Lettre 380 : Jean Bayle à Pierre Bayle

[Le Carla, le 30 janvier 1685]

Mon très-cher fils, Dieu m’aïant fait la grace de supporter l’affliction que m’a causé[e] la mort du pauvre Joseph [1], depuis laquelle j’ai été extrémement accablé, mes blancs cheveux aïant failli descendre avec douleur au sepulcre ; je ne saurois voir renouveller l’année qui sera ma soixante-seiziéme achevée au 3. de mars prochain sans vous donner des marques de ma tendresse paternelle en faisant des vœux pour votre prosperité, et pour la bénédiction de vos études.

Comme apparemment ma course ne peut pas s’étendre fort loin et qu’il me faut disposer à déloger bien-tôt de ce mien tabernacle, je souhaite d’emploïer le tems qui me restera à une bonne et sainte préparation pour aller à mon Dieu.

Pendant le peu qui me reste de vie, je souhaite d’apprendre de tems en tems, c’est-à-dire, une fois le mois de vos nouvelles s’il se peut. J’avois écrit ceci malgré la rigueur du froid lorsque votre lettre du 25. décembre m’a été renduë [2] : il paroît que nos esprits sont unis, lorsque nos corps sont si éloignés. Vous avez pensé à nous donner des nouvelles de votre état, lorsque nous songions à vous en donner du nôtre.

Je prendrois plaisir à lire les excellens ouvrages qui viennent de vos quartiers, mais ma vûë s’affoiblit de même que mes autres organes. Ce qui me console, est que si l’homme exterieur déchoit, l’interieur se renouvelle ; ce sont comme les bassins d’une balance, l’un s’abaisse et l’autre se hausse. Adieu, mon cher fils, le Seigneur soit avec vous, c’est le souhait ardent de votre bon et affectionné pere.

Ce mardi 30. janvier 1685. •

A Monsieur Bayle, professeur en philosophie et en histoire à Rotterdam

Notes :

[1Sur la mort de Joseph Bayle, voir Lettres 272 et 275.

[2Cette lettre de Pierre à son père, datée du 25 décembre 1684, est perdue.

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261017

Institut Cl. Logeon