Lettre 403 : Anonyme à Pierre Bayle

[mars-avril 1685]

 

[Manuscrit non retrouvé ; texte inconnu.] [1]
Appendice
 

« Réflexions sur une lettre qui a été publiée contre ces Nouvelles »

[Remarques sur l’auteur de cette lettre] Mais à propos du dernier livre de M. Nicolle, l’extrait que j’en ai donné dans les Nouvelles du mois de novembre [art. I] [2], m’a attiré un orage et une grêle d’injures, à quoi je ne me serois jamais attendu. J’avois tellement conservé à cet ouvrage tout ce qu’il a de plus fort, et j’avois fait de si bonne foi quelques aveus, qui lui attribuoient la victoire en certaines choses, que j’avois lieu d’esperer l’approbation de ce parti-là. Encore aujourd’hui je suis très-persuadé, que l’auteur même ne se plaint point de ma conduite ; il a trop de pénétration et de jugement pour la condamner ; et on seroit trop heureux, si à l’égard de bien des affaires, on ne dépendoit que du jugement des grands hommes. Mais il se trouve par tout de petits esprits, qui voulant juger de ce qui les passe, disent en l’air mille choses sans aucune raison, ni équité. C’est ce qui a produit la petite lettre pleine d’injures, qui donne lieu à cet article. Je la croi d’un Walon ami de Messieurs de Port-Royal [3], qui s’est fait de fête sans qu’on l’en priât, et qui comme un avanturier sans aveu, a souhaité de rompre une lance avec l’auteur des Nouvelles de la republique des lettres. Mais je le prie de croire, que selon toutes les apparences, notre procès sera bien-tôt terminé. Je ne trouve qu’une chose dans son écrit qui mérite qu’on y arrête le lecteur. Je m’en vais y satisfaire, laissant tout le reste comme absolument inutile.

Il me reproche de ne m’être point souvenu de la promesse que j’ai faite tant de fois, que je me tiendrois dans les bornes d’un historien, sans donner dans une partialité déraisonnable. Il prétend qu’en diverses occasions j’ai pris parti, et que j’ai même voulu réfuter le livre de M. Nicolle. Il est bon de faire sur cela quelques remarques, les plus courtes qu’il sera possible.

[ Comment M. Bayle se justifie de ses accusations.] I. Je dis donc en premier lieu que tout ce que j’ai promis dans mes préfaces [4] ou ailleurs, est naturellement subordonné à ces paroles du premier Avertissement, Bien entendu qu’on cherchera toujours ce qui sera pour le mieux [5] . Par ces paroles toutes mes autres promesses deviennent conditionnelles, et ne m’engagent à rien ; s’il se trouve que pour la satisfaction du public, il faut changer les manieres que j’avois crû d’abord préférables à toutes les autres. Cela étant, je puis changer de conduite, sans qu’on ait droit de m’accuser d’infidélité ou d’inconstance ; car que sait-on si je n’ai pas recû des avis qui m’apprennent, que la plus saine et la plus grande partie des lecteurs souhaitent que je parle des choses sur un autre pied* ? C’est ce qui m’est arrivé effectivement, car je n’eûs pas plûtôt déclaré que je me servirois rarement de réflexions, qu’un grand nombre de personnes me firent savoir, que par là je gâterois absolument mon ouvrage. Et je sai que de forts bons connoisseurs se sont plaints, quand mes Nouvelles ont été uniquement historiques. / 

II. Je dis en second lieu, que c’est se tromper visiblement, que de prétendre que je suis sorti des bornes d’un historien, lors que j’ai dit, que M. Nicolle a nagé en pleine mer en certains endroits ; qu’en d’autres il s’est trouvé comme entre des pointes de rochers, qui l’on fait précipiter son cours ; qu’en d’autres il s’est vû dans des défilez, ou choses semblables. Les historiens les plus simples et les plus bornez à la pure narration par la qualité particuliere de leurs ouvrages, les gazetiers en un mot, passent-ils les limites de leur profession, lors qu’il[s] nous disent qu’une telle armée, après avoir marché sur trois colomnes par de larges campagnes, a passé par des défilez, ou sur des pontons ?

III. Mais j’ai voulu réfuter le livre de M. Nicolle, au lieu d’apprendre simplement à mes lecteurs de quoi il traitoit ? La belle pensée ! Il faudroit que j’eusse été bien simple, si j’avois crû qu’un livre comme celui-là se réfutoit en quatre mots. J’avouë que les petites remarques que j’ai inserées dans mon extrait, peuvent servir à répondre à M. Nicolle, si on les pousse, et si on les fortifie autant qu’un homme d’esprit le peut faire. Je vois même par la préface du nouveau livre de M. Jurieu [6], qu’il veut attaquer l’ouvrage par un des endroits que j’ai marquez, car il nous apprend qu’il a dessein de montrer, qu’en se servant des principes de M. Nicolle, on va tout droit à l’athéïsme. C’est justement ce que j’ai dit, que la maxime de M. Descartes que cet auteur a trop consultée, seroit l’éponge de toutes les Religions. Mais je dis néanmoins en troisieme lieu, que mon but n’a pas été de réfuter ; j’ai voulu seulement jouïr du privilège, que la pluralité des avis m’a comme forcé de maintenir.

IV. Quoi qu’il en soit, dira-t-on, c’est mal profiter de l’avis que vous avez publié vous-même au commencement du second tome : c’est donner dans une partialité déraisonnable. Et moi je réponds en quatrieme lieu, qu’à proprement parler, ce n’est point être de parti. On ne quitte pas le caractere d’ecrivain désintéressé, toutes les fois qu’on prononce qu’une chose est bonne ou mauvaise ; on ne le quitte que lors qu’on garde toute son approbation pour l’un des partis, et toutes ses censures pour l’autre, quoi qu’ils fassent. Or c’est ce que je ne fais pas, puis que dans le même article où j’ai dit, qu’on pouvoit répondre ceci ou cela à certaines raisons de M. Nicolle, j’ai dit qu’il étoit mal-aisé de ne se point rendre à quelques autres de ses raisons. De plus n’ai-je pas dit [ NRL, décembre 1684, art. XII] hautement, qu’il manquoit quelque chose au livre de M. Pajon [7], savoir la réponse à une difficulté de M. Nicolle, que j’ai rapporté[e] tout du long ? Outre cela si j’ai dit dans un autre article [voyez le mois de novembre, art. XI], qu’on a soûtenu à M. Arnaud mille fois qu’il a calomnié les protestans, n’ai-je pas rapporté peu après [ ibid. à la fin de l’art.] le défi public qu’il a fait à tous les ministres, de lui montrer qu’il leur ait rien imputé, et de répondre à un seul chapitre du Renversement de la morale  ? [8] Enfin voit-on que je supprime les endroits qui choquent notre parti ? Tout cela montre que je tiens fort religieusement la parole que j’ai donnée, d’éviter toute partialité déraisonnable.

Voilà ce que j’avois à représenter au public, pour lui rendre raison de ma conduite. Il n’auroit pas été nécessaire de le faire, si tous les / lecteurs avoient l’esprit juste et pénétrant, ou si n’ayant pas ces qualitez ils avoient du moins, ou la patience de bien examiner les livres, avant que de condamner les auteurs, ou l’équité de ne point juger des choses qu’ils n’ont ni bien examinées, ni bien comprises. Mais cette patience et cette sagesse n’étant pas moins rares que la justesse et la pénétration, il faut qu’un homme se résolve, ou à se mettre au dessus du qu’en dira-t-on, ou à faire voir son innocence claire et nette. Il ne faut pas esperer qu’on prendra la peine de la démêler. Il la faut présenter toute démêlée, si on veut qu’elle soit connuë. [Voyez sur cet article ce qui est dit après l’article IX de ce mois.] [i]

Notes :

[1Bayle ne mentionne pas le titre exact de l’opuscule, mais il avance l’hypothèse qu’il est l’œuvre d’un « Wallon ami de Messieurs de Port-Royal ». Toutes nos recherches pour retrouver ce petit pamphlet, qui attaquait la recension du livre de Nicole, Les Prétendus Reformez convaincus de schisme ( NRL, novembre 1684, art. I) sont demeurées infructueuses.

[2Il s’agit de l’ouvrage de Pierre Nicole, Les Prétendus réformés convaincus de schisme, pour servir de réponse à un écrit intitulé « Considérations sur les lettres circulaires de l’Assemblée du Clergé de France de l’année 1682 » (Paris 1684, 12°), par lequel il répondait à l’ouvrage de Jean Claude (La Haye 1683, 12°) et dont Bayle avait donné le compte rendu dans les NRL, novembre 1684, art. I : voir Lettre 338, n.9.

[3Ayant pris le chemin de l’exil avec Arnauld en 1679, Nicole était revenu en France en 1682 ; après un séjour à Chartres, il revint à Paris en 1683, et c’est dans la capitale qu’il composa l’ouvrage des Prétendus Réformez convaincus de schisme. Arnauld, de son côté, était resté à Bruxelles, où il était entouré d’une petite communauté d’amis de Port-Royal : en particulier, les oratoriens Pasquier Quesnel et Jacques-Joseph Du Guet lui rendaient visite à cette époque, comme aussi Pontchâteau, hébergé par Jean Deslyons à l’abbaye de Hautefontaine, et Jacques- Hardouin Belier de Versainville, dit M. Des Essarts ; Ernest Ruth d’Ans était un fidèle soutien du théologien, en contact constant avec Jean-Baptiste van Neercassel. C’est peut-être dans ce petit cercle qu’il faut chercher l’identité du correspondant de Bayle. Voir E. Jacques, Les Années d’exil d’Antoine Arnauld (1679-1694) (Louvain 1976), ch.xxvii, p.344-353, et Dictionnaire de Port-Royal, s.v.

[4Outre la Préface placée en tête de la première livraison des NRL (mars 1684), Bayle a publié un « Avertissement » au début de celles d’août 1684, un « Avertissement » et un « Autre avis au lecteur » en janvier 1685, et un « Avertissement » en mars 1685.

[5« On doit donc considerer que nous nous devons à tout le monde, et qu’ainsi nous sommes obligez de parler des choses dont d’autres ont déjà parlé. Bien entendu qu’on cherchera toûjours ce qui sera pour le mieux », déclarait Bayle avant de conclure sa Préface de mars 1684.

[6Le dernier ouvrage de Jurieu porte le titre Préjugez légitimes contre le papisme (Amsterdam 1685, 4°, 2 vol.) ; Bayle donnait le compte rendu dans le même numéro des NRL, avril 1685, art. III.

[iNRL, avril 1685, art. IX : « On m’avoit conseillé de ne rien dire sur la lettre, qui fait le sujet du IV. article de ce mois ; mais je me sens bon gré de n’avoir pas suivi ce sentiment ; car un inconnu vient de m’écrire avec beaucoup de civilité, la même objection que j’ai examinée en cet endroit-là, ce qui me fait voir qu’elle a pû venir dans l’esprit à plusieurs personnes, et par consequent qu’il étoit bon que j’y répondisse. Je croi l’avoir fait d’une manière qui me dispense de faire imprimer la lettre même de cet inconnu, comme il semble le souhaiter. Il y a mêlé quelques réflexions de controverse, sur ce que j’ai remarqué en faisant l’extrait du livre de M. Nicolle ( NRL, novembre 1684, art.I), mais cela même me doit empêcher de faire ce qu’il demande, et je m’assûre qu’il en tombera d’accord, s’il y pense mûrement. »

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