Lettre 1408 : Pierre Bayle à Hervé-Simon de Valhébert

A Rotterdam le 1 er de janvier 1699 Je croiois, mon cher Monsieur, avoir des nouvelles lit[t]eraires à vous ecrire en vous envoiant l’ecrit de Mr Benoit dont je vous parlai dans ma precedente [1], mais je m’en trouve assez destitué. On a donné une nouvelle edition augmentée de la Bibliotheque choisie du feu sieur Colomies, et on l’a fait servir d’appendix à un petit livre de peu de consequence intitulé La Rhetorique de l’honnete homme [2]. La traduction francoise des lettres espagnoles de Vargas ambassadeur de l’empereur au concile de Trente, et de Philippe II paroit ici depuis quelques semaines avec les notes de Mr Le Vassor [3], et cet ouvrage est fort estimé tant à cause des lettres qu’à cause des observations de Mr Le Vassor. Nous avons depuis peu de jours une Nouvelle relation de Moscovie faite par un nommé Ysbrandt qui a eté ambassadeur du grand duc de Moscovie à la Chine [4]. On a aussi publié les Memoires d’un Mr Fontaine [5]. C’est un avanturier qui narre beaucoup de choses assez / surprenantes et bizarres, mais qui n’ont pas eu beaucoup d’eclat dans le monde. Je vous sup[p]lie de faire porter à la poste cette lettre que j’ecris à Mr l’ abbé Nicaise [6]. Pardon de la liberté que je pren[d]s. Votre bonté et votre humeur* officieuse me font esperer que vous excuserez cela en faveur de votre tres humble et tres obeissant serviteur, qui fait mille vœux pour votre prosperité à ce renouvellement d’année Bayle • A Monsieur / Monsieur Simon de Valhebert / bibliothecaire de / Monsieur l’abbé Bignon

Notes :

[1] La dernière lettre connue de Bayle à Valhébert est celle du 12 mai 1698 (Lettre 1362), mais plusieurs lettres ont dû se perdre. Sur l’ Avis d’ Elie Benoist contre la Lettre d’ Isaac Jaquelot, voir Lettre 1378, n.15 et 16.

[2] Paul Colomiès, La Rhétorique de l’honnête homme, ou la manière de bien écrire des lettres, de faire toutes sortes de discours, et de les prononcer agréablement ; celle d’acquérir l’usage de la langue françoise, et d’imiter les poëtes. Et de choisir les bons auteurs pour son étude, où l’on a ajouté à la fin le catalogue des livres dont un honnête homme doit former sa bibliothèque (Amsterdam 1699, 8°).

[3] Sur Francisco Vargas (1484-1560), diplomate délégué par Charles Quint auprès du concile de Trente, voir Lettre 1200, n.10. Sur la préparation de l’édition des lettres de Vargas par Michel Le Vassor, voir Lettres 1200, n.12, et 1247, n.4. L’édition fut publiée par Pierre Brunel : Lettres et mémoires de François de Vargas, de Pierre de Maluenda et de quelques évêques d’Espagne, touchant le Concile de Trente, traduits de l’espagnol, avec des remarques, par [...] Michel Le Vassor (Amsterdam 1699, 8°) et constituait la traduction française de l’ouvrage anglais de Michael Geddes, The Council of Trent no free assembly : more fully discovered by a collection of letters and papers of the learned Dr Vargas and other great ministers, who assisted at the said synod in considerable posts. Published from the original manuscripts in Spanish, which were procured by the Right Honourable Sir William Trumbull’s grandfather, envoy at Brussels in the reign of King James the First. With an introductory discourse concerning councils, shewing how they were brought under bondage to the pope (London 1697, 8°) – dont un compte rendu parut dans l’HOS de Basnage de Beauval, novembre 1697-mars 1698, art. XI. Leibniz avait commenté l’édition anglaise dans sa lettre à Nicaise du 14 mai 1698 : « Mons. l’évêque de Salisbury [ Gilbert Burnet] m’a fait tenir enfin le livre traduit d’espagnol par un theologien de son diocese. Ce sont des lettres que le fiscal Vargas (depuis ambassadeur de Philippe II à Rome) et quelques theologiens espagnols ont écrites de Trente où le concile et les legats du pape ne sont pas fort avantageusement representés. Cette version est angloise, mais il en paroistra bien tost une françoise, et même on fera imprimer aussi l’original espagnol. Ces lettres justifient extremement ce que Fra Paolo a écrit, et font voir que le cardinal Pallavicini ne l’a pas bien refuté. Cela estant, la France est fort à louer de n’avoir pas encor reconnu ce concile pour veritablement œcumenique ; et elle fera bien sans doute de s’en garder encor doresnavant, pour ne point faire prejudice à l’autorité même de l’Eglise et des conciles, en voulant qu’un concile de contrebande passe pour bon. » (éd. Gerhardt, ii.582-583 ; Akademie-Ausgabe, n° 176 ; voir aussi éd. Gerhardt, iii.209). Dans sa lettre du mois de décembre 1698 adressée à Jean-Alphonse Turrettini, Jacques Basnage réagissait très favorablement à l’égard de la traduction de Le Vassor : « On voit aussy les Memoires de Vargas dans lesquels il y a plusieurs choses remarquables contre le concile de Trente. Le temo[i]gnage de Vargas ne peut estre suspect, cependant il confirme l’ Histoire du P. Paul [Sarpi] dans toutes les choses essentielles qui se sont passées sous Paul III. Mr Le Vassor, autrefois Pere de l’Oratoire, qui a donné cet ouvrage en françois, y a ajouté des notes tres judicieuses et tres bonnes. La preface qu’il a mise à la teste de ces Memoires est aussy fort estimée. » (éd. M. Silvera, n° LIV, p.159). Voir aussi le compte rendu de Basnage de Beauval dans l’HOS, novembre 1698, art. V, celui de Jacques Bernard dans les NRL, février 1699, art. III, celui du JS du 23 et du 30 novembre 1699, où le rédacteur évite soigneusement de mentionner le nom du traducteur, le Mercure historique et politique, février 1700, « Nouvelles de France », §V, p.192-193, et les Mémoires de Trévoux, août 1702, art. XX.

[4] Everard Ysbrantz Ides, Voyage de l’ambassadeur moscovite, E. Y. Ides, de Moscou à la Chine, fait par terre par la grande Oustiga, la Sirianie, la Permie, la Sibérie, la Daourie et la grande Tartarie, et qui a duré trois ans ; contenant la description des mœurs des peuples, etc., et enrichi d’une carte et de beaucoup de figures dessinées par l’ambassadeur ; en outre, d’une description de la Chine, écrite par un Chinois dans sa langue, et traduite pour la première fois en hollandais avec des remarques (Amsterdam, 1701, 4°) : voir le compte rendu dans le JS du 24 août 1699, et de Jacques Bernard dans les NRL, février 1699, art. V. Venait de paraître également l’ouvrage de Foy de La Neuville, Relation curieuse et nouvelle de Moscovie : contenant l’état present de cet empire. Les expeditions de[s] Moscovites en Crimée, en 1689. Les causes des dernieres revolutions. Leurs mœurs, et leur religion. Le recit d’un voyage de Spatarus, par terre, à la Chine (Paris 1698, 12° ; La Haye 1699, 12°). Moréri (éd. 1759) attribue à tort cet ouvrage à Adrien Baillet. Foy de La Neuville avait été chargé en 1689 d’une commission en Moscovie par le marquis de Béthune, ambassadeur de France en Pologne : il est parfois identifié au Hongrois Nicolae Milescu Spãtarul, dit Nicolas Milescu le Spathaire. Voir la lettre de Pieter Guenellon à Locke du 15 décembre 1698 (éd. de Beer, n° 2520, vi.525) ; Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes (Paris 1806-1808, 4 vol.), iii.184 (qui s’appuie sur les Mémoires de Charles Ancillon) ; R. Minzloff, Pierre le Grand dans la littérature étrangère (Saint-Pétersbourg 1872), et I. de Madariaga, « Who was Foy de La Neuville ? », Cahiers du monde russe et soviétique, 28 (1987), p.21-30 ; D.F. Lach et E.J. Van Kley, Asia in the making of Europe, vol. III : A century of advance (Chicago 1993), livre 4 : « East Asia », n° 373 ; et R. Minuti, « L’image de la Russie dans l’œuvre de Montesquieu », Cromohs, 10 (2005), p.1-6.

[5] Cet ouvrage publié sous le nom de Jean-Baptiste de La Fontaine est attribué par Quérard à Gatien Courtilz de Sandras, Mémoires de Messire Jean Baptiste de La Fontaine, chevalier Seigneur de Savoie et de Fontenai, brigadier et inspecteur général des armées du Roy (Cologne, Pierre Marteau 1699, 12°) ; voir le compte rendu de Jacques Bernard dans les NRL, mars 1699, art. V.

[6] Lettre 1407, qui contenait aussi la Lettre 1406 adressée à La Monnoye.

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