Lettre 195 : Pierre Bayle à Jean Bayle
Je vous apprens que la providence divine m’a fait trouver un commencement d’ etablissement* en Hollande, pour lequel je vous convie à loüer Dieu avec moi, en reconnoissance de ses bienfaits, et à prendre la coupe de delivrance [1]. Quand je partis de Sedan, pour venir à Paris, d’où vous avez eu de mes nouvelles, ma pensée etoit de passer l’hyver à Roüen, où Mr Jurieu etoit appellé : et c’est là que j’eusse attendu le succez des offices que quelques amis m’avoient promis ou en Hollande ou en Angleterre. Dans cette veüe je vous donnai une adresse ches Mr le baron de Heuqueville [2], qui est un
Les lettres de mes f[reres] [7] m’ont eté envoyées icy par Mr Basnage à q[ui] Mr de Heuqueville les remit. J’ay eté à Leyde où Mr Gaillard m’a fait toutes les amitiez possibles : il me traitta à diner et nous bumes votre santé. Je repondrai à m[on] f[rere] au p[remi]er jour, en attendant je vous supplie de tout mon cœur de songer au
Je vous souhaitte à tous mille benedictions. Vous n’avez qu’à m’ecrire tout droit icy mettant à Mr Bayle pro[f]esse[ur] en philosophie et en histoire ches Mr Ferrand op Geldreskai, à Rotterdam [12].
Notes :
[1] Psaume 116, 13.
[2] Sur Heuqueville, voir Lettre 192, p., n.19.
[3] Adriaan Paets (vers 1630-1685), dont le nom est souvent écrit, par erreur, van Paets, échevin de Rotterdam, avocat et homme politique néerlandais, beau-frère de Cornelius De Witt, appartenait politiquement au parti républicain des Régents et avait des sympathies théologiques remontrantes, comme plus d’un Néerlandais membre d’une communauté wallonne (moins rigidement calviniste que les réformés de langue néerlandaise). Bayle devait à sa protection son poste à l’Ecole Illustre de Rotterdam. Quand il mourut, Paets était ambassadeur à Londres : voir C.W. Roldanus, « Adriaan van Paets, een republikein uit de Nadagen », Tijdschrift voor Geschiedenis, 50 (1935), p.134-166. Le nom du jeune homme parent de Paets était van Zoelen, comme l’indique Bayle un peu plus loin.
[4] Abraham de Rochefort, pasteur de Rotterdam depuis 1653, était né en 1605 ; dès septembre 1678, il avait obtenu du synode wallon de Flessingue l’autorisation de demander aux magistrats – c’est-à-dire à la municipalité de Rotterdam – sa mise à la retraite, et, comme on le voit, les autorités municipales laissèrent traîner les choses.
[5] Phinéas Piélat, originaire d’Orange, étudia à Genève et fut quelque temps pasteur en France ; mais l’arrêt du Conseil qui interdisait qu’un pasteur ne fût pas sujet du roi de France (arrêt très ancien, mais longtemps inappliqué) le conduisit aux Provinces-Unies et, en avril 1672, le synode wallon de Leeuwarden le déclara appelable ; l’année suivante on le trouve à Rotterdam. Il n’y avait guère plus d’un mois que Bayle et Jurieu se trouvaient à Rotterdam et cette remarque un peu acide de Bayle laisse présumer que des tensions entre Jurieu et son collègue étaient déjà apparues : Piélat, comme plus ancien pasteur de la ville, prétendait au « pas » – à l’entrée en premier –, mais Jurieu, parce qu’il ajoutait le titre de professeur de théologie à celui de pasteur, prétendait jouir de ce privilège : voir E. Labrousse, Pierre Bayle, i.173.
[6] Bayle enseignait en latin. On ignore le sujet précis de ses cours d’histoire, mais sa vocation d’historien se trouvait reconnue dans cet enseignement auquel ses lectures déjà vastes l’avaient préparé. Quant à la philosophie, ses cours antérieurs de Sedan suffisaient amplement. Deux disputationes des étudiants de Bayle de l’Ecole illustre ont survécu ; elles portent toutes deux sur la physique cartésienne : voir E. Labrousse, Pierre Bayle (2 e éd., Dordrecht 1985), i.288, et surtout J. van Sluis, « Cartesian physics in two unknown disputations by Pierre Bayle », Bijdragen, Tijdschrift voor filosofie en theologie, 61 (2000), p.123-135. Sur la vie de Bayle à Rotterdam, voir H.C. Hazewinkel, « Pierre Bayle à Rotterdam », in Pierre Bayle, le Philosophe de Rotterdam. Etudes et documents, éd. P. Dibon (Amsterdam, Paris 1959) p.20-47, H. Bots, « Pierre Bayle en de Rotterdamse Illustre School, 1681-1693 », Rotterdams Jaarboeckje, 1982, p. 177-201, H.H.M. van Lieshout, The Making of Pierre Bayle’s Dictionnaire historique et critique (Amsterdam et Maarssen 2001), ch.3 : « Retouching the portrait of Pierre Bayle as a scholar, 1681-1706 », p.149-176, et enfin, H. Bots, « Le Refuge huguenot dans les Provinces-Unies. Orientation bibliographique », in Conflits politiques, controverses religieuses, dir. O. Elyada et J. Le Brun, p.101-126.
[7] Nous n’avons aucune de ces lettres.
[8] Sur Daniel ou Mathieu de Larroque, voir Lettre 194, n.4. Le fils d’ Etienne Brazi était Henri : voir Lettre 182, n.4. Sur Salomon Pagès, voir Lettre 164, n.37. Esaïe Tugnac était pasteur à Chaugny (Chauny, actuellement dans l’Aisne) lors de la Révocation. Il se réfugia dans les Provinces-Unies et y devint professeur de philosophie à Maastricht ; à cette date, il avait vingt-sept ans (SHPF, ms Auzière, 565-4). Pierre Laurent était originaire de Wassy. Il avait été étudiant à l’académie de Genève (voir Stelling-Michaud, iv.278) et devint ensuite pasteur de Gercy (actuellement dans l’Aisne) de 1682 à la Révocation. Réfugié en Hollande, il devint pasteur de Tholen, une des îles de Zélande, de juin 1688 jusqu’à sa mort en 1692. Samuel Raulin (Raullin ou Rollin), de Wassy, avait étudié à Genève en philosophie et théologie de 1675 à 1679 : voir Stelling-Michaud, v.279. Après la Révocation, il devint pasteur à Groningue, où il donna en outre des cours d’hébreu à l’université ; il y mourut en 1725. Nous ne savons rien de M. Marin. Sur Alexandre Coullez, voir Lettre 182, n.5. Sur François Jodoin, voir Lettre 151, n.7 ; Bayle le connaissait personnellement : voir Lettre 153, p..
[9] La question concernait un des pasteurs de Rouen, Lucas Jansse, né tout au début du siècle ; son grand âge ne l’empêcha pas de sortir de France à la Révocation ; il mourut peu après avoir gagné Rotterdam.
[10] Sur Claude-François Pellot, voir Lettre 66, n.1.
[11] Le père du précepteur était probablement nommé Jean Taunay (ou Tonnay) : on le trouve pasteur à Laigle (actuellement, Orne) en 1660 (mentionné au synode provincial de Dieppe cette année-là), puis à Criquetot en 1684 (voir E. Benoist, Histoire de l’édit de Nantes, v.781). A la Révocation, ce pasteur put gagner Rotterdam, où il mourut en 1686, car on voit alors sa veuve assistée par la diaconie d’Amsterdam. On ne sait rien du fils.
[12] Bayle loge donc quai des Gueldres chez un marchand nommé Jean Ferrand, petit-fils de Daniel Ferrand, ministre de Bordeaux : voir aussi Lettre 201, n.10.