Lettre 285 : Jean Le Clerc à Pierre Bayle
Il y a troix ou quatre jours que je me donnay l’honneur de vous écrire, Monsieur, par Mr Desbordes, qui vous aura sans doute rendu le paquet dont je l’avois chargé [1]. Je vous ay marqué, comme vous voyez, avec une grande franchise ce que j’ay oui dire de vos Nouvelles, parce que je me persuade qu’on ne sauroit mieux témoignier l’estime que l’on fait d’une personne qu’en supposant qu’il est parfaitement honnête homme, c’est à dire selon moy, qu’il ne trouve pas mauvais qu’on luy dise librement ce que l’on ne goûte pas dans ses ouvrages. La plus part des gens sont incapables d’entendre dire la verité de leurs productions, et il ne leur en faut point parler à moins qu’on n’ait que des loüanges à leur donner : et cependant lors qu’ils lisent les ouvrages des autres, il[s] ne veulent point faire de quartier[,] ce sont des censeurs impitoyables qui ne pardonnent pas la moindre faute. Mais on connoit un veritablement honête homme lors qu’il pardonne sans peine les fautes des autres, et qu’il écoute avec plaisir ceux qui veulent luy faire remarquer les siennes, encore qu’ils se trompent. C’est ce qui à [ sic] fait que je n’ay pas fait de difficulté de vous mander simplement, jusques au[x] termes mêmes dont on s’est servi, ce que j’ay ouï dire de vôtre ouvrage. Du reste c’est à vous de juger si l’on a raison ou non, et si l’on critique mal à propos vos Nouvelles, il est aisé de laisser parler les censeurs. Ce qui sera de bon sens plaira toûjours aux gens de bon goût, quoi qu’en puissent dire les critiques et nous sommes dans un siecle assez éclairé pour esperer que le degoût de ces Messieurs ne servira pas de regle à la pluspart des lecteurs.
J’ay receu depuis deux jours un
Je vis hier chez Boom un livre de 1684 d’un ministre de La Haye intitulé Otia theologica [4]. En parcourant les titres des chapitres il me parût que c’etoit un livre de critique, où l’ auteur explique divers passages de l’Ecriture Sainte. Je ne say s’il s’en acquite bien ou mal, et je ne me sens pas tenté de le lire. Peut être que vous l’aurez deja vû, et en tout cas il est aisé de l’avoir.
Celuy qui vous rendra cette lettre est Monsieur Wetstein marchand libraire d’Amsterdam [5] dont le nom ne vous est pas inconnu. C’est un fort honête homme et qui entend aussi bien son mêtier qu’aucun libraire de Hollande. J’ay crû que je devois profiter de cette occasion pour vous témoigner que je n’ay pas oubliée [ sic] la commission dont vous m’avez chargé ; et pour vous dire encore une fois, que je ne manqueray pas de vous avertir de tout ce qui viendra à ma connoissance. Je [suis], Monsieur, vôtre tres humble et tres obeissant serviteur
Notes :
[2] Alexandre Vigne, Entretiens de Philalethe et de Philerene : où sont examinées les Propositions contenuës dans la Déclaration du Clergé du mois de Mars 1682 et dans la Thèse du Pere Buhi, Carmelite, soûtenuë au mois de Novembre 1681 et où sont proposez les moyens justes, et efficaces pour ramener dans le sein de l’Eglise catholique ceux qui en sont séparez (Cologne 1684, 12°) : voir NRL mai 1684, art. V. Le Clerc écrit bien « Bahi », mais le véritable nom du carmélite, comme indiqué par le titre de l’ouvrage d’ Alexandre Vigne, est Buhi.
[3] Alexandre Vigne, dont on ignore les dates de naissance et de mort, avait été professeur de philosophie au collège protestant de Die de 1664 à 1666, puis pasteur de Grenoble. En 1685, il abjura le protestantisme et se retira chez les oratoriens. : voir le commentaire du Mercure galant, janvier 1685, p.52.
[4] Les Otia theologica, sive Exercitationum subcisivarum varii argumenti, libri quatuor de Guillaume Saldenus, publiés à Amsterdam chez Henri et la veuve de Théodore Boom en 1684, 4° : voir NRL juin 1684, art. VI.
[5] Il s’agit ici de Henrik (né Johann-Heinrich) Wetstein (1649-1726), membre de la célèbre famille d’éditeurs d’Amsterdam ; il fut actif entre 1676 et 1727. Voir J.A. Gruys et C. de Wolf, Thesaurus 1473-1800 (Nieuwkoop 1989), p.196, et R.G. Maber (éd.), Publishing in the Republic of Letters. The Ménage-Grævius-Wetstein Correspondence.