Lettre 377 : Charles Drelincourt à Pierre Bayle

A Léïde ce 18 e de l’an 1685

Je suis de ceus qui veulent connoitre avant que d’aimer et avant que d’estimer [1]. Ainsi, Monsieur, je vous déclare, à cœur ouvert, que tandis que votre mérite m’a été caché, je n’ay eu pour vous ni amour, ni estime ; sur-tout, parce que j’étois préocupé de votre passion contre Mr Du Rondel.

Mais, Monsieur, le caractére d’habille-homme et d’honnête-homme, qui reluit dans vos journaus, et où je vous vois si-bien-avec Mr Du Rondel, éface, tout-à-fait, de mon esprit les impressions que j’y avois, et m’oblige à vous ofrir mon cœur et mon estime.

Comme vous étes accablé d’affaires, je vous déclare, tout net, que ce billet n’est nullement pour m’en atirer un autre, de votre main. Je vous-en dispense donc absolument, car mon but n’est que de vous remercier d’avoir si bien analysé mon Histoire des Œufs [2].
Drelincourt. / 

Ce n’est-rien, que Charas ne m’ait pas nommé ; mais, c’est qu’il m’a fait répondre pour luy chez Mr Commelÿn à Amsterdam [3], où il m’a fallu payer 330 florins. J’avois mon recours à Charas, mais il nioit la dette. Par bon-heur, j’avois gardé l’une de ses lettres où il me supplioit de le cautionner, et en vertu de cette l[ettre] j’ay obtenu de la justice mes 330 fl[orins].

Voilà pourquoy je le traite d’ ingratus et de calistratus [4] p. 3. Son ingenium aromatarium [5] est, qu’il n’étoit qu’apot[hicaire] et que ces 330 fl[orins] étoient pour des drogues de la thériaque, dont il a publié un livre [6], que j’ay eu la péne aussi de luy corriger mot-à-mot, aussi-bien qu[e] de l’instruire pour son Traité des vipéres [7].

Notes :

[1Sur Charles Drelincourt, médecin, voir Lettres 11, n.39, et 361, n.1.

[2Bayle avait donné le compte rendu du De feminarum ovis dans les NRL, décembre 1684, art. XIII.

[3On comprend par la suite de la lettre que Johannes Commelin, l’un des collaborateurs du Hortus Malabaricus, avait fourni à Charas la thériaque nécessaire à ses expériences et à la composition de son ouvrage : voir Lettre 373, n.5.

[4Il y a eu plusieurs Callistratus ; Aristophane a publié ses premières comédies sous ce nom, et Drelincourt le prend au sens générique de « cabotin ».

[5« talent de parfumeur ».

[6Il s’agissait en fait d’une deuxième édition de l’ouvrage de Moyse Charas, Thériaque d’Andromachus, dispensée et achevée publiquement à Paris [...] avec les réformations et les observations de l’auteur tant sur l’élection et sur la préparation, que sur le dernier mélange de tous les ingrédiens de cette grande composition (Paris 1668, 12°), qui fut repris dans ses Opera tribus tomis distincta au tome iii : Tractatus de theriaca et tractatus de vipera (Geneva 1684, 4°) et qui connut une nouvelle édition (Paris 1685, 12°). Une longue notice intitulée « De la thériaque : de son origine et de son excellence » avait paru dans le JS du 28 février 1684.

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