’y eut jamais d’accusation plus impertinente que celle-là. »
[87] Voir la lettre 13 citée par Jurieu à la suite du Jugement de Renaudot : « M *** a remarqué que toutes les observations sur les dieux, sur les heros, sur la mythologie payenne, où il est quelquefois d’une longueur ennuyante, sont toutes prises de M. de Mesiriac sur les Epîtres d’Ovide : c’est un livre tres-rare. C’est le même qui a donné Diophane. Je suis convaincu que sa remarque est juste. » Claude-Gaspard Bachet de Méziriac (1581-1638), traducteur de poètes latins et de mathématiciens grecs, fut élu en 1634 membre de l’Académie française, où François de La Mothe Le Vayer lui succéda en 1638. Dans le DHC, Bayle cite très souvent son Commentaire sur les Epistres d’Ovide (Bourg-en-Bresse 1626, 8°) et évoque ses Problemes plaisans et delectables qui se font par les nombres (Lyon 1612, 1624, 8°) dans l’article qu’il lui consacre : « Meziriac (Claude Gaspar Bachet seigneur de) ».
[88] Renaudot, Jugement, p. 30 : « Un de nos extraits dit, qu’il a pris de Mesiriac sur les Epitres d’ Ovide, tout ce qu’il dit des divinitez payennes, et que ce livre est assez rare. Voila son grand art : il connoît assez bien les livres ; il sait ceux qui sont rares, et ceux qui sont communs ; il pille avec hardiesse ceux qui sont rares, assuré que peu de gens s’appercevront du vol. »
[89] Cette formule résume la règle d’or de l’érudition de Bayle et des critères de la certitude historiographique : tous les témoins sont nommés et cités ; à eux incombe la véracité de leurs dires. L’historien doit ensuite « peser » les témoignages et fonder ses conclusions sur la cohérence ou l’incohérence de l’ensemble des indices. Voir A. McKenna, « Une certaine idée de la République des Lettres : Pierre Bayle et l’historiographie », in idem, Etudes sur Pierre Bayle (Paris 2014).
[90] Au piquet, chaque joueur peut, pour améliorer son jeu, échanger jusqu’à cinq des douze cartes qui lui ont été d’abord distribuées contre autant des huit restées au talon. Le mot
[91] Autre terme technique, par lequel Bayle prolonge sa métaphore tirée du piquet : en effet, on « porte » les cartes que l’on n’écarte pas. Exemple : « Je porte l’as de trèfle (admire mon malheur !), / L’as, le roi le valet, le huit et dix de cœur, / Et quitte, comme au point allait la politique, / Dame et roi de carreau, dix et dame de pique. / Sur mes cinq cœurs portés, la dame arrive encor, / Qui me fait justement une quinte major » ( Molière, Les Fâcheux, II, 2).
[92] Lucrèce, De rerum natura, I, v. 936-37 : « Quand les médecins veulent donner aux enfants l’absinthe rebutante, auparavant ils enduisent les bords de la coupe [d’un miel doux et blond]… ».
[93] C’est la dernière phrase des « Réflexions » de Jurieu sur le Jugement de Renaudot.
[94] Sur les frères Henri et Adrien de Valois, humanistes et érudits de grande classe, historiographes du roi en 1660, voir Lettre 101, n.7.
[95] Cette lettre datée du 22 mars de Jean Cailloué à Bayle est perdue : nous n’en connaissons que ce résumé par Bayle, que nous avons donné en appendice à la Lettre 1201.
[96] Le DHC avait été interdit en France mais ne fut pas brûlé par la main du bourreau – comme l’avait été la Critique générale de l’« Histoire du calvinisme » de M. Maimbourg (Villefranche 1682, 12°). Sur les circonstances de cette condamnation, annoncée dans une ordonnance dont La Reynie fit diffuser trois mille exemplaires, voir H. Bost, Pierre Bayle (Paris 2006), p.209.
[97] Renaudot, Jugement, éd. Jurieu, §15 :
[98] Renaudot, Jugement : « Pour ce qui regarde la religion, l’auteur qui en a changé plus d’une fois, en parle d’une maniere qui ne peut que scandaliser toutes les personnes pieuses, et favoriser le libertinage. Il parle des saints patriarches de l’ancien Testament, d’une maniere si peu respectueuse, qu’on ne peut l’excuser. L’article d’Adam, est plein de réfléxions impertinentes et licencieuses sur la tentation des premiers Peres, sur la nudité ; jusques-là même que de digressions en digressions, il vient à parler des regards et des attouchemens impudiques, pour tomber jusques à des extraits des casuistes modernes. » (voir notre édition en annexe au volume X, p.5-6) ; et le §15 :
[99] « Excommunication » est le terme utilisé par les catholiques pour désigner l’exclusion d’un individu par l’évêque de la communauté de l’Eglise ; dans l’Eglise réformée, le consistoire pouvait écarter de la Cène un individu qui aurait commis une faute et n’aurait pas manifesté de repentir : voir B. Roussel, « “Faire la Cène” dans les Eglises réformées du royaume de France au XVI e siècle », Archives des sciences sociales des religions, 85 (1994), p.99-119.
[100] Sur les débats autour de l’arminianisme et le synode de Dordrecht en 1618-1619, voir M. Mulsow et J. Rohls (dir.), Socinianism and Arminianism. Antitrinitarians, Calvinists and cultural exchange in seventeenth century Europe (Leiden, Boston 2005), introduction de J. Rohls et sa bibliographie, p.47-48. A partir du 16 juillet 1619, les réunions des remontrants furent interdites et les ministres arminiens furent déchus de leurs postes.
Voir aussi Bossuet, Histoire des variations des Eglises protestantes (Paris 1688, 4°) : « §LXXX. Nous avons déjà observé ce qui est marqué dans les actes, que les canons du synode contre les remontran[t]s furent établis avec un consentement unanime de tous les opinian[t]s sans en excepter un seul. Les Prétendus Réformés de France n’avoient pas eu permission de se trouver à Dordrecht, quoiqu’ils y fussent invités, mais ils en reçurent les décisions dans leurs synodes na- / tionaux et entre autres dans celui de Charenton en 1620 où l’on en traduisit en françois tous les canons, et la souscription en fut ordonnée avec serment sous cette forme : “Je reçois, approuve et embrasse toute la doctrine enseignée au synode de Dordrecht comme entierement conforme à la parole de Dieu et confession de foi de nos Eglises ; la doctrine des Arminiens fait dépendre l’élection de Dieu de la volonté des hommes, ramene le paganisme, déguise le papisme et renverse toute la certitude du salut.” Ces derniers mots font connoître ce qu’on jugeoit de plus important dans les décisions de Dordrecht, et la certitude du salut y paroît comme un des caracteres les plus essentiels du calvinisme.
§LXXXI. Encore tout nouvellement la premiere chose qu’on a exigée des ministres de ce royaume réfugiés en Hollande dans ces dernieres affaires de religion, a été de souscrire aux actes du synode de Dordrecht ; et tant de concours, tant de sermen[t]s, tant d’actes réïtérés semblent faire voir qu’il n’y a rien de plus authentique dans tout ce parti.
§LXXXII. Le decret du même synode montre l’importance de cette décision, puisque les Remontran[t]s y sont privés “du ministere, de leurs chaires de professeurs de theologie, et de toutes autres fonctions tant ecclésiastiques qu’academiques, jusqu’à ce qu’ayant satisfait à l’Eglise, ils lui soient pleinement reconciliés et reçus à sa communion” : ce qui montre qu’ils étoient traités d’
[101] Nouvelle indication quant à la nature de la « justification » de Bayle dans les Eclaircissements qu’il s’est engagé à composer : voir aussi la réaction de Michel Le Vassor, Lettre 1255.
[102] Renaudot, Jugement, p. 32 : « Il est vray qu’il étend par tout quelque voile, derrriere lequel il se reserve une retraite pour le cas de necessité : après avoir dit tout ce qui se peut dire contre la religion et contre les mysteres, il en revient quelquefois à dire, qu’il s’en faut tenir à la revelation, et soûmettre la raison à la foy. »
[103] Reproche semblable à celui de Leibniz dans la préface de ses Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal (Amsterdam 1710, 8°) : « [L’auteur] avoit eu l’honneur de dire ses sentiments à cette princesse [Sophie-Charlotte] sur plusieurs endroits du dictionnaire merveilleux de M. Bayle, où la religion et la raison paroissent en combattantes, et où M. Bayle veut faire taire la raison après l’avoir fait trop parler ; ce qu’il appelle le triomphe de la foi. »
[104] Il ne s’agit pas ici d’un éclaircissement fourni par Bayle au consistoire de l’Eglise wallonne de Rotterdam, car l’examen du DHC par les commissaires du consistoire ne devait commencer qu’en novembre 1697 : voir les actes du consistoire en annexe à ce volume. Il faut interpréter cette formule par rapport au passage du début des Réflexions, §3 : « Quant à l’article de “ David”, Monsieur l’abbé a grand tort de dire que je n’y ai eu aucun respect pour l’Ecriture ; car l’éclaircissement que j’y ai mis est plein d’une soumission très respectueuse pour ce divin livre. J’en pren[d]s à témoin tous les lecteurs. J’ajoûte que de la manière dont je préten[d]s retoucher tout cet article, il ne pourra plus fournir de prétexte aux déclamations de mes censeurs. » Bayle désigne ainsi l’« éclaircissement » qui se trouve dans le DHC même, art. « David », rem. I, in fine : « Ceux qui trouveront étrange que je dise mon sentiment sur quelques actions de David, comparées avec la morale naturelle, sont priez de considérer trois choses. I. Qu’ils sont eux-mêmes obligez de confesser que la conduite de ce prince envers Urie est un des plus grands crimes qu’on puisse commettre. Il n’y a donc entre eux et moi qu’une différence du plus au moins ; car je reconnois avec eux que les fautes de ce prophète n’empêchent pas qu’il n’ait été rempli de piété, et d’un grand zèle pour la gloire de l’Eternel. Il a été sujet à l’alternative des passions et de la grace. C’est une fatalité attachée à notre nature depuis le péché d’Adam. La grace de Dieu le conduisait très-souvent ; mais en diverses rencontres les passions prirent le dessus : la politique imposa silence à la religion. II. Qu’il est très-permis à de petits particuliers comme moi, de juger des faits contenus dans l’Ecriture, lorsqu’ils ne sont pas expressément qualifiez par le Saint Esprit. Si l’Ecriture en rapportant une action la blâme ou la loue, il n’est plus permis à personne d’appeller de ce jugement ; chacun doit régler son approbation ou son blâme sur le modele de l’Ecriture. Je n’ai point contrevenu à ce devoir : les faits sur lesquels j’ai avancez mon petit avis, sont rapportez dans l’histoire sainte, sans l’attache du Saint Esprit, sans aucun caractere d’approbation. III. Qu’on feroit un très-grand tort aux lois éternelles, et par conséquent à la vraie religion, si on donnoit lieu aux profanes de nous objecter, que dès qu’un homme a eu part aux inspirations de Dieu, nous regardons sa conduite comme la regle des mœurs ; de sorte que nous n’oserions condamner les actions du monde les plus opposées aux notions de l’équité, quand c’est lui qui les a commises. Il n’y a point de milieu ; ou ces actions ne valent rien, ou les actions semblables à ces actions-là ne sont pas mauvaises : or, puisqu’il faut choisir l’une ou l’autre de ces deux choses, ne vaut-il pas mieux ménager les intérêts de la morale, que la gloire d’un particulier ? Autrement, ne témoigneroit-on pas que l’on aime mieux commettre l’honneur de Dieu, que celui d’un homme mortel ? »
[105] Voir Renaudot, Jugement, éd. citée en annexe au tome X : « Il fait des réfléxions sur l’histoire d’Abraham et d’Agar, de ce qui se passa chez Abimelec, si licencieuses et impertinentes, qu’on ne peut assez s’étonner que de pareilles choses ayent pû être tolerées dans un pays où l’on fait au moins profession de croire la Bible. Il y a encore pis sur David, dont il examine la vie d’une maniere fort libertine, et sans respect pour l’Ecriture : et presque tous les articles semblables l’ont traitez avec la même irreligion. » Et le commentaire de Jurieu ( ibid.) : « Il médit des auteurs de l’Eglise romaine ; l’abbé trouve cela fort mauvais ; mais c’est dans le même esprit par lequel il médit des auteurs sacrez, et inspirez : qu’il represente David et Salomon comme des scelerats, comme des politiques à la turque, et comme des gens dont les actions que l’on a crûës innocentes, sont pourtant des crimes selon les regles de la morale naturelle. » Jurieu poursuit : « Enfin l’abbé Renaudot n’a pas dû luy savoir si mauvais gré, de ce qu’il dit quelque part pour la possibilité de la supposition du prince de Galles ; cela étoit trop de son genie pour le pouvoir négliger. [...] Pour se contenter sur cet article, l’abbé n’a qu’à repasser la vûë sur l’ Avis aux refugiez, et il y verra le roy Jaques traité comme un martyr, et un homme à canoniser ; et le roy Guillaume comme un scelerat, un usurpateur et un homme à pendre. »
[106] Jean de La Fontaine, Nouvelles en vers tirées de Bocace et de l’Arioste (Paris 1665, 12°). Nous n’avons pas trouvé trace d’une traduction de Boccace par Antoine Le Métel d’Ouville (1589-1655) ; Bayle pense peut-être à ses Contes tirés du Moyen de parvenir de François Béroalde de Verville (1556-1626) ; la confusion était facile à faire s’il songeait à un ouvrage récent intitulé Nouveaux contes à rire de Boccace, de Douville et autres personnes enjouées (Paris 1692, 8°). Boccace avait aussi été traduit par Antoine Le Maçon (Paris 1629, 8°).
[107] Annonce de l’ Eclaircissement sur les obscénitez de 1702.
[108] Voir le DHC, art. « Abélard (Pierre) », rem. G ; H, I, et l’ Eclaircissement sur les obscénitez : « En prémier lieu, par-tout où j’ai parlé de mon chef, j’ai évité les mots et les expressions qui choquent la civilité et la bienséance commune. Cela suffit dans un ouvrage tel que celui-ci, mêlé d’histoire et de discussions de toute espéce ; car de prétendre qu’une compilation où il doit entrer des matieres de littérature, de physique et de jurisprudence, selon les divers sujets que l’on a en main, doit être écrite conformément à l’étroite bienséance d’un sermon, ou d’un ouvrage de piété, ou d’une nouvelle galante, ce seroit confondre les limites d’une chose et ériger une tyrannie sur les esprits. Tel mot, qui sembleroit trop grossier dans la bouche d’un prédicateur et dans un petit roman destiné pour les ruelles, n’est point trop grossier dans le factum d’un avocat, ni dans le procès verbal d’un médecin, ni dans un ouvrage de physique, ni même dans un ouvrage de littérature ou dans la version fidèle d’un livre latin, comme est par exemple la relation de l’infortune de Pierre Abelard. Il y a donc du haut et du bas dans la bienséance du style. »
[109] Voir les NRL, avril 1686, art. II, sur les aventures du bienheureux Robert d’Arbrisselle d’après les lettres de Godefroy, abbé de Vendôme, publiées par le jésuite Antoine Sirmond en 1610. Bayle reprend ce thème de la « simplicité » de Robert d’Arbrisselle dans le DHC, art. « Fontevraud », rem. I : « Quelques-uns l’ont accusé d’avoir partagé le lit des religieuses ».
[110] Ambroise Paré (vers 1510-1590), le célèbre chirurgien. Bayle songe sans doute à ses ouvrages tels que la Briefve collection de l’administration anatomique, avec la maniere de conjoindre les os et d’extraire les enfans tant mors que vivans du ventre de la mere, lorsque nature de soy ne peut venir à son effet (Paris 1549, 8°), ou son Anatomie universelle du corps humain (Paris 1561, 8°) et ses Deux livres de chirurgie (Paris 1573, 8°). L’auteur dut lui-même se défendre dans sa Responce aux calomnies d’aucuns medecins et chirurgiens, touchant ses œuvres (s.l.n.d., 8°).
[111] Il s’agit sans doute des ouvrages d’ Antoine Varillas, Histoire de Charles IX (Paris 1686, 4°, 2 vol.) et Histoire d’Henri III (Paris 1694, 4°, 2 vol.) ; voir M. Bouvier, « L’histoire anecdotique, Varillas et Saint-Réal », Dalhousie French Studies, 65 (2003), p.68-82.
[112] Certaines des œuvres d’ Agrippa d’Aubigné firent scandale ; Bayle songe sans doute surtout à celles qui faisaient l’objet des travaux de Jacob Le Duchat : Les Aventures du baron de Faeneste, première partie, revue, corrigée et augmentée par l’auteur ; plus a été ajouté la seconde partie ou le Cadet de Gascogne ([Paris] 1617, 8° ; éd. Jacob Le Duchat, Cologne 1729, 8°) ; Confession catholique du sieur de Sancy, et declaration des causes, tant d’Estat que de religion, qui l’ont meu à se remettre au giron de l’Eglise romaine (s.l. [1600], 8°) ; éd. Le Duchat, in Recueil de diverses pièces servant à l’histoire d’Henri III, roy de France et de Pologne (n lle éd. revuë et augmentée, Cologne, Pierre Marteau 1699, 12°, 2 tomes en 1 vol.). Sur l’auteur, voir l’article que lui consacre Prosper Marchand dans son Dictionnaire historique, s.v.
[113] Henri Estienne, L’Introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes, ou traité préparatif à l’apologie pour Hérodote (Genève 1566, 8°), dont Jacob Le Duchat devait établir une nouvelle édition (La Haye 1735, 8°, 3 vol.). Henri Estienne fut obligé de publier également un Avertissement pour son livre intitulé l’« Introduction au traité de la conformité », touchant ceux qui, sans prendre garde à l’argument, en jugent et parlent à la volée ; pareillement touchant ceux qui l’ont corrompu et falcifié (s.l. 1566, 8°), car il s’agissait d’une satire des mœurs de la société de son temps.
[114] Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (1540-1598), Response apologétique à un libelle fameux intitulé « Antidote ou contrepoison », auquel l’honneur des ministres et du ministère de la parole de Dieu étoit prophanement vilipendé (Leyde 1598, 8°), où il se montre fin lecteur de Rabelais.
[115] Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (1540-1598), Response apologétique à un libelle fameux intitulé « Antidote ou contrepoison », auquel l’honneur des ministres et du ministère de la parole de Dieu étoit prophanement vilipendé (Leyde 1598, 8°), où il se montre fin lecteur de Rabelais.
[116] Priapeia sive diversorum poetarum in Priapum lusus, illustrati commentariis Gasp. Schoppii ; L. Apuleii madavrensis ab eodem illustratus ; ut et Heraclii imperatoris, Sophoclis, Sophistæ, C. Antonii, Q. Sorani [...] de propudiosa Cleopatræ libidine ; accedunt Jos. Scaligeri in priapeia commentarii, ac Friderici Linden Bruch notæ (Patavii 1664, 8°).
[117] Janus Dousa (1545-1604), Petronii Arbitri Satyricon. Sulpiciæ Satyra de edicto Domitiani. Omnia et ampliora et emendatiora ex recognitione Jani Dousæ, additis eiusdem præcidaneis cum auctario (Lugduni Batavorum 1585, 4°) ; sur Janus Dousa et son œuvre, voir C. Nativel (éd.), Centuriæ Latinæ : cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières (Genève 1997), s.v.
[118] Dominici Baudii Amores, edente Petro Scriverio, inscripti Th. Graswinckelio equiti (Amstelodami, apud Ludovicum Elzevirium 1638, 8°).
[119] Danielis Heinsii Poemata græca et e græcis latine reddita, diverso tempore ac ætate conscripta, quibus Adoptivorum liber accedit (Lugduni Batavorum 1640, 8°).
[120] Voir le DHC, art. « Longus, sophiste grec », rem. B : allusion à la traduction des Pastorales de Longus – « un roman sur les amours de Daphnis et de Chloé » – par Petrus Moll, professeur à Franeker : Longi Pastoralium de Daphnide et Chloe, libri quatuor (Franeker 1660, 4°).
[121] La célèbre courtisane grecque Laïs, dont Bayle énumère les aventures dans l’article qu’il lui consacre dans le DHC.
[122] Bayle consacre également un long article du DHC à la femme de Ménélas, cause de la guerre de Troie ; il s’y attarde sur ses aventures et jauge dans le détail les degrés de ses « fautes ».
[123] Bayle consacre un article du DHC à Athenée de Naucrate, le grammairien grec du III e siècle, auteur des Dipnosophistes.
[124] Supplique ironique, bien entendu, qui annonce la « justification » que constituera l’ Eclaircissement sur les obscénitez.
[125] Renaudot, Jugement, p. 46 : « Il prepare deux autres gros volumes pour continuation de son Dictionnaire ; c’est à dire un nouveau Dictionnaire, où il n’y a rien que de grave, de sage, et de judicieux. »
[126] Allusion à la dénonciation par Jurieu de la « cabale » découverte dans le projet de paix de Goudet diffusé par Bayle : voir Lettre 751, n.17.
[127] Bayle avait accepté de mettre son nom sur la page de titre du DHC à la demande de Reinier Leers et face aux exigences des frères Huguetan , imprimeurs du Grand Dictionnaire de Moréri : voir ci-dessus, n.72 et 73.
[128] Renaudot, Jugement, p. 46 : « Cependant le grand vuide qui se trouve dans les dernieres pages de cette feüille, fait une tentation à laquelle on ne peut résister, d’apporter un exemple notable et des menuitez et des malignitez dont on a dit que ce livre est plein. Voici le fait. M. Jurieu dans une dispute publique et imprimée, cita un passage de Bellarmin, où par une faute de plume de l’auteur, ou par une faute de l’imprimeur, au lieu d’ attritus on trouva contritus. »
[129] Voir le DHC, art. « Bellarmin (Robert) », rem. C : « Personne n’a mieux soutenu que lui la cause de l’Eglise romaine [...] Les protestants l’ont bien reconnu » ; rem. E : « Des écrivains protestans ont publié des faussetez contre Bellarmin, desquelles son parti a tiré beaucoup d’avantage » ; rem. F « Un professeur de Sedan [Jurieu] [...] en pourroit dire des nouvelles » ; rem. H : « Il n’a point favorisé la morale relâchée, ni les expressions des dévots indiscrets [...] dans les litanies ». C’est évidemment la remarque F qui avait tout particulièrement irrité Jurieu.
[130] Allusion à la théorie malebranchiste des « traces » du cerveau, qui souligne la détermination de l’âme par des facteurs physiologiques : « Les traces du cerveau n’obéissent point à l’âme, elles ne s’effacent pas lorsqu’elle le souhaite : elles lui font au contraire violence, et l’obligent même à considérer sans cesse les objets, d’une manière qui l’agite et qui la trouble en faveur des passions. » ( De la recherche de la vérité, livre V, ch. 11 : Œuvres complètes, éd. A. Robinet, ii.234). Sur l’héritage de cette analyse des passions, voir D. Kolesnik-Antoine (dir.), Les Malebranchismes. Etudes sur les réceptions contrastées de la philosophie de Malebranche, fin XVII e et XVIII e siècles (Paris 2014).
[131] Depuis 1693, année marquée par une crise d’épuisement, le rythme des publications de Jurieu avait, en effet, ralenti. Il avait publié un seul livre l’année précédente : La Religion du latitudinaire (Rotterdam 1696, 8°) contre Elie Saurin, et le Jugement de Renaudot avec son propre commentaire constituait sa seule publication de l’année 1697. Bayle songe au rythme effréné de la bataille des pamphlets autour de la « cabale chimérique » et de l’ Avis aux réfugiés.
[132] En publiant, précisément, le Jugement de Renaudot.
[133] Virgile, Bucoliques, IV, v. 61 : « A ta mère, dix mois ont apporté de longs dégoûts. »
[134] La Bruyère, Les Caractères, ch. « Des ouvrages de l’esprit », éd. R. Garapon (Paris 1990, 1995), n° 23, p.74 : texte publié pour la première fois dans la quatrième édition en 1689.
[135] Voir le DHC, art. « Chatel (Tannegui du) », rem. G : dans l’exemplaire de 1697 à la BNF (Gallica), cette faute n’existe pas : il est bien marqué « Charles VI ». Bayle donne plus loin l’explication de cette anomalie.
[136] Voir le DHC, art. « Hotman (François) », rem. G : dans l’exemplaire de la BNF de 1697, figure bien à cet endroit l’adjectif « serieux ».
[137] Constatant, au cours de la première impression, qu’il allait manquer d’exemplaires par rapport à la demande, Leers lança une nouvelle impression des pages déjà imprimées. On apprend ici qu’il ne s’agissait pas simplement d’un nouveau tirage, mais bien d’une nouvelle composition, puisque quelques fautes ont été introduites : voir Lettre 1120, n.6. Pour la localisation de quelques exemplaires de l’une et l’autre composition du DHC de 1697, voir le dossier constitué par J.-M. Noailly, qui figurera en annexe au volume XIV de la présente édition.