Lettre 239 : François Janiçon à Pierre Bayle

[Paris, le 24 décembre 1683]

 

Il ne se peut pas trouver de meilleures plumes que les deux de *** [1] dont nous voyons tous les jours des ouvrages fort utiles, et fort agréables. Il seroit seulement à souhaiter qu’on eust en quelques occasions, ou en quelques endroits encore plus de circonspection ou de menagement pour les circonstances des tems et des personnes où nous nous trouvons. Qu’on prist bien garde qu’en disant beaucoup de choses qui servent, on n’en dist aucune, s’il se pouvoit, qui pust nuire. Car nous sommes dans un tems où presque rien ne sert : parce qu’il y a des desseins formez qu’on veust suivre jusqu’à la fin ; et que ceux qui les ont formez, ou ne lisent pas les écrits, ou s’ils les lisent, n’en sont pas touchez. Au contraire, nous voyons que presque tout nous nuit, ou l’on prend occasion de tout de nuire ; parce qu’il n’y a que trop de gens aux aguets pour relever tout ce qui a deux faces, ou qui peut être tourné contre nous, et pour faire que ce qui peut nuire aille jusques aux oreilles du Roy.

Il seroit donc à souhaitter que tout ce que nos gens écrivent à présent fust tourné et menagé* avec tant de soin que le Roy meme le peust lire, ou entendre pour y connoître nôtre véritable estat, avec les maux et les torts qu’on nous fait, sans y trouver rien qui luy peust déplaire, ou qui semblast manquer tant soy peu de respect pour son autorité ; et meme, s’il se pouvoit d’égard, ou de menagement pour sa rel[igion].

Je suis persuadé qu’il n’y a rien, ou presque rien, qui ne se peut dire quand on veut bien se donner la peine de le mettre d’une maniere honeste*, et moderée, sans y mesler trop de chaleur, ou de passion.

Plus les écrivains qui nous persecutent sont emportés, plus je voudrois prendre le contre-pied, et marquer plus de douceur, et de modération. Ce caractere conviendroit parfaitement à la pieté, à la reformation et à l’estat où nous nous trouvons. On y feroit mieux paroistre la difference des esprits et des maximes. Les malhonnestes gens en paroistroient encore plus malhonnestes : et méme nous aurions au moins le merite de la patiance qui pourroit bien plus toucher ceux qui nous poussent que ne font les ressentimens [2].

Rien peut etre ne feroit plus de pe[i]ne, soit à M. de Meaux, soit au s[ieur] Maimb[ourg], soit à Soulier [3] et à Mr Arnaud méme, que si on ne les refutoit qu’avec un stile moderé et retenu par tout. Je ne voudrois pas pourtant leur épargner leurs verités, mais plustost les faire connoître pour tels qu’ils sont. Je ne voudrois pas méme rien oter ce qu’on appelle Mica salis [4], ni certaines manieres de railleries douces et honnestes qui rendent la lecture des écrits agreables, et qui sont comme un assaisonnement aux raisons les plus solides. Mais je ne voudrois aucunes de ces expressions qui ressemblent à des injures toutes pures, et qui autorisent ces écrivains à en dire encore davantage contre nous. Par exemple, il y a de l’inconvenient à insulter les jansenistes sous ce nom là, comme s’ils étoient blamables d’avoir des sentimens plus purs que les autres, soit sur les matieres de la grâce, ou de l’autorité du pape, ou sur les mœurs. Cela méme n’autorise t il pas les uns et les autres à nous traiter odieusement de calvinistes, d’heretiques, etc. ? • J’estime donc qu’on peut repondre à Mr Arnaud et à ces autres Mrs qu’on appelle de Port Royal en ce qu’ils avancent d’odieux et d’injuste sans toucher à leurs autres sentimens ; et moins encore sans leur reprocher leur dispersion, ou les pe[i]nes qu’on leur fait, en quoy ils ont quelque conformité avec nous. Bien loin de les insulter à cet égard je voudrois fort insister contre ce qu’ils ont écrit eux mémes d’une maniere trop aigre ; et contre ce qu’ils ont enseigné et écrit, dans je ne say quels de leurs écrits, que non seulement ce n’est pas un mal de dire des injures, ou d’écrire aigrement contre ceux qui sont d’une autre relig[ion], mais méme que cela est necessaire quelquefois ; et justifié par l’exemple de Notre Seigneur, « Engeances de viperes », etc [5], cela meriteroit d’etre refuté en quelque endroit, ou par • meme moyen l’on pourroit bien faire remarquer l’aigreur insupportable avec laquelle Mr Arnaud et les autres ont écrit, tant contre les molinistes en general qu’en par[ticuli]er contre le s[ieur] Maimbourg, contre le P[ere] Bouhours, contre Mr Malet, contre Mr l’Arch[evêque] de P[aris] et contre nous [6]. /

Puisqu’on a dessein de faire bien connoître l’esprit de Mr Arnaud [7], on pourroit peindre son tampéramment sec, chaud ; et billeux, échauffé encore par l’étude, par le travail et par les affaires qu’il a euës, ce qui se peut bien faire par des termes moderez et retenus. Son caractere excessif et presque exhorbitant qui regne partout, et qui fait que d’une simple apparence, ou vraysemblance à quelque égard, il en veut faire une demonstration. Ou le desir et l’affectation de dire des choses nouvelles, ou de dire les choses d’une maniere differente, et avec plus de force que les autres luy fait chercher des lieux et des raisonnemens hardis qui ne sont apres tout que de grands mots, et qui ne persuadent rien.

On a déjà relevé, si je ne me trompe, que son grand argument de la perpetuité, dont il fait encore à toute heure tant de bruit, et qui a été tout le fondement de sa celebre dispute avec Mr Claude [8], n’estoit qu’une petite raison que Bellarmin avoit avancée avant luy, et qu’il avoit seulement touchée en passant parmy d’autres raisonnemens ausquels il s’arrestoit d’avantage. Il seroit bon de mettre cela méme devant les yeux, pour faire voir d’un coté qu’il ne doit pas se faire tant d’honneur d’un pretendu moyen qui n’est pas de luy, mais des jesuites [9] pour qui il a tant d’adversion et de l’autre, que celuy qui s’en est servy avant luy, qui l’a inventé, et qui en devoit mieux connoître le prix, n’en faisoit pas tant de cas, ny tant de bruit que Mr Arnaud.

En écrivant aigrement contre luy, il est vray qu’on plaist aux jesuites, mais on déplaist en general à tous les catholiques, et à toutes les personnes moderées, l’on choque, et l’on s’atire, en par[ticuli]er tous ceux qu’on appelle jansénistes, ou qui approuvent leurs sentimens sur la grace, ou pour les mœurs, qui sont en tres grand nombre [10].

Comme on écrit hors de France, je voudrois qu’au lieu que d’ordinaire en parlant de ceux de notre communion en France, on dit, Nous, on prist le tour de dire, les Protestans de France, ou ceux de notre communion en France, ou telle autre expression qui fist connoîstre cela meme que l’auteur n’est plus François [11], afin que ce qu’il y peut avoir de choquant pour nos a[d]versaires ne fust pas imputé à ceux de notre communion qui sont en France.

Il faudroit éviter dans la conjoncture présante • de mettre devant les yeux du monde les choses, les raisonnem[en]s, et les exemples qui peuvent etre tournez contre nous : comme par exemple que les princes et les magistrats sont en droit et en possession de connoître et de juger des choses de la Religion, comme Constantin dans le fait des donatistes, les magistrats de Zuric, et de Geneve lors de la Reformation, et Henry 8e en Angl[eterre]. On a dit tout cela en diverses occasions pour combatre l’autorité du Pape ; et cela ne nuit point dans les pais libres ou les magistrats sont de notre communion. Mais rien n’est plus dangereux et de plus mauvaise consequence dans la conjoncture presente, ou les princes catho[lique]s s’en peuvent faire un titre et une raison comme de notre consentement pour prescrire à leurs sujets ce qui leur paroistra • justes ou convenables à leurs fins, etc [12]. Il ne peut etre de plus mauvais effet que ces sortes de • discours à deux faces et à deux tranchans. Un mot dans ce sens la fait plus de mal qu’un livre entier ne peut faire de bien, parce que comme il a été dit ci dessus, rien presque ne sert, et que les moindres choses nuisent. On a assez d’autres choses à dire contre l’autorité du pape et du clergé, sans qu’on ayt besoin de faire naitre ou de traiter • ces sortes de questions. Quelque raison qu’il y puisse avoir de part, ou d’autre ce n’est nullement le tems de les mettre devant les yeux. C’est pourquoy en France nous les évitons avec soin, et nous plaignons de ceux qui traitent ces matieres la sans necessité. En un mot il sembleroit plus avantageux de s’attacher principalement et presque uniquement à éclaircir de plus en plus les raisons du fond de notre Reformation, ou de notre creance : parce que c’est là notre fond et où l’on ne peut rien retorquer contre nous, que de remuer tout ce qui regarde le dehors, ou la forme, parce que la raison humaine y trouve du pour et du contre, et que le pouvoir et l’autorité laissant ce qui est pour nous ne font que mettre en œuvre ce qui est contre nous. C’est à dire qu’il ne faudroit toucher ces sortes de choses qu’en passant, ou par les endroits qui ne peuvent pas etre tournez contre nous ; et non pas au long par toutes sortes • de raisons / bonnes ou mauvaises qui attirent des repliques specieuses, et qui [ne] servent qu’à aigrir, ou a exciter ceux qui cherchent à nous detruire.

Chacun scait qu’il ne suffit pas qu’un livre soit bien écrit, et qu’il fasse estimer l’esprit et le stille de l’auteur : le prin[cip]al est qu’il fasse l’effet qu’on veut faire ; qu’il gagne, ou qu’il adoucisse les esprits, et qu’on n’en puisse faire qu’un bon usage. Je me suis étendu icy sur ce sujet, parce que je me trouve à toute heure en des occasions ou je m’aperçois des inconveniens que je viens d’indiquer.

Je souhaitterois que quelqu’un se donnast la peine de colla[ti]onner, par manière de dire ou de comparer ensemble l’ Histoire du calvinisme, celle des Edicts de pacification, et celle de Charles neuf [13] aux endroits qui touchent les mémes faits. On y pourroit trouver des variations, ou des contradictions, qui serviroient à les refuter les uns par les autres. Par exemple je me souviens d’avoir remarqué dans l’ Histoire de Charles 9, qu’il y paroist visiblement que dans les premieres trente ou quarante années de la Reformation, nos peres ne firent que souffrir, sans opposer jamais la moindre resistance ; et que l’auteur marque que ce fust environ ce • tems là que se forma le triumvira[t], duquel il dit en termes expres que ce fut la source, et la cause de toutes les guerres, et de tous les maux pendant plus de 40 ans. Si bien que voila une espece de justification et d’apologie de la conduite de nos peres pendant environ 80 ans, c’est à dire de toutes les guerres de Religion, depuis le commancement jusques à l’Edit de Nantes. Je suis persuadé qu’on pourroit découvrir d’autres endroits par lesquels ces trois auteurs passionnez se peuvent contredire les un[s] les autres.

Je voudrois aussy qu’on marquast brievement, en meme tems, et en meme lieu les caracteres personnels de ces trois auteurs, pour leur faire perdre toute creance dans les tems presents et à venir ; y ayant assez à dire des uns et des autres. Cette comparaison seroit bonne, et naturelle ; parce que ce sont trois auteurs contemporains, qui s’erigent en historiens, et qui traittent des memes faits. Je ne demanderoit [ sic] pas des traitez expres pour cela ; mais qu’on prist occasion d’en parler en quelque bon endroit. On sait desja tout ce qu’on peut dire de l’auteur du Calvinisme ; on l[’]a fort bien peint ailleurs ; il n’y auroit qu’à retoucher son portrait en petit. On connoit aussi le s[ieu]r Soulier ; et à l’egard de Varillas il sera bon de s’informer un peu particulierement de son état et de son caractere. C’est trois portraits raprochez feroient un bon effet, pour montrer les caracteres des gens qui écrivent ces sortes de choses, et qu’on n’a que de ces sortes de gens pour en écrire. En faisant leurs portraits on pourroit tout d’un tems les comparer, et marquer les endroits où ils varient ou se contredisent.

Il est remarquable entre autres choses, que Maimb[ourg] et Varillas ne peuvent s’empecher de faire connoitre que tous ceux qui se signalèrent le plus parmi les Reformez étoient des personnes de vertus et de merites, le s[ieur] Maimb[ourg] sur tout concluant d’ordinaire qu’ils n’avoient d’autre deffaut que l’heresie ; et ceux de l’autre côté au contraire pleins de vices et de taches, ce qui est un assez grand préjugé pour la cause, etc. On pourroit marquer et mettre ensemble d’un côté les personnes vertueuses de notre communion ; et de l’autre, les reproches contre ceux qui les persecutoient. Cela pourroit faire un bon effet étant bien touché d’une maniere moderée, et sans invective.

De la lettre latine au cardinal Cibo [14] on en peut tirer entre autres choses celle cy, à savoir le reproche que l’auteur fait aux principaux de ceux qu’on appelle jansenistes, d’avoir signé le Formulaire contre les cinq propositions, et apres d’avoir été faire des protestations et des restrictions clandestines contre leur signature ; ce qui, dit-il, ne se tolere qu’à pe[i]ne dans les affaires du monde ; les accusant en cela d’une ypocrisie, et d’une fourberie insupportable. Il met en fait que les preuves de ce qu’il leur reproche sont à Rome. Surquoy il faudroit rapporter le Bref du pape à ces Mrs là [15], où le pape suppose qu’ils ont signé franchement et pleinement sans aucune condition ni restriction, quoy que tout le monde sceut le contraire. C’est à dire que pour accommoder les affaires on écrivoit au pape qu’ils avoient signé purement, et absolument, et que le pape le creut, ou fit semblant de le croire ; pendant que les autres protestoient qu’ils ne pouvoient signer, et qu’ils n’avoient signé qu’en tel et tel sens : ce qui n’estoit qu’une espece de momerie. Si l’on n’a pas ce bref du pape, il ne seroit pas mal aisé de le trouver. /

Ce sont là, Monsieur, les avis que j’ay cru devoir donner à notre illustre ami [16], et dans lesquels vous prendrés s’il vous plaist aussi quelque part. Je n’ay leu que depuis peu de jours • l’ Abrégé du Concile de Trente [17], dont je suis tres content. Le stile en est tres bon, clair, et coupé* ; les faits et les évenemens bien liez ; on passe toujours fort agreablement d’une matiere à l’autre : et il n’y a rien de superflu, et qui ne soit curieux : mais je voudrois bien savoir s’il n’a rien retranché qui meritast d’estre rapporté, et s’il n’a rien dit du tout en aucun endroit qui ne soit de Fra Paolo, soit pour les faits, soit pour les reflexions, ou pour les sentimens. L’auteur semble marquer, en effet dans la fin de sa preface qu’il n’a fait que suivre Fra Paolo ; et rend raison seulement de ce que pour un plus grand ordre il a transposés quelques faits ; mais en quelques endroits il s’exprime comme si c’estoit luy meme, et non pas Fra Paolo, qui juge de ce qui se passe. Je ne say s’il n’eut point été à souhaiter pour une derniere perfection de cet ouvrage, que la preface, ou les reflexions historiques, eussent été plus abregées, et qu’on n’y eut pas traité si au long la question, si nous devons, ou ne devons pas, nous soumettre au concile de Trente, et le reconnoître pour legitime. Car il semble qu’il eust suffit [ sic] d’en dire peu de mots comme en passant et par occasion, et d’attendre le tems qu’on pourroit nous obliger à traiter cette question plus à fond ; et qu’il n’est nullement de ce tems de remuer ainsy par avance toutes ces matieres ; car on ne demande pas mieux de l’autre côté, que de detourner les disputes, et les écrits de ce coté la, où ils se croyent assez forts en toutes manieres avec l’autorité qu’ils ont.

J’appris hier que Mr l’evesque de Meaux travaille à un nouvel ouvrage qui est l’histoire de notre reformation, ou laissant à part celle des guerres qui s’en ensuivirent, il ne parle que de la difference qu’il pretend faire remarquer dans les ecrits de nos premiers Reformateurs quant aux dogmes, et dans leurs diverses confessions de foy [18]. On ne m’a point sceu dire s’il commence seulement du tems de Luther, ou s’il remonte jusqu’à celuy de Jean Hus, et de Wiclef.

On a traduit depuis peu en françois les sermons de s[aint] Augustin sur les Pseaumes. Je m’imagine que cette traduction doit etre l’ouvrage de quelqu’un de Mrs de Port Royal puisque c’est Petit qui la imprimée [19]. Mr de Cordemoy qui est de l’Academie françoise travaille à une Histoire de France dont les deux premiers volumes in folio, qui comprennent la premiere et la seconde race de nos roys pourront paroitre apres Pasques [20].

Mr d’Aucour a fait imprimer le discours qu’il prononça dans l’Academie le jour qu’il y fut receu [21]. Il s’y est fort étendu sur les louanges de feu Mr Colbert, quoy que le tems ne parut plus guiere propre pour cela. Il s’y est • senty obligé parce qu’il avoit eté gouverneur du marquis de Blainville l’un de ses fils, et travaillé ensuite sous luy dans la charge qu’il avoit de surintend[ant] des Bastimens du Roy. Il a aussy extremement loué le Roy comme il le devoit, mais sans y faire entrer un seul mot de tout ce que • Sa Majesté fait tous les jours pour tacher de nous amener à sa religion. D’ou il est aisé de juger que ce nouvel accademicien n’est pas persuadé que ce soit là un des plus beaux endroits de la vie de ce grand prince. Au reste il n’a dit que peu de mots, et comme en passant de feu Mr de Mezeray [22] dont il remply [ sic] la place dans l’Academie, quoyque ce soit la coutume de s’estendre davantage qu’il n’a fait sur les louanges de celuy auquel on succede ; et on m’en a dit pour raison une chose que je ne savois point, c’est qu’apres la mort dud[it] s[ieu]r de Mezeray on a trouvé parmy ses meubles et ses papiers une bource dans laquelle il y avoit 1.500 livres, avec un billet contenant ces mots : C’est icy l’argent que j’ay receu du Roy pour ma pension d’une telle année ; depuis cela il ne ma plus rien donné, aussy n’en ay-je plus rien dit.

Vous direz, s’il vous plaist à notre amy [23] que je n’ay point encore receu les 700 [livres] qu’on me doit envoyer pour luy[.]

Vous aurez sans doute trouvé que j’ay bien tardé à vous parler de Mr Du Peyrat [24] dans la lettre duquel je mis deux mots la semaine passée. J’ay remarqué en luy plusieurs belles et bonnes qualités, qui le rendent fort recommandable, et digne de l’estime et de l’amitié des honnestes gens, laquelle je ne saurois guerre mieux vous exprimer qu’en luy faisant une application de l’etimologie qu’on a donnée au mot de frater, de fere alter [25]. Car dire cela de luy est en dire sans doute* beaucoup. Soyez, s’il vous plaist persuadé, Monsieur, que non seulement j’embrasseray avec plaisir les occasions de luy rendre mes tres humbles services, mais que je les rechercheray aussy avec ardeur, comme étant &c.

24 xbre

Vous pourrez m’ ecrire quelque fois sous le couvert de Mr Du Peyrat, comme vous faisiez sous celuy de notre deffunt amy [26], c’est-à-dire, sans etc. La pauvre Egl[ise] de Castres est sur le point de se voir condamnée par le parlement de Tholoze, comme l’ont été celles de Montp[elli]er et de Montauban, sous de semblables pretextes [27].

Notes :

[1Janiçon ne met ici qu’un seul astérisque, qui désigne vraisemblablement Rotterdam ; les deux plumes de la ville seraient donc Jurieu et Bayle. Dans la suite de cette lettre, Janiçon commet plusieurs fautes de grammaire et d’orthographe, que nous reproduisons sans commentaire.

[2Tout ce développement est destiné à Jurieu, dont la véhémence croissante n’inquiétait pas le seul Janiçon. Bayle en tirera les conséquences dans le Commentaire philosophique et dans le dédoublement de la voix huguenote dans La France toute catholique.

[3Pierre Soulier était un prêtre catholique, violemment adversaire des réformés ; il avait publié alors Abrégé des édits, des arrests et des déclarations de Louys le Grand, avec des reflections (Paris 1681, 12°) ; Histoire des édits de pacification et des moyens que les prétendus réformés ont employés pour les obtenir (Paris 1682, 8°), ouvrage beaucoup plus étoffé que le précédent (voir le JS du 20 août 1682), et enfin L’Explication de l’édit de Nantes, de M. Bernard, avec de nouvelles observations et les nouveaux édits, déclarations et arrests donnez jusqu’à présent touchant la religion prétendue réformée (Paris 1683, 8°). La première édition de l’ouvrage de Pierre Bernard, conseiller au présidial de Béziers, Explication de l’Edict de Nantes par les autres Edicts de pacification, déclarations et arrests de règlement (Paris 1666, 4°) était déjà ancienne. Cet ouvrage avait fourni les bases théoriques de l’interprétation « à la rigueur » de l’Edit de Nantes.

[4« un grain de sel », c’est-à-dire du piquant.

[5Mat. 12,34, et 23,33.

[6Bayle reprendra ce thème dans le DHC, article « Arnauld, Antoine », rem. G, et ce sera un leitmotiv de ses écrits contre Jurieu.

[7Janiçon connaissait jusqu’au titre du prochain ouvrage de Jurieu.

[8Sur la controverse autour de la « petite » et la « grande » Perpétuité, voir Lettres 7, n.5, et 18, n.21, et aussi N. Piqué, De la Tradition à l’histoire. Eléments pour une généalogie du concept d’histoire à partir des controverses religieuses en France (1669-1704), thèse dactylographiée, sous la direction de P.-F. Moreau, Université de Sorbonne-Paris IV, 2002.

[9Le cardinal Bellarmin était un jésuite. Sur son rôle dans la controverse, voir J. Solé, Le Débat.

[10Dans la mesure où le succès des livres de Bayle avait dépassé le Refuge, c’était ce genre de public lettré catholique, tel le cercle de Ménage, qui l’avait assuré.

[11Expression saisissante de la condition des réfugiés huguenots.

[12L’hostilité de principe au Saint-Siège et l’hypergallicanisme traditionnel des réformés français pouvait apparemment conduire certains auteurs huguenots à scier la branche sur laquelle ils étaient assis, peut-être en partie pour rassurer la Cour de France, en proclamant contre leur intérêt l’autorité souveraine des monarques, même en matière religieuse. L’absurdité d’une telle attitude traduit la confiance éperdue que certains huguenots irréalistes conservaient quant à la pérennité de l’édit de Nantes, parce qu’il croyait impossible un parjure royal, – qui sera évité par l’affirmation qu’il n’y avait plus de protestants en France et que l’Edit en devenait caduc.

[13Sur l’ Histoire du calvinisme de Maimbourg, voir Lettre 179, n.26 ; sur l’ Histoire des édits de Pierre Soulier, voir ci-dessus n.3 ; A. Varillas, Histoire de Charles IX (Paris 1683, 4°, 2 vol.) ; voir JS du 31 mai et du 12 juillet 1683.

[14Le cardinal Alderan Cibo (1613-1700) avait accédé à la pourpre en 1645 ; secrétaire d’Etat d’ Innocent XI, depuis 1671 il touchait une pension secrète de Louis XIV, mais jouissait d’une réputation d’intégrité. Innocent XI ne se reposait guère sur lui que pour l’administration des Etats romains. La « lettre latine au cardinal Cibo » désigne sans doute celle que lui adressa François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, le 12 juin 1677, à laquelle le cardinal répondit le 8 décembre de la même année (BNF : 4-Ld4-10321).

[15Il se peut que Bayle fasse allusion ici au bref d’ Innocent X du 29 septembre 1654, qui exprimait la joie du pape à voir le clergé de France « faire exactement observer en tous lieux » la bulle Cum occasione (du 31 mai 1653), alors que s’organisait la résistance de Port-Royal. La bulle Regiminis apostolici d’ Alexandre VII, du 15 février 1665, moment fort de la persécution de Port-Royal, fit le même effet : il ordonnait de signer le formulaire comportant le texte suivant : « Je rejette et condamne sincèrement les Cinq propositions extraites du livre de Cornelius Jansénius intitulé Augustinus, dans le propre sens du même auteur, comme le Saint-Siège les a condamnées » par les bulles Cum occasione et Ad sacram (du 16 octobre 1656).

[17Pierre Jurieu, Abrégé de l’Histoire du Concile de Trente (Genève 1682, 8°, 2 vol. ; 2 e éd. Amsterdam 1683, 12°, 2 vol.) ; le livre abrégé est celui de Pietro Sarpi.

[18L’Histoire des variations des Eglises protestantes, à laquelle commençait à travailler Bossuet, devait paraître en 1688, 2 volumes in-4°.

[19Philippe Goibaud du Bois de La Grugère (1629-1694), proche de Port-Royal, hébergé à l’hôtel de Guise : son édition des Sermons de saint Augustin sur les Psaumes traduits en français (Paris 1683, 8°, 7 vol.) venait de paraître ; elle devait donner lieu à une contestation importante de la part d’ Antoine Arnauld sur la question de l’éloquence sacrée : Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs (Paris 1695, 12°) ; voir l’édition critique de l’ouvrage d’ Arnauld et de l’« Avertissement » de Goibaud du Bois établie par T.M. Carr jr (Genève 1992).

[20Géraud de Cordemoy, qui devait mourir dès l’année suivante, ne put achever son Histoire de France, qui fut continuée et publiée par son fils, Louis-Géraud de Cordemoy (Paris 1685-1689, folio, 2 vol.).

[21Jean Barbier d’Aucour (1641-1694), proche de Port-Royal, devint académicien en 1683, occasion de son Discours prononcé à l’Académie françoise par M. Daucour, le jour de sa réception (Paris 1683, 4°).

[22L’historien François Eudes de Mézeray, né en 1610, venait de mourir le 10 juillet 1683.

[24Nom pris par Joseph Bayle à Paris selon les conseils de Janiçon : voir Lettre 222, n.5. Sa lettre à Pierre Bayle ne nous est pas parvenue ; Bayle y répondit par la Lettre 238.

[25« presque un autre soi-même », étymologie fantaisiste qui figure dans un fragment des Commentarii grammatici de Nigidius Figulus, retenu par Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIII.x.4.

[26A. Ribaute, connu sous le nom de M. Carla, récemment décédé : voir Lettre 213, n.14.

[27Dès 1682, un des pasteurs de Castres, Samson Gomès (parfois Gommès) fut incarcéré sur plainte du syndic du diocèse de Castres ; l’exercice réformé connut cependant un certain sursis, puisque l’arrêt de démolition du temple ne fut pris que le 6 décembre 1684 (mais il fut aussitôt suivi d’effet) : voir C. Rabaud, Histoire du protestantisme dans l’Albigeois et dans le Lauragais depuis l’origine jusqu’à la Révocation (Paris 1873), p.401 et 421.

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