Lettre 251 : Pierre Bayle à Jean Rou

Je vous dois une réparation dans les formes, mon cher Monsieur, puisque j’ai été à La Haye, sans avoir l’honneur de vous voir. C’est assurément une faute très-criminelle ; mais je ne laisse pas d’esperer que vous ne m’en ferez pas un crime, quand vous saurez que le sujet de mon voiage étoit uniquement une affaire, qui occupa tout le tems que je pus demeurer à La Haye.

Je priai Mr de Beaumont [2] de vous faire un million d’excuses de ma part. Nous parlâmes de L’Esprit de Mr Arnaud, et il me dit, que vous aviez fort bien jugé que je n’en étois pas l’auteur [3]. Je ne crois pas qu’il soit fort nécessaire de désabuser le monde ; car si quelqu’un me le pouvoit imputer pendant quelques pages, il connoîtroit peu après, à mille marques, qu’il vient de meilleure main. Il y a bien de la délicatesse et du savoir dans cette piéce, et cent choses de quoi s’applaudir, mais plus il y en a, plus faut-il être soigneux de ne pas dérober la gloire qui en doit revenir à l’auteur. Ainsi mon cher Monsieur, si vous trouviez des gens qui crussent que ce fût moi, désabusez-les, je vous en conjure. Quand vous en viendriez aux sermens, vous ne risqueriez rien. Je vous envoiai, il y a environ deux mois, une copie des vers satyriques contre Mr Colbert, qui sont dans l’ouvrage [4]. Je ne sai si Mr de Beaumont les reçut. Je suis, etc

P. S. On imprime ici une réponse à Mr Brueys [5], dont l’auteur m’a prié de vous donner un exemplaire. Je le ferai en son tems.