Lettre 222 : François Janiçon à Pierre Bayle

[Paris,] [1] Ce 28, Juin • [1683]

Mr Nicole qui estoit cydevant relégué en son pais de Chartres a eu permission de revenir à Paris, et va mesmes aux conférences qui se tiennent de 15 en 15 jours chez Mr l’arch[evêque], ce qui donne lieu de croire qu’il s’est détaché de Mrs de Port-Royal [2].

Notre amy de Mazere a receu vostre lettre du 17e de ce mois avec le billet que vous l’aviez prié de faire tenir, et je me suis chargé de vous le faire savoir, parce qu’il n’est pas luy mesme guière en estat de vous répondre, à cause de sa maladie [3]. Je commance des aujourd’huy à en user de la mesme maniere que vous aves fait, m’imaginant bien que cette lettre ne vous en sera pas moins rendue que s’il y avoit une subscription pour vous soit que vous soyez logé • ou non chez celuy à qui j’en fais l’adresse. Vous m’obligerez de dire à vostre illustre amy que je souhaiterois fort en user de mesme avec luy en luy ecrivant des lettres qui luy fussent rendues sans subscription [4]. Je ne vous prie point de luy communiquer tout ce que je vous envoye aujourd’huy, parce que vous ne doutez pas qu’il n’y ayt la mesme part que vous ; je vous diray seulement à l’un et à l’autre que ce ne seroit pas une precaution inutille de vous adresser les lettres en des lieux où vous ne fussiez point logez. Il m’en est venu une dans l’esprit qui vous regarde, et que vous ne desaprouverez[,] je m’assure[,] pas, qui est, que quand Monsieur vostre frere sera icy, il y doit paroistre sous un nouveau nom [5], et je me suis senti fortifié dans cette pensée, par le bruit • faux, ou vray qui estoit repandu hier à Charent[on], qu’on s’estoit mis en devoir de vous enlever, et qu’on l’avoit fait en effet, mais que vous aviez eté secouru par des personnes qui avoient fait lascher prise aux premieres [6]. Je serois bien fasché que cette nouvelle fut vraye tant pour vous que pour vostre amy. Car il ne faut pas douter que son dernier ouvrage [7], que je n’ay point encore veu n’irrite autant les esprits de ce pais icy que celuy que vous saves avoir este condamné cy-devant par M. de La Reynie [8]. Au reste vous devez estre persuadé, Monsieur, que dans les sentimens où je suis pour vous je ne manqueray pas de rendre à Monsieur vostre frere [9] tous les services dont je seray capable, quand mesme son propre merite ne m’y obligeroit pas, comme il le fera pourtant sans doute*, des qu’il me sera connu plus particulierement qu’il ne l’est à present.

Dans le synode qui vient de se tenir à Fontenay le Comte en Poitou il ne si est passé que deux choses, qui merittent de vous estre écrites. La premiere est que le comm[issai]re cath[olique] rom[ain] qui voulu[t] assister aux presches aussy bien qu’aux assemblées synodales, dit à demy bas à quelques uns des ministres, qu’ils eussent à prendre garde à ce qu’il n’entrast dans le temple aucune des personnes a qui le Roy l’a deffendu par ses edits et declara[ti]ons [10]. Ces Mrs lui répondirent qu’ils ne pouvoient rien à cela, et qu’il pouvoit y employer l’autorité dont il étoit revestu, ensuite dequoy le commissaire de nostre religion [11] se leva, et cria à haute voix / que ceux là eussent à sortir du temple, à qui il estoit deffendu d’y entrer par les edits et declara[ti]ons. Le comm[issai]re cath[olique] rom[ain] se leva a son tour et dit aussy tout haut que les magistrats et les ecclesiast[iques] cath[oliques] roma[ins] estoient exceptes du nombre desquels les deffenses estoient faites [12]. Mais ce qu’il y a là dessus de plus considerable, est que le synode a fait un acte, portant que leur conscience ne leur permet pas d’exclure qui que ce soit de leurs assemblées publiques, lequel acte a esté enregistré parmy les autres de cette assemblée, nonobstant les oppositions du comm[issai]re cath[olique] rom[ain], et elle a nommé trois gentilshommes deputés pour venir faire sur cela leurs tres humbles representations à S[a] M[ajesté] [13].

L’autre chose qui s’est passée à ce synode est que le s[ieur] Souverain [14], ministre de Mouchamp qui fut deposé l’an passé, comme par deffaut, pour arminianisme, ou socinianisme, s’est presenté à se synode, et y a demandé que la compa[gnie] eust pour luy la mesme tolerance dans ses opinions, que nous avons pour les lutheriens ou qu’on voulust l’eclaircir de ses doutes et qu’on luy refusa l’un et l’autre. C’est ce que luy mesme en a écrit à quelques uns de ses amis, je ne say pas ce qu’y en est, mais je say seulement que sa déposition y a été confirmée.

Je ne say si vous aves sçeu que l’arrest du parlement de Guienne qui a condamné l’Eglise de Casteljaloux à estre privée de son exercice, portoit que le s[ieu]r Brocas [15] l’un de ses min[istres], feroit repara[ti]on dans la chambre devant les juges de certains termes injurieux à l’Egl[ise] rom[aine] dont on pretendoit qu’il s’estoit servy dans un de ses sermons. Comme c’est un homme qui a de la fermeté il a paru resolu à ne point prononcer les paroles desquelles on vouloit l’obliger de se servir pour cette repara[ti]on, et on écrit qu’ayant esté conduit pour cela dans la Chambre de l’audiance, il se mit d’abord en estat de parler, mais qu’il fut interrompu, et qu’ayant voulu reprendre, l’avocat general avoit dit que c’estoit assez, apres quoy il fut remené par l’huissier. Ainsy il s’est tiré de ce pas là d’une maniere bien plus honorable que ne fit pas Mr Merlat [16] • il y a quelques années, en une semblable occasion.

On receut hier une seconde reponse de Mr de La Placette [17] par laquelle il s’excuse absolument sur sa mauvaise santé d’accepter la vocation* qui luy a esté adressée, ainsy nous serons obligez au premier jour de proceder à une nouvelle nomination [18]. J’ay ballancé quelque tems pour ne pas grossir ce paquet à vous envoyer la lettre de Mr Arnault à Mr Le Fevre, m’imaginant qu’elle pourroit bien avoir paru au pais où vous étes, puis que celle qu’il écrivit à l’université de Douay y a este veue et imprimée [19]. Je vous rends grâces, Monsieur, de la part qu’il vous plaît me faire de tout ce qui s’imprime en vos quartiers*, vous suppliant de vouloir continuer et de me croire toujours Vostre &c.

Quant vous ferez part de ce que je vous envoye je vous prie de ne point dire de qui vous le tenez [20]. /

On écrit de Tholoze qu’encore que l’arrest qui a esté rendu contre la damoiselle Paulet [21] ne luy aye point été signifié, elle n’a pas laissé de se mettre en estat de l’executer en consignant l’amande en laquelle elle a esté condamnée, afin de sortir pour subir son bannissement ; mais elle n’a pas eu depuis cet arrest la liberté de voir qui que ce soit de notre rel[igion], et on luy a donné à entendre que le Roy avoit commué la peine de son bannissement en celle d’une prison perpétuelle, sy bien que soit par cette menace, soit par la promesse d’un mariage fort avantageux qu’on luy faite esperer, on croit que cette fille succombera enfin sous la tentation du changement de religion pour lequel on la tourmente depuis si longtems. • Depuis que le marquis de Ciré a changé de rel[igion], il a donné à entendre que sa fille en feroit autant si on la tiroit hors de la maison de Madame de Ruvigni, où elle est depuis quelques années. Le Roy en a parlé dans le voyage à Mr de Ruvigni le fils, qui a offert de la remettre entre les mains de Mad[am]e la Presidente de Mesmes sa parente, mais au lieu de cela on a sceu qu’il y a un ordre de la remettre entre les mains de Madame la comtesse de Charnac, dame d’honneur de Mad lle  [22]. /

On fait deffences depuis peu à quelques seigneurs et gentilshommes du Poitou de nostre rel[igion] de recevoir à leurs exercices d’autres personnes que ceux qui sont vassaux de leurs terres, ce qui donne lieu de craindre qu’on ne fasse enfin un reglement general sur cela, • qui contiendra cette restriction, et nous rendra inutille[s] tous nos exercices de fiefs [23].

Le s[ieur] Maimbourg fait imprimer son Histoire de la Ligue, sur laquelle il en estoit demeuré dans son Histoire du Calvinisme [24].

Notes :

[1Cette lettre envoyée de Paris est due à François Janiçon (1634-1705), avocat au parlement de Bordeaux, qui était venu dans la capitale défendre les droits des communautés réformées de Guyenne ; il devait abandonner cette charge en 1683, tout en restant établi à Paris, où il fut un des Anciens de Charenton. Amateur de Belles Lettres, il avait beaucoup de relations dans les milieux érudits de la capitale. Le frère de François Janiçon, Michel, était pasteur à Blois et se réfugia aux Provinces-Unies après la Révocation. Quant à l’avocat, exilé à Vierzon parce qu’il refusait d’abjurer, il paya son retour à Paris par une abjuration de pure façade en 1686 ; il avait envoyé l’ aîné de ses trois fils à Maastricht dès 1684 et éleva les deux autres, restés auprès de leurs parents, en huguenots convaincus. François Janiçon fut menacé d’emprisonnement en 1702, parce que soupçonné d’espionnage au profit des Provinces-Unies, mais l’affaire tourna court : probablement l’avocat bénéficiait de chaudes amitiés bien placées, tels l’abbé Renaudot et divers jésuites. Nous ignorons quand Bayle rencontra Janiçon pour la première fois : évidemment lors d’un de ses séjours parisiens et assez vraisemblablement par l’intermédiaire de Jurieu.

[2Dès le mois de décembre 1680, Pierre Nicole était revenu d’exil aux Pays-Bas avec la permission de l’archevêque de Paris, François Harlay de Champvallon ; il était d’abord relégué à Chartres, sa ville natale, mais il reçut la permission de revenir à Paris le 17 mai 1683 : voir Claude-Pierre Goujet, Vie de M. Nicole, Continuation des essais de morale, vol. xiv (Luxembourg 1732, 12° ; Liège 1767, 12°), chap. 18.

[3Il est possible que cette formule « ami de Mazère » désigne Jacob Bayle, comme l’a suggéré E. Labrousse, car il est visible que Janiçon se chargeait d’expédier de Paris les lettres de Bayle à son frère aîné, qui, elles, arrivaient dans la capitale par la poste étrangère. A cette date, les pasteurs étaient étroitement et hostilement surveillés et le courrier avec les Provinces-Unies était fort peu sûr ; les précautions d’une désignation sans transparence étaient peut-être aussi bien prises pour protéger le pasteur que l’avocat. Cependant, « l’ami de Mazère » peut aussi bien désigner Marc-Antoine Guillemat, pasteur de Mazères, qui avait participé à la cérémonie d’abjuration de Pierre le 21 août 1670. La lettre du 17 juin 1683 à laquelle il est fait allusion, qu’elle ait été adressée à Jacob ou à Guillemat, ne nous est pas parvenue.

[4Pierre Jurieu ; Janiçon, qui se garde bien d’adresser ses lettres ouvertement à Bayle, aurait bien souhaité que Jurieu accepte lui aussi une telle précaution.

[5Joseph Bayle allait arriver à Paris ; comme on le verra (Lettre 239, p.), il adopta la solution préconisée par Janiçon et prit le nom de Du Peyrat.

[6Il s’agissait d’un faux bruit : voir Lettre 227, p..

[7P. Jurieu, Histoire du calvinisme et celle du papisme mises en parallèle (Rotterdam 1683, 4°, 2 vol. et 12°, 4 vol.) : voir Lettre 213, n.22.

[8Voir la Lettre 219, n.13, sur les sanctions prises à Paris contre la Critique générale.

[10La criminalisation de la situation de relaps a été le fondement de l’interdiction de beaucoup d’exercices réformés, sous le prétexte de la présence au culte d’un nouveau catholique ; or, il était inadmissible pour les pasteurs de se refuser à accueillir un fidèle potentiel. Nous avons vu déjà, dans le cas de Bayle, avec quelle discrétion les autorités ecclésiastiques réformées avaient dû agir pour sanctionner son retour à la foi calviniste. La situation ne fit que s’aggraver avec le temps par la déclaration sur les relaps du 13 mars 1679 et surtout par l’édit enregistré le 25 juin 1680, qui, en manifeste contradiction avec celui de Nantes, interdit aux catholiques d’embrasser le protestantisme ; c’était là rendre irrévocable une abjuration dans quelque situation qu’elle se soit produite – par exemple, de la part d’un individu très jeune, ou bien d’une manière implicite ou bien encore sous la menace. Voir Lettre 221, n.3, comment la présence d’un nouveau catholique à un service réformé entraînait l’abolition de l’exercice.

[11Les archives du synode de Fontenay-le-Comte, qui s’est tenu du 9 au 15 juin 1683, ne semblent pas avoir survécu ; nous ne connaissons que quelques détails fournis par A.-F. Lièvre, Histoire des protestants et des Eglises réformées du Poitou (Poitiers 1858), ii.140, sans que ses sources soient précisées : les commissaires y sont nommés Jean-Baptiste de Loynes, seigneur de Nalliers, et François-Hector Hélie (ou Helies) Boisroux de La Grange. Celui-ci était le commissaire protestant ; on le retrouve en 1686 à Balk, en Frise. Voir Jean Rivierre, « Livre d’or des protestants du Poitou persécutés pour la foi » SHPF, mss, Usuels, iv.1807, et Y. Krumenacker, Les Protestants du Poitou au siècle (1681-1789) (Paris 1998), p.96-100.

[12En effet, la Déclaration du 22 mai 1683 ordonne que dans les temples un banc ou un emplacement soit réservé aux catholiques – en pratique, à des ecclésiastiques capables de surveiller la teneur des sermons et éventuellement d’interrompre l’orateur. Le commissaire catholique s’appelait Jean-Baptiste de Loynes, seigneur de Nalliers : voir ci-dessus la note précédente.

[13Les trois députés furent : Charles de Cosnes de Chavernay, ancien de Pouzanges ; il était d’origine dauphinoise et avait épousé en 1676 la Poitevine Lucrèce Le Venier, aussi ardemment attachée que lui à la foi protestante. Il purent s’enfuir en 1686, à la suite de quoi leur château, La Grossetière, fut rasé. Entré au service de Guillaume d’Orange, Chavernay fut tué à Limerick en 1690. Sa femme était encore en vie à Dublin en 1711 : voir Rivierre, « Livre d’or des protestants du Poitou », ii.779-781. Jean (IV) Guichard, marquis de Peray, ancien de Parthenay, dont le château fut dévasté en 1685. Il réussit à s’échapper de France avec sa famille et s’enrôla au service de Guillaume d’Orange. C’est probablement une de ses filles qui, depuis La Haye, se dévoua au service des galériens pour la foi : voir Rivierre, ibid., iv.1729-1731. Le troisième, M. de La Primaudaye, dont le prénom reste inconnu, était du Bas-Poitou. On sait qu’il fut dragonné durement en 1685 : voir Rivierre, ibid., vi.2805. La députation n’eut aucun résultat.

[14Jacques Souverain (entre 1645 et 1650-1698 ou 1699) était pasteur à Mouchamps (actuellement, Vendée), quand il fut déposé par le synode provincial de Thouars, en 1682, pour arminianisme, déposition confirmée par le synode provincial suivant. Souverain gagna la Hollande, mais ne put y trouver de poste et se rendit alors en Angleterre, où il devint prêtre anglican. Il semble avoir été un homme pieux et savant, victime de la surenchère d’orthodoxie qui saisit souvent les institutions réformées sous l’effet des brimades et des persécutions, comprises comme des châtiments divins. Il semble qu’à la fin de sa vie, Souverain, comme plusieurs autres, ne fût plus seulement arminien, mais fût devenu socinien, jugeant la conception trinitaire de la divinité plus platonicienne que scripturaire. Voir l’édition de son ouvrage, Lettre à Mr *** touchant l’apostasie, présentée par E. Labrousse, établie par S. Matton et accompagnée d’une étude par M. Mülsow (Paris 2000).

[15Deux pasteurs de Basse-Guyenne répondaient au nom de Pierre de Brocas : le plus âgé, devenu pasteur en 1665, était né à Clairac ; le plus jeune, certainement apparenté au premier (son neveu ou son cousin), était né à Casteljaloux et il est souvent désigné comme sieur de Ondeplens (ou Hondeplans, ou Hondepleurs). Après quelques années comme pasteur de l’exercice de fief de M. de Mallevirade, il fut affecté à la communauté de Casteljaloux en 1679. Sur son procès en 1682-1683, voir BSHPF, 9 (1860), p.53-61, le texte de divers factums, procédures et arrêts concernant cette affaire. Brocas fut condamné le 30 avril 1683, après s’être constitué volontairement prisonnier le 13 septembre 1682. Banni, il put gagner l’Angleterre, où il se conforma à l’anglicanisme : il signa une requête latine aux évêques d’Angleterre, fin 1685 ou début 1686, en faveur des pasteurs réfugiés, en s’identifiant comme prêtre de l’Eglise d’Angleterre ( BSHPF, 34 (1885), p.477-478). En 1713, Brocas était l’un des chapelains de l’évêque de Londres, Henry Compton, mort la même année ( BSHPF, 35 (1886), p.555).

[16Par arrêt du 19 juillet 1679, le lieutenant criminel de Saintes avait condamné le pasteur Elie Merlat à voir son livre brûlé de la main du bourreau ; quant à l’auteur, le ministère pastoral lui était désormais interdit en France et il dut faire une réparation publique de ce qu’il était censé avoir dit dans un sermon. Le parlement de Guyenne aggrava encore la sentence et, le 5 juillet 1680, Elie Merlat, les fers aux pieds, dut s’agenouiller devant le tribunal et demander pardon à Dieu, au roi et au tribunal d’avoir composé sa Réponse générale à un ouvrage d’ Arnauld (voir le titre complet, Lettre 133, n.28).

[17Jean de La Placette (1639-1718), éloquent pasteur béarnais, avait été appelé à Charenton déjà en 1664, mais n’avait pas voulu quitter son Eglise de Nay, où il venait d’arriver après avoir été pasteur à Arthez (colloque d’Orthez) : voir A. Sarrabère, « Catalogue des ministres protestants béarnais à l’époque de la Révocation de l’Edit de Nantes », Revue de Pau et du Béarn, 17 (1990), p.68, et Dictionnaire des Pasteurs basques et béarnais, - siècle (Pau 2001), p.162-163. L’exercice réformé semble avoir été interdit à Nay en 1682 ou 1683, et, comme toujours en pareil cas, le pasteur banni de la province. Comme tant d’autres, La Placette gagna alors Paris. Il fut invité à prêcher à Charenton le dimanche de la Trinité (soit, le dimanche qui suit Pentecôte) 1683. La présente lettre de Janiçon, Ancien de la communauté réformée parisienne, nous apprend que La Placette, à nouveau sollicité, refusa de rester. Il partit peu après pour la Hollande, d’où il se rendit au Brandebourg en 1686 ; il devait finalement devenir pasteur à Copenhague et le rester jusqu’en 1711, date après laquelle il se retira auprès de sa fille à Utrecht, où il mourut en 1718. Orateur renommé, La Placette fut aussi un auteur abondant qu’on a pu appeler le Nicole protestant.

[18Charles Bertheau, ancien pasteur de Montpellier, devint en octobre 1684 le quatrième pasteur de Charenton, à titre de suffragant d’ Adrien Daillé, dont la santé était chancelante. Cette nomination allait être annulée par les autorités politiques en août 1685, ce qui permit à Bertheau de gagner Londres dès avant la Révocation : voir Douen, La Révocation, ii.135-136.

[20Nous ne sommes pas en mesure d’apprécier le bien-fondé de l’inquiétude de François Janiçon, mais il est établi que dénonciateurs, espions et sbires ne manquaient ni à Paris, ni autour des ambassades à l’étranger et qu’il était au goût du jour de créer des difficultés aux huguenots les plus militants.

[21Guillaume Paulet, alors à Montpellier, avait abjuré en 1664, mais sa femme et sa fille cadette, Isabeau, étaient restées protestantes. Le père fit enlever sa fille le 20 avril 1674 et la plaça dans un couvent, où elle semble avoir abjuré au bout de quelques mois – abjuration qui ne pouvait être valable à cette date que si elle avait treize ans accomplis. De retour chez sa mère, Isabeau redevint protestante et il fallut cinq ans pour qu’on s’avisât qu’elle était relapse et qu’on signifiât à Du Bourdieu et au consistoire qu’elle ne devait plus être admise au temple. Le refus opposé par les autorités réformées entraîna l’arrestation des pasteurs et la démolition du temple. Cependant, Isabeau s’était constituée prisonnière, affirmant n’avoir jamais abjuré, qu’elle ne savait pas écrire en 1675 et que sa signature sur l’acte d’abjuration n’était qu’un faux. Elle fut cependant condamnée à un bannissement aggravé en détention perpétuelle ; la pauvre jeune fille finit par s’avouer coupable ; elle fut libérée avec une pension qui représentait une dot appréciable. Voir E. Benoist, Histoire de l’Edit de Nantes, III.ii.527-534 et le Mercure galant, juillet 1683, p.15-23.

[22René de Culant, baron de Ciré, dit marquis de Ciré (1635- ?), avait épousé Madeleine Henry, fille du marquis de Cheusses. Nous apprenons ici que le marquis avait abjuré dès 1683. Ses enfants ne suivirent pas son exemple : on trouve un fils et homonyme au Refuge en Angleterre avec sa femme et trois de ses enfants (l’aîné lui ayant été enlevé par lettre de cachet). Quant à la fille dont il est ici question, il s’agit soit de Madeleine, qui devint chanoinesse dans un chapitre protestant du Brandebourg par lettres patentes de l’Electeur en date du 23 décembre 1684, soit, plus probablement, d’une sœur de celle-ci, dont nous ignorons le prénom, qui accompagna Mme de Ruvigny en Angleterre et y mourut de la petite vérole peu après son arrivée : voir O. Douen, La Révocation, i.515. Voir BSHPF, 28 (1879), p.408, qui cite la Gazette de Haarlem, en date du 16 juillet 1683, avec la nouvelle suivante : « Le marquis de Ciré, qui s’est fait catholique, a reçu l’ordre de retirer sa fille de chez sa tante, Mme de Ruvigny, et de la mettre comme demoiselle d’honneur avec Mme de Jarnac chez Mademoiselle [à savoir, la duchesse de Montpensier]. » Il est possible que la présente lettre de Janiçon soit à l’origine de cette rubrique, en dépit de la déformation probable de Charnac en Jarnac, qui suggère une transmission orale. A cette date, la Présidente de Mesmes, femme de Jacques III, comte d’Avaux, était née Marguerite Bertrand de La Bazinière.

[23Janiçon est probablement bien renseigné. Un arrêt du Conseil du 14 juin 1683 avait interdit au seigneur de Saint-Jean-de-Vedas (non loin de Montpellier), chez qui se célébrait un culte de fief, d’y recevoir quiconque ne relevait pas de sa justice. Très souvent, un arrêt ponctuel comme celui-là n’était que l’avant-coureur de mesures à portée plus générale.

[24L’ Histoire du calvinisme de Maimbourg s’arrête en effet pratiquement à la Saint-Barthélemy ; l’ Histoire de la Ligue (Paris 1683, 4°) s’arrête en 1598, sans faire mention de l’édit de Nantes.

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