Lettre 369 : Marie Patoillat, veuve Saint-Glen à Pierre Bayle

[A Amsterdam le 19 décembre 1684]

• Il y a longtans Monsieur que je cherche l’occasion de vous entretenir. J’avois prié Mons r Wolfgang de me procurer cêt honneur, en • prenant le soin de m’avertir quand vous viendriés en cette ville. Mais comme il m’assure que vous faites rarement ce voïage, et que je ne puis pas aussi sans b[e]aucoup d[e] peine me dérober à mes embaras pour me rendre chés vous, je me vois encore privée du plaisir que je me promettois de vous expliquer les sentimens de feu monsieur de Ceinglen [1] où vous aviés beaucoup de part, car ce n’est pas l’ouvrage d’une lettre.

Celle ci a pour objet de vous faire part de la confidence qui m’a été faite par une personne de la premiére qualité qui est mal satisfaite de la France[.] Elle voudroit qu’un habile homme entreprît un petit livre de reflextions sur ce qui s’est passé depuis quelques années dans les cours de l’Europe, pour tomber adroitement sur l’ établissement* de la chambre de justice en France [2] qui est la pierre de touche en cette ocasion, et l’unique sujet de la dépence qu’on veut bien faire pour faire réussir ce dessein. On promet de bons mémoires à celui qui se chargera / de cet ouvrage. Mais on voudroit que ce livre fut écrit d’une maniere fine et dégagée, en sorte que le lecteur n’y pût • remarquer aucune passion ni aigreur, mais seulement de la force et du bon sens[.] Lors que l’on m’expliquoit toute[s] les qualités de • l’auteur qu’on demande, je me disois à moi-même qu’il nous faut chercher une plume semblable à celle de la Republique des lettres [3]. Mais où la trouver si vous n’avés la bonté de nous • aider à chercher ? Si vous en prenés la peine, et que vous aîés quelqu’un en main pour cela, obligés-moi de me le faire savoir et marqués s’il vous plaît de qu’elle [ sic] maniere il en faut user* pour les circonspections*, car pour la reconnoissance elle ne peut être que fort honnête puisque c’est une personne fort elevée qui s’en mêle, et qui me réitére souvent qu’on y trouveroit son avantage. Quand vous m’aurés dit ce que nous devons esperer, l’on s’expliquera plus clairement. Cependant je vous suplie de pardonner ma liberté et de croire que je suis avec autant de respect que d’estime Monsieur votre tres-humble servante.
M. P. veuve de Ceinglen

Amssterdam le 19 décembre 1684 •

Notes :

[1Sur Gabriel de Saint-Glen (Ceinglen), voir Lettre 326, n.3. Sa veuve, Marie Patoillat s’efforçait de continuer le périodique, intitulé Nouvelles solides et choisies, qu’il avait fondé.

[2Le correspondant de M me de Saint-Glen cherche vraisemblablement à dénoncer la suppression des chambres de l’Edit ou chambres mi-parties. Rappelons que, aux termes de l’édit de Nantes, les affaires où des réformés étaient impliqués devaient être jugées par des chambres mi-parties, composées pour moitié de magistrats protestants. Or, entre 1679 et 1681, des déclarations royales avaient supprimé cette juridiction spécifique et réuni les magistrats qui composaient ces chambres aux parlements dont elles dépendaient.

[3C’est-à-dire, évidemment, des NRL.

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