Lettre 202 : Jacob Bayle à Jean-Armand Du Bourdieu
J’embrasse avec joye l’occasion qui m’est offerte de vous ecrire pour vous renouveller l’asseurance de mon amitié [et] de l’estime que j’ay commancé d’avoir pour vous lors [que] nous etions à Puylaurens, et qui a crû depuis par le [rap]port avantageux qui m’a esté fait de vos rares dons, et [du] merveilleux succès de votre ministere. Comme j’en [b]enis Dieu de tout mon cœur, je regarde aussi l’amitié [d]ont vous m’avés honnoré autrefois, et dont vous vous [s]ouviendrés sans doute, comme une suite naturelle de [c]elle dont Mr votre pere a toûjours honnoré le mien [1]. [Je] souhaite qu’elle passe dans notre posterité. Celui qui [vo]us rendra ma lettre est uni avec nous dans ces senti[m]ens, et c’est vous le prouver assés en vous disant que c’est mon frere, puis qu’il est vray qu’il a appris dés / son enfance à avoir de la veneration pour vostre nom [2]. Il va continuer ses etudes de theologie dans l’academie de Geneve, et je me promets que vous luy ferés la grace de le recommander particulierement à vos parens et amis qui sont du premier ordre dans la Republique [3]. Au reste j’ay veu par une lettre de Mr Claude dont un de mes amis m’a envoyé une copie la force et la delicatesse de vos objections sur les matieres traitées par Mr Jurieu dans son Apologie pour nôtre morale [4], et vous ne sauriés croire combien j’ay esté sensible aux justes louanges qui vous y sont données. Il n’est point d’objection dans tout le livre de Mr Arnaud [5] qui soit si considerable et sur tout dont l’eclaircissem[en]t serve plus à l’edification des consciences delicates aprés les cheutes qui semblent detruire la pieté et la sanctification. Le sermon que vous avés donné au public touchant la s[ainte] Vierge, comme Mr de La Riviere ministre de Toulouse me l’ecrivit il y a quelque tems, prouve que vous êtes un predicateur qui avec beaucoup de force a un tour fin et delicat à traitter les matieres de nos controverses dans les occasions qui se / presentent sur tout en des lieux fameux comme Montpellier, où Dieu vous a appellé pour estre le cher et digne collegue de Mr votre pere [6]. Je vous souhaite à l’un et à l’autre une longue et heureuse vie, pour edifier l’Eglise de Dieu qu’il a rachetée par son propre sang, et qui a besoin de tels conducteurs en un tems comme celuy-cy. Croyés moy toûjours veritablement
votre tres humble et tres-obeïssant serviteur et frere en Jesus-Christ
Notes :
[1] Isaac Du Bourdieu, autrefois compagnon d’études de Jean Bayle, comme Jean Du Bourdieu (ou Dubourdieu) l’avait été de Jacob Bayle ; le père et le fils Du Bourdieu étaient collègues à Montpellier.
[2] Nous avons ici la lettre d’introduction que Joseph Bayle, en voyage vers Genève, avait apportée à Jean Du Bourdieu lors de son passage à Montpellier.
[3] Nous ignorons tout de ces parents célèbres des Du Bourdieu. Isaac avait publié un ouvrage de controverse en 1681 ; un de ses fils était médecin à Lyon, et Jean avait publié à cette date deux sermons et une Réponse à Bossuet, mais la courtoisie de Jacob Bayle est plutôt exagérée.
[4] Voir Lettre 159, n.10, sur cette lettre de Claude à Jean Du Bourdieu et sur la lettre de Claude sur l’efficace du baptême. C’est Pierre Bayle qui avait fourni à son frère une copie de ces deux lettres de Claude.
[5] Arnauld avait spécialement combattu les notions réformées de justification et d’inamissibilité de la grâce dans son Renversement de la morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes touchant la justification (Paris 1672, 4°).
[6] Lettre de M. l’évêque de Condom, avec la réponse de M. Du Bourdieu fils, ministre de Montpellier (Amsterdam 1681, 12°), signalé Haag 2, v.561-562 ; Avis de la Sainte Vierge sur ce que tous les siècles doivent dire d’elle, ou sermon sur ces paroles : « Voicy certes desormais tous âges me diront bienheureuse », S. Luc, 1, vers. 48, prononcé à Montpellier par Jean Dubourdieu (Amsterdam 1682, 12°) ; Lettre de M. l’évêque de Condom, avec la réponse de M. Dubourdieu le fils, ministre de Montpelier, et un sermon du même auteur sur le bonheur de la Sainte Vierge (Amsterdam 1682, 12°).