Lettre 209 : Pierre Bayle à Jean Rou

A Rotterdam, le 14 juillet, 1682

Vous aurez sujet de vous plaindre de moi, mon cher Monsieur, de ce que je ne vous ai pas remercié du présent que vous m’avez fait de votre livre [1] ; car, je ne compte pas pour un acte de remerciment ce que je vous en dis chez Mr Jurieu. Je me réservois à parler amplement de tout cela quand vous seriez sorti. Je vous attendis à mon logis ; je vous allai chercher chez Mr de Beaumont [2] ; mais, ce fut sans vous pouvoir joindre. Depuis ce tems-là, j’ai cru aller de jour en jour à La Haye ; mais, je m’apperçois enfin, que je laisse passer bien du tems, sans trouver le loisir de faire cette agréable promenade, et je me resous de vous écrire par Mr Claude [3], qui la fera aujourd’hui.

En deux mots, mon cher Monsieur, je vous remercie très humblement de votre présent ; je l’ai lu, et relu, avec bien de la satisfaction, quoi qu’il n’eut point tout-à-fait pour moi la grace de la nouveauté ; puis que vous m’en aviez lu la / plupart, avant que de mettre au net votre composition. J’ai trouvé les additions que vous n’aviez pas encore faites la derniere fois que vous m’en lûtes quelque chose ; je les ai trouvées, dis-je, très fortes, et très bien poussées ; savoir, l’affaire de la reine d’Ecosse [4], etc. Vous me ferez plaisir de m’apprendre la maniere dont nos adversaires en parlent en France, lors que vous en aurez su quelque chose.

J’appris hier avec bien du plaisir que Son Altesse a donné tout de nouveau sa parole à Mr Jurieu pour vous [5]. Je me souviens que Mr Jurieu m’a dit que la prémiere fois qu’il vit Mr Halewyn  [6], votre bon et illustre ami, il lui demanda des nouvelles de l’autre professeur : cela fait que je me sens d’autant plus de désir d’être connu de lui, et de lui faire la révérence. Je vous arrête pour être mon introducteur, s’il vous plait, la prémiere fois que j’irai à La Haye.

Quand vous irez à la sale, je vous prie de dire à Du Périer qu’il apporte là tous les bons livres qu’il a chez lui ; parce que je dois aller bientot à La Haye ; et que si j’en trouve de bons, je lui en acheterai beaucoup [7]. Tout à vous, etc.

Notes :

[1Jean Rou, Remarques sur l’Histoire du calvinisme de M. Maimbourg (La Haye 1682, 12°), ouvrage dédié au prince d’Orange.

[2Ce nom est vraisemblablement celui d’une seigneurie et nous ignorons le patronyme du Wallon ou du réfugié qu’il désigne ; Beaumont habitait Rotterdam et, apparemment, c’est chez lui que Rou logeait quand il venait dans cette ville.

[3Isaac Claude, fils du pasteur de Charenton et pasteur comme son père, avait quitté la France depuis quelques mois (permission royale obtenue le 1 er avril 1682) et allait devenir pasteur wallon à La Haye. Il n’est pas certain qu’il ait occupé déjà ce poste à la date de la présente lettre.

[5Jurieu, qui était persona grata à la Cour de La Haye, avait eu la promesse de Guillaume d’Orange qu’il trouverait un poste pour Rou à la première occasion. Cette promesse se réalisa assez vite, une place de clerc au greffe de Leurs Hautes Puissances (les Etats) ayant été libérée. Rou prêta serment en novembre 1682 et occupa ce poste, initialement modeste, à la plus grande satisfaction de ses employeurs. Il eut la joie de pouvoir faire venir sa femme et ses deux petites filles auprès de lui dans l’été 1683, une « grâce » qu’il obtint par Montausier, qui s’était déjà dépensé en faveur de Rou auprès de Louis XIV.

[6Les deux frères Holowyn, l’un conseiller, l’autre bourgmestre de Dordrecht, furent accusés de crime d’Etat en 1693 ; le second seul fut condamné à la prison perpétuelle. Voir les lettres de Bayle du 7 septembre 1693 (à J. Le Duchat) et du 14 septembre 1693 (à V. Minutoli).

[7Ces mentions sont cryptiques ; on peut comprendre qu’un certain Du Périer avait des livres à vendre, et supposer que « la sale » désigne un lieu de vente (aux enchères ?) ou une maison, située à La Haye.

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