Lettre 1565 : Pierre Bayle à Pierre-Sylvain Regis
A Rotterdam le 25 e de mai 1702 Monsieur Je me suis bien souvenu que vous souhaitiez d’avoir un exemplaire complet de la physique de Mr Bayle de Toulouse, et du volume de ses Dissertations [1], mais depuis que je lui eus fait savoir que nos libraires ne se vouloient point accommoder de son ouvrage, je n’ai recu aucune nouvelle de lui. De sorte que non seulement je n’ai pu vous procurer ce que vous souhaitiez, mais que meme mon exemplaire en est demeuré au 1 er tome. Quand vous vous serez servi de ce 1 er / tome, vous pourrez Monsieur me le renvoier, mais à votre plus grande commodité*, je vous prie[.] Aiez la bonté de m’aider à eclai[rcir] un petit doute qui me vint hier [en] consultant l’ Histoire de Charles-Quint de Mr Leti [2]. Il cite à la page 283 du 2 e tome un ecrivain qu’il nomme Bagni et qui a parlé des amourettes de Charles-Quint. Et puis à la page 285 il cite l’auteur d’un livre qui a ecrit le Gelosie matrimoniali. Il le nomme Gangi. Je croi qu’en ces deux endroits il n’a voulu citer que le meme auteur, mais que les imprimeurs n’aiant pas bien dechif[f]ré son ecriture ont • mis Gangi en / un endroit, et Bagni en l’autre. Je conjecture qu’il eut fal[l]u mettre Bagni aussi bien à la page 285 qu’à la page 283. Que vous en semble[,] Monsieur ? Je ne doute pas que Monsieur Le Clerc [3] (que je saluë tres humblement avec votre permission) ne nous tire d’af[f]aire dans un moment, s’il veut jetter les yeux sur ces deux endroits du 2 e tome. Je voudrois que Mr Leti eut mis à la fin du livre la liste de tous les auteurs qu’il a consultez pour composer cette Histoire de Charles-Quint. Et s’il etoit possible de trouver à emprunter pour quelques jours le livre Gelosie matrimoniali, ce seroit me faire beaucoup de plaisir. Excusez mes importunitez mon cher Monsieur, et croiez que je suis tres fervam[m]ent votre tres humble et tres obeissant serviteur
Notes :
[1] Sur les Institutiones physicæ de François Bayle, voir Lettre 1449, n.6.
[2] Gregorio Leti, Vita dell’ invitissimo imperadore Carlo V austriaco (Amsterdamo 1700, 8°, 4 vol.), traduite par sa fille Marie Leti, épouse Le Clerc, sous le titre La Vie de l’empereur Charles V (Amsterdam 1702, 8°, 4 vol.), éd. Bruxelles, 1710, 8°, 4 vol., ii.211 : « Charles V séjourna à Palerme, pour recevoir les ambassades des villes et autres lieux, et pour mettre en sa perfection ce gouvernement, durant l’espace de 30 jours entiers, pendant lesquels ce ne fut que jeux, joûtes, et bals, et il témoigna sur tout se plaire aux bals, pour lesquels on ne lui avoit pas remarqué jusqu’alors une grande passion ; il se fit même quelque plaisir de rendre le soir assez tard, environ 2 heures de nuit, (parce qu’il employoit le jour aux affaires) incognito quelque visite courte, aux principales dames et autres belles, avec plusieurs desquelles (écrit Bagni) s’il ne fut pas chaste, il fut au moins secret et discret. » Ibid., p.213 : « Quantité d’auteurs ont parlé de ces amours de Charles V avec Dona Catherine princesse de Bisignano, les uns plus, les autres moins ; mais Gaugi, qui vivoit en ce temps-là, et qui a êcrit les Jalousies du mariage, blâme fort cette princesse, comme une personne qui renonçant à toute pudeur employa toutes les ruses, et toutes les actions lascives dont elle pût s’aviser, pour se faire aimer de Charles V, qui, selon cet écrivain, fut plûtôt recherché et sollicité, qu’il ne rechercha et sollicita. » On lit bien, dans la présente lettre, « Bagni » et « Gangi », ce qui est conforme au texte italien de Leti (les références de Bayle sont exactes pour l’édition de 1700), mais la traduction de Leti porte, par une faute typographique, « Bagni » et « Gaugi ». Nous n’avons pu localiser un exemplaire des Gelosie matrimoniali. Giammaria Mazzuchelli, auteur de Gli Scrittori d’Italia cioé notizie storiche, e critiche intorno alle vite, et agli scritti dei litterati italiani (Brescia 1753-1763, folio, 6 vol.), vol. II, parte I, art. « Bagni (Francesco) », s’avoue également mystifié par la référence de Leti et s’accorde avec l’hypothèse proposée par Bayle dans la présente lettre quant au nom de l’auteur présumé.
[3] Jean Le Clerc était le gendre de Gregorio Leti et résidait, comme Pierre Regis, à Amsterdam.