Lettre 1441 : Pierre Bayle à Pierre Des Maizeaux

A Rotterdam [le 28] de juillet 1699 Un voiage de Mr Basnage [1] a eté cause Monsieur que je n’ai pu vous envoier une de ses lettres pour Mr le docteur Allix [2] aussi tot que je l’avois cru. La voici enfin [3]. Je l’accompagnerois d’une fort longue missive pour repondre à la belle et bonne lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’ecrire [4], si les epreuves que j’ai eu à corriger aujourd’hui ne m’avoient epuisé la tete. Je vous suis infiniment obligé du passage des lettres de Mr Stoupp [5] que vous avez eu la bonté de m’envoier[,] je vous en remercie de tout mon cœur, et de votre autre remarque, et vous sup[p]lie de continuer. Vous ne sauriez me toucher par endroit plus sensible, et outre le service particulier que vous me rendrez, vous contribuerez au profit de mes lecteurs que j’ai principalement en vue. Je voudrois[,] ne pouvant pas leur ap[p]rendre des choses importantes[,] ne leur rien dire pour le moins qui ne fut exactement vrai. C’est pourquoi je ne neglige rien, je n’epargne ni soin ni peine pour rectifier mes premieres productions, et l’on me fait un grand plaisir de m’aider dans ce dessein [6]. Je serai ravi de parler de la famille Calendrini selon le memoire que vous m’of[f]rez si obligeamment [7]. Je voudrois, Monsieur vous pouvoir marquer combien je vous estime et suis votre tres humble et tres obeissant serviteur Bayle A Monsieur / Monsieur des Maizeaux / Chez Mr La Grange marchand / perruquier aux clefs / croisées dans St Martin’s / Lane / A Londres •

Notes :

[1] Jacques Basnage.

[2] Pierre Allix, depuis 1690 chanoine de la cathédrale de Salisbury, auprès de l’évêque Gilbert Burnet : voir Lettre 765, n.18.

[3] Nous savons que Jacques Basnage était en correspondance avec Gilbert Burnet et avec Pierre Allix, car il avait promis à Michel Le Vassor des lettres de recommandation auprès de ces deux amis lorsque l’oratorien s’embarqua pour l’Angleterre après avoir séjourné à Rotterdam : voir la lettre de Le Vassor à Jacques Basnage du 20 octobre 1694, éd. M. Silvera, n° XLV, p.145. La lettre annoncée ici, de Basnage à Allix, communiquée par Bayle à Des Maizeaux à Londres, pour qu’il la fasse suivre, ne nous est pas parvenue.

[4] La lettre de Des Maizeaux à Bayle est perdue. Pierre Des Maizeaux (1673-1745), naquit à Paillat en Auvergne. Son père, Louis, pasteur, fut accusé de sédition en octobre 1685, en raison d’un sermon jugé injurieux à l’égard de Louis XIV, et se réfugia en Suisse. Son fils Pierre fit ses premières études à Berne (attestées par Daniel Duncan : voir Broome, 1949, p.7) et poursuivit des études de théologie à Genève mais renonça au pastorat et partit pour l’Angleterre. Sur son chemin, il séjourna à Rotterdam, sans doute en mai-juin 1699, et, muni d’une recommandation de Minutoli (voir Lettre 1455, n.5), y fit la connaissance de Bayle et de Benjamin Furly. Lors du départ de Des Maizeaux pour Londres, vers la fin du mois de juin 1699, Bayle devait le recommander à son tour auprès de Pierre Silvestre et par la suite auprès de Shaftesbury (Lettre 1504) ; Jean Le Clerc le recommanda également auprès de Locke (éd. Sina, n° 301, ii.300-301 ; éd. de Beer, n° 2595, vi.636-638 ; n° 2601, vi.649) et Des Maizeaux porta lui-même à Locke une lettre de recommandation de la part de Jean-Alphonse Turrettini, lettre que Locke fit parvenir ensuite à Pierre Coste (éd. de Beer, n° 2601). Après un court séjour à Londres (chez un marchand de perruques à St Martin’s Lane), Des Maizeaux devint le précepteur du fils de Paul d’Aranda à Shoreham (Kent) et s’établit l’année suivante – sans doute vers le mois de mai 1700 – à Londres, où il aurait été le précepteur du fils, George, de Thomas Parker (1666-1732), 1 er earl de Macclesfield. Grâce à l’appui de Sir Ralph Dutton, de Shaftesbury et de Saint-Evremond (et par la suite de Lord Halifax et de Sunderland), Des Maizeaux put alors entrer dans le cercle de Somerset House et entreprendre une carrière littéraire, en tant que journaliste (des NRL de Jacques Bernard, de l’HOS de Basnage de Beauval et du JS de l’abbé Bignon), éditeur et biographe. Outre ses nombreuses publications bayliennes – Vie de M. Bayle, Lettres, Œuvres diverses – il composa, entre autres, une Vie de Saint-Evremond (Amsterdam 1706, 12° ; La Haye 1711, 12°) et édita ses Œuvres meslées (Londres 1705, 4°, 2 vol. ; Amsterdam 1706, 12°, 5 vol.), ainsi qu’un Mélange curieux des meilleures pièces attribuées à Mr de Saint-Evremond et de plusieurs autres ouvrages rares ou nouveaux (Amsterdam, Pierre Mortier, 1706, 12°, 2 vol.), un Recueil de diverses pièces sur la philosophie, la religion naturelle, l’histoire, les mathématiques, par Mrs Leibniz, Clarke, Newton et autres autheurs célèbres (Amsterdam 1720, 12°, 2 vol.) et An historical account of the life and writings of William Chillingworth (London 1725, 8°). Il devint fellow de la Royal Society en 1720 et fut nommé gentleman de la Chambre du roi en 1722, ce qui ne l’empêcha pas de tomber dans la misère à la fin de sa vie. Des Maizeaux allait être un correspondant précieux de Bayle en Angleterre car, tout en restant en contact avec Jean Le Clerc et Jacques Bernard, il devait connaître tous les milieux intéressants à Londres : le cercle de Saint-Evremond et de Lord Galway (Henri de Massue le fils, marquis de Ruvigny), celui de la Royal Society, celui des libres penseurs Anthony Collins, John Toland, Pierre Coste, Bernard Mandeville, celui du Rainbow Coffee-house et des réfugiés huguenots, avec lesquels il organisa la seconde traduction anglaise du Dictionnaire de Bayle (1734). Voir I. Disraeli, Curiosities of literature (London 1859, 3 vol.), iii.13-23 : « Of Des Maizeaux and the secret history of Anthony Collins’ manuscripts » ; J.H. Broome, An Agent in Anglo-French relationships : Pierre Des Maizeaux (1673-1745) (thèse inédite, université de Londres, 1949) ; du même, « Pierre Des Maizeaux journaliste : les nouvelles littéraires de France entre 1700 et 1740 », Revue de littérature comparée, 29 (1955), p.184-204 ; du même, « Bayle’s biographer, Pierre Des Maizeaux », French Studies, 9 (1955), p.1-17 ; du même, « Anthony Collins et Des Maizeaux », RLC, 30 (1956), p.161-179 ; E. Labrousse, « Bayle et l’établissement de Des Maizeaux en Angleterre », RLC, 29 (1955), p.251-257 ; J. Almagor, Pierre Des Maizeaux (1673-1745). Journalist and English correspondent for Franco-Dutch periodicals 1700-1720 (Amsterdam and Maarssen 1988) ; B. Lagarrigue, Un temple de la culture européenne (1728-1753) : l’histoire externe de la « Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe » (Nijmegen 1993), p.68-75 ; Dictionnaire des journaux, s.v. (art. de J. Sgard) ; A. Goldgar, Impolite learning. Conduct and community in the Republic of Letters, 1680-1750 (New Haven, London 1995), p.131-137 ; ODNB, s.v. (art. de J. Dybikowski), et « Rainbow Coffee House group » (art. d’E. Grist) ; J. Dybikovski, The Correspondence of Anthony Collins (1676-1729), freethinker (Paris 2011).

[5] Cette allusion est peu explicite mais il semble bien qu’il s’agisse de Jean-Baptiste Stouppe, puisque Bayle fait allusion à son ouvrage dans le DHC, art. « Spinoza (Benoît de) », rem. D : « Mr Stoupp insulte mal-à-propos les ministres de Hollande, sur ce qu’ils n’avoient pas répondu au Tractatus theologico-politicus » en citant « quelques lettres intitulées La Religion des Hollandois » et il précise que sa citation tirée de cet ouvrage lui a été fournie, sur l’original, par Des Maizeaux. Sur l’ouvrage de Stouppe, voir Lettre 882, n.33 ; Bayle l’exploite dans les articles « Anabaptistes », « Erasme », rem. Q, et « Mammillaires », « Spinoza (Benoît) », rem. D, E, et « Volkelius », rem. A.

[6] Nouvelle expression de l’ambition historiographique de Bayle, très éloignée du pyrrhonisme.

[7] Il sera de nouveau question de ce mémoire sur l’éminente famille genevoise des Calandrini dans la lettre de Bayle du 29 décembre mais, en fin de compte, Bayle ne l’a pas exploité dans le DHC : voir Lettre 1462, n.2.

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