Lettre 328 : Frédéric Spanheim à Pierre Bayle

A Leyde le 5 de sept[embre] 1684.

Monsieur,

Je vous suis tres-obligé, et du present dont vous venez de me gratifier, et de l’occasion quï me l’a procuré [1]. C’est l’estime que vous faites d’une pièce [2], qui n’a eu pour but que de me justifier contre des accusations atroces, et de lever des scrupules qui partagent les theologiens et les Eglises en matière du gouvernem[en]t de l’Eglise. Je n’ay ni attendu ni mérité les éloges, que les loix, que vous venez de vous prescrire tres-sagement, vous ont défendu de me donner. Seulement, Monsieur, aurois je souhaitté que vous eussiez eu la bonté de me distinguer comme l’accusé, sur une dédicace innocente, qui n’offensoit personne, adressée à Monsieur l’ évêque de Londres [3]. C’est ce que les étrangers auront de la peine à deviner, en lisant ce que vous dites au commencem[en]t de la p. 42 et sur la fin de la p. 52. Vous dites tres-bien, qu’il y a un non plus ultrà. J’en demeureray là, quoy que le s[ieu]r Vande Wayen, ou ses suppots, puissent libeller. Car je suis persuadé qu’ils ne peuvent repondre qu’en dissimulant ce que je dis, ou en le tournant dans un sens malin, et d’une fasson mal honneste. Le dit sieur ne s’étoit fait / connoitre jusques icy que par des ecrits éristiques et flamands, excepté ce qu’il a écrit contre le cartesianisme, et contre M. Wolzogen, dont il s’est dédi[t] [4].

Je vous suis encore tres-redevable, Monsieur, de ce que vous avez jugé quelques uns de mes écrits dignes d’estre nommez dans vostre article[ :] l’ Introd[uction] à la géographie n’est qu’un échantillon, pour l’usage de notre académie [5] ; l’ Histoire de l’Eglise n’est que le 1. tome, et dans la suite je continueray dans mes strictures contre Baronius, et ses continuateurs, autant que l’espace le permettra [6] ; mes Vindicia Biblica, et mes dissertations historiques De Apostolatu, Canone Nicano, Ærâ Paulinâ, et Temerè creditâ Petri in Urbem Romam profectione, comme aussi De Impositione Manuum, Baptismo propter Mortuos, etc [7]. n’ont peut-estre pas eu le bonheur de tomber entre vos mains. Aussi doit-on le craindre, plutost que le souhaitter. Vous estes un terrible lecteur. Vous découvrez par tout le foible. Mais aussi vous le cachez en charité. Continuez à instruire le public de tout ce qu’il y a / de beau et de curieux dans la Republique des Lettres, mais sur tout à aimer celuy qui est avec une passion respectueuse,

Monsieur, votre tres-humble et tres-obéissant serviteur
F. Spanheim. •

Notes :

[1Les NRL d’août 1684, dans lesquelles Bayle a recensé l’ouvrage de Spanheim (voir note suivante).

[3Sur Frédéric Spanheim (1632-1701), voir J.-G. de Chauffepié, Nouveau Dictionnaire historique et critique, iv.334-336. Le Specimen stricturarum ad libellum nuperum episcopi Condomiensis, cum praefationis supplemento. Accedit de præscriptionis jure adversus novos methodistas exercitatio academica (Lugduni Batavorum 1681), dont la dedicatio était ainsi formulée : « Per illustri ac reverendissimo in Christo Patri D. Henrico, permissione divinâ Episcopo Londinensi, serenissimo potentissimoque Carolo II, Magnæ Britanniæ, Franciæ, Hyberniæ etc. regi ». Au début de son article, Bayle avait gardé une prudente neutralité entre les deux antagonistes : « Les contestations qui s’élevent entre les gens doctes ont cela de bon qu’elles contribuënt beaucoup à l’éclaircissement de plusieurs dogmes sur lesquels on n’avoit que des idées confuses. C’est pour cela que l’on compare ces disputes avec le choc de deux cailloux, qui convertit en étincelle une matiere sombre et ensevelie sous un corps grossier. Il y a beaucoup d’apparence que les ouvrages que messieurs Spanheim et Vander-Wayen, célebres professeurs en théologie, l’un à Leyde, l’autre à Franeker, écrivent depuis quelque temps l’un contre l’autre, touchant le gouvernement ecclesiastique, produiront un semblable effet et nous apprendront le sentiment qu’on doit avoir sur une matiere qui semble n’avoir pas été jusques ici suffisamment éclaircie. » La conclusion observait la même réserve : « Voilà sans doute de grandes avances pour connoître le sentiment que l’on doit avoir sur la nature du gouvernement ecclesiastique ; mais comme la prudence veut que l’on garde toujours une oreille pour l’accusé, et qu’on écoute bien les deux parties avant de juger de leurs differens, on trouvera sans doute qu’il est à propos de ne rien prononcer en dernier ressort jusques à ce que l’on ait vû si M. Vander Wayen a de nouvelles choses à dire pour le soûtien de sa cause. On doit cette justice à tout le monde : on l’a dûë à M. Spanheim avant qu’il eût repliqué : on la doit présentement à son adversaire, sans que pour cela l’on puisse dire que la chose iroit à l’infini, car il y a un non plus ultra par tout : est modus in rebus. »

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