Lettre 231 : Paul Lenfant à Louis Tronchin

A Chatillon sur Loin ce 26 Sep[tem]bre 1683

 

Monsieur

Je ne saurois apprendre que mon fils part de Geneve, sans vous temoigner ma reconnoissance des bontez que vous avez û pour lui pendant le sejour qu’il y a fait. Outre le profit qu’il a pû faire par vos leçons publiques, et par les entretiens particuliers auxquels vôtre charitable honétete lui a donné une si facile et si frequente entrée, je ne doute pas qu’il ne vous ait une des meilleures parties de l’obligation du temoignage honorable que j’apprends qu’il a reçu malgré les obstacles que quelques gens peu charitables et poussez par un mauvais zele ont voulu apporter [1]. Quelque opinion qu’ils en aient, • je ne le [ sic] puis regarder comme une production de cet Esprit de J[esus-]Christ qui deploie son efficace en nos cœurs par sa parole. La charité qu’il inspire n’est point soupconneuse et ne pense jamais à faire du mal à ceux qui n’en ont point merité. Je prie Dieu qu’il / leur pardonne ce peché, et qu’il les eclaire de ses vrai[e]s lumieres, et qu’il leur donne des sentimens plus doux, plus paisibles, et plus propres à procurer l’edification de l’Eglise de Dieu.

Mon fils m’ecrivit il y a quelque tems qu’il vous avoit fait voir un petit ecrit ou je mettois en abbregé mes sentimens sur les matieres de la grace [2]. Mais il ne m’a point mandé si vous lui aviez donné vôtre approbation, comme plusieurs autres de nos meilleurs theologiens, qui l’ont reconnu pour fort orthodoxe, ou bien si vous aviez daigné de faire quelques remarques dessus, dont je pusse pû [ sic] profiter, avant que de toucher à ce qu’il y a de plus polémique sur ce sujet. Comme je fais un grand état de tout ce qui vient de vous vous me trouverez toujours bien disposé à • deferer autant qu’il se peut à votre avis, sur toutes choses. Pour l’ecrit qui devoit servir de reponce à l’avertissement pastoral dont vous avez pû voir une partie, l’accablement d’affaires, où les attaques que l’on fait contre nôtre Eglise m’ont jetté depuis six mois m’a empeché de pouvoir envoier le reste. C’est pourquoi je ne regarde plus cet ouvrage que comme un enfant condamné aux ténèbres de mon cabinet. / Et je suis d’autant plus confirmé dans cette pensée, qu’outre le degoût que pourroit apporter le retardement apres tant d’autres qui ont paru sur le même sujet quoique d’une maniere un peu superficielle [3] ; les soins que mon fils ût pu prendre de son edition me manquerent par son absence je vous supplie Monsieur que son eloignement ne diminuë rien de la bienveillance dont vous l’avez honoré pendant qu’il a été dans vôtre academie comme rien ne diminuera jamais la reconnoissance que lui et moi aurons toujours [pour toutes] les graces que vous lui avez faittes. Je prie Dieu qu’il conserve vôtre personne et qu’il bénisse vos saints labeurs, et suis avec beaucoup de respec[t.]

Monsieur

Votre tres humble et tres obseissant serviteur

Lenfant
Monsieur Lenfant Chatillon sur Loin 26 sep[tem]bre 1683

 

A Monsieur, Monsieur Tronchin f.M.D.S./ E. et Professeur en Theologie/ A Geneve

Notes :

[1Voir Lettres 147, n.5 et 213, n.12 : du seul fait qu’il était fils de Paul Lenfant, Jacques Lenfant fut dénoncé comme « socinien » par Thomas Gautier, professeur de théologie à Die, et par Jacques de Prez, son collègue à Saumur. La seule excuse de ces dénonciateurs, c’est l’interprétation fréquente à cette date selon laquelle les épreuves des Eglises réformées de France provenaient de la colère divine qu’aurait suscitée leur laxisme doctrinal. D’où des surenchères d’orthodoxie calviniste rigide... Jacques Lenfant obtint de l’Académie genevoise, certainement grâce à l’appui de Tronchin, une attestation favorable concernant son niveau d’études, mais il ne put être consacré dans la ville et le fut plus tard, en août 1684, à Heidelberg.

[2Cet écrit de Paul Lenfant n’a jamais été publié.

[3Dans les dernières séances de l’assemblée extraordinaire du Clergé de France de 1682, on rédigea sur le tard et à la va-vite un Avertissement destiné aux protestants du royaume (il fut signifié juridiquement dans un grand nombre de consistoires) qui les sommait d’une manière menaçante d’abandonner leurs hérésies et leur schisme. Cet Avertissement, qualifié aussi de Monitoire, allait naturellement susciter du côté protestant une foule de réponses. Nombre de ces réponses sont anonymes ; il reste donc possible que l’une d’entre elles vienne de la plume de Paul Lenfant. Voir plus bas Lettre 233 (et plusieurs de ses notes), C. Gérin, Recherches historiques sur l’Assemblée du Clergé de France de 1682 (Paris 1870, 8°), et Annuaire de l’EPHE , section, conférences de l’année 1974-1975, p.753-761 et 1975-1976, p.755-764, par E. Labrousse.

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