Lettre 411 : Jean Le Clerc à Pierre Bayle
Il y a quelques jours, Monsieur, que je vous envoyai un exemplaire de quelques Entretiens françois imprimez depuis peu ici [1]. L’ auteur de la premiere partie est le même qui a composé le petit ouvrage De la prédestination, et je crois que vous le reconnoîtrez aisément au style [2]. Celuy qui a composé la premiere [ sic] partie, est un de ses amis de ma connoissance [3]. Vous y verrez la metaphysique traitée un peu fortement, mais il est difficile de ne se mettre pas un peu en colere contre des niaiseries qu’on veut faire passer pour des maximes fondamentales de l’Evangile. L’auteur est pourtant un homme de composition*, et qui distingue extrémement les personnes de leurs pensées. Je serois bien aise d’en savoir vôtre jugement, non seulement par la Republique des lettres [4], mais un peu plus en particulier que vous ne pouvez faire en cette occasion. Vous m’obligerez de m’en écrire un mot lors que vous aurez le loisir. M. Wetstein [5] m’a aussi remis un exemplaire d’un[e] Histoire de Pologne [6] pour vous envoyer, mais il ne faudra pas, s’il vous plait, mettre dans vos Nouvelles, lors que vous en ferez mention, la boutique où il se trouve, comme vous l’avez mis à la Bibliothèque des antitrinitaires [7]. Si l’auteur avoit eu un peu plus de netteté de style, le livre seroit assez curieux, mais la maniere obscure dont il écrit fera tort sans doute à l’ouvrage ; qu’on a crû neantmoins devoir donner au public, parce qu’il n’y a pas de meilleure histoire des antitrinitaires, ou plutôt parce qu’il n’y en a point. Vous verrez à la fin deux lettres assez curieuses et assez belles. Mais à propos de lettres, celles que vous avez donné[es] de nouveau au public [8] m’ont fait passer quelques heures bien agréablement. Peu de gens ont le talent d’écrire d’une maniere si nette et si aisée. Mais il n’est pas besoin que je vous dise une chose qu’on vous a sans doute dit bien des fois. Je suis, Monsieur, vôtre tres humble et tres obéissant serviteur.
Notes :
[1] Il s’agit des Entretiens sur diverses matières de théologie, où l’on examine les questions de la grâce immédiate, du franc arbitre, du péché originel, de l’incertitude, de la métaphysique et de la prédestination (Amsterdam 1685, 12°), dus à la collaboration de Jean Le Clerc avec Charles Le Cène.
[2] Charles Le Cène, auteur de l’ouvrage De l’estat de l’homme après le péché et de sa prédestination au salut, où l’on examine les sentimens communs et où l’on explique ce que l’Ecriture nous en a dit (Amsterdam 1684, 12°), dont Bayle a rendu compte dans les NRL, juillet 1684, cat. ix.
[4] Bayle donne un bref compte rendu dans les NRL, avril 1685, cat. xiv, se contentant de déclarer : « Son ami [ Le Clerc] lui ressemble [à Le Cène] fort, et pour l’esprit, et pour l’hétérodoxie » et d’évoquer les objections de Le Clerc au système de Malebranche. Bayle donnera un sentiment plus personnel sur l’ouvrage de Le Clerc dans sa lettre du 23 avril 1685 (Lettre 413).
[5] Sur Henri Wetstein, voir Lettre 285, n.5.
[6] Il s’agit de l’ouvrage du socinien Stanislas Lubienecki, Historia Reformationis polonicæ, in qua tum reformatorum tum antitrinitariorum origo et progressus in Polonia et finitimiis provinciis narrantur (Freistadii 1685, 8°), dont Bayle donne un bref compte rendu dans les NRL, mai 1685, cat. ix.
[7] Dans les NRL, juin 1684, art. VIII, Bayle avait donné un compte rendu de la « bibliothèque socinienne » de Christophe Christophore Sand (ou Sandius), Bibliotheca anti-trinitariorum, sive Catalogus scriptorum, et succincta narratio de vita eorum auctorum qui præterito et hoc sæculo, vulgo receptum dogma de tribus in unico Deo per omnia æqualibus personis, vel impugnarunt vel docuerunt solum Patrem N.-D.-J. Christi esse illum verum seu altissimum Deum. Accedunt alia quædam Scripta quæ simul junctæ Compendium historiæ Ecclesiasticæ unitatiorum, qui sociniani vulgo audiunt, exhibent (Freistadii 1684, 8°), en signalant que l’ouvrage « se trouve à Amsterdam chez Henri Wetstein ».
[8] Allusion aux Nouvelles lettres critiques de Bayle, parues début mars 1685 : sur celles-ci, voir Lettre 402, n.2.