Lettre 422 : Pierre Rainssant à Pierre Bayle

A Versailles le 29 may [1685]

J’ay fait voir à Monsieur le duc du Maine l’endroit de vos Nouvelles où il estoit si bien parlé de luy [1]. Il le montra ensuite à Madame de Montespan [2], et cela a esté jusqu’au Roi à qui elle dit qu’elle s’etonnoit qu’on deffendit à Paris le debit d’un tel livre. Mais Sa Majesté laisse agir ceux qui sont preposés pour ces sortes de choses. Depuis ce temps là Monsieur j’ay appris que M. Talon advocat general avoit esté si content de ce que vous avés publié de feu Monsieur le premier president que non seulement il vous en avoit envoyé une medaille [3], mais qu’il estoit resolu d’employer son authorité pour faire lever la deffense qui a esté publiée contre vos Nouvelles. J’espere le voir bientôt avec quelques uns de ses meilleurs amis, et je ne manquerai pas de l’exciter autant que je pourrai à vous rendre cette justice, et à faire plaisir à ce public qui est toujours fort amoureux de vos ouvrages. Si l’on pouvoit voir ici quelques essais de la morale de M lle Bourignon [4] il y a bien des gens dont la curiosité seroit satisfaite. Je crois que M. de Surmond / d’Amsterdam [5] vous fera part d’une lettre que je viens de lui ecrire, par laquelle je le prie de vous donner l’argent des livres que j’ay receus d’Hollande. Si c’est vous Monsieur qui avez pris le soin de me les envoyer j’en attens la suite de facon ou d’autre et suis Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur.

 
Rainssant

Notes :

[1NRL, février 1685, art. IX : compte rendu des Œuvres diverses d’un auteur de sept ans, ou Recueil des ouvrages de Monsieur le duc du Mayne, qu’il a fait pendant l’année 1677 et dans le commencement de 1678 (Paris [1685], 4°). C’est à la demande d’ Isaac de Benserade que Bayle donne le compte rendu de ce recueil : voir Lettres 352 et 353, n.3.

[2Françoise-Athénaïs de Rochechouart, marquise de Montespan (1640-1707), qui n’était plus la favorite du roi, celui-ci ayant épousé secrètement M me de Maintenon après la mort de la reine Marie-Thérèse d’Autriche en 1683. Bayle n’omet pas de préciser que les Œuvres diverses d’un auteur de sept ans sont dédiées à M me de Montespan par une Epître dédicatoire composée « selon toutes les apparences » par M me de Maintenon.

[3Dans les NRL, avril 1684, art. I, Bayle fait une référence élogieuse à Guillaume de Lamoignon dans l’article consacré aux Lettres choisies de Guy Patin : « Il regne dans toutes les Lettres de M. Patin un déchainement prodigieux contre l’antimoine, et il avoit dressé un fort gros registre de ceux qui en étoient morts, lequel il nommoit le Martyrologe de l’antimoine. Ses amis l’excusent de cela le mieux qu’ils peuvent ; mais je m’étonne qu’ils n’aient pas fait servir l’amitié dont l’illustre Premier Président de Lamoignon l’honoroit aux même usages que M. Des-Preaux, qui s’en est servi pour répondre à ceux qui le vouloient rendre suspect de libertinage. M. Patin n’a pas été exempt de ce soupçon. Ses amis en conviennent, mais ils prétendent qu’il n’y avoit en lui que haine pour la bigoterie, la superstition et la forfanterie, & qu’au reste il avoit l’ame droite, le cœur bien placé, passionné pour ses amis, affable et officieux envers tout le monde, et particulierement envers les etrangers et les sçavans. Les liaisons qu’il avoit avec M. de Lamoignon en disent plus que tout cela, et donnent encore une plus haute idée de sa probité. On verra avec plaisir les loüanges qu’il donne à cet illustre Président, si vanté par le P. Rapin, par M. Des-Preaux, par M. l’ abbé Fléchier et par tous les autres beaux esprits de France. » C’est certainement cette allusion flatteuse au premier président Guillaume de Lamoignon qui vaut à Bayle d’être récompensé par Denis Talon, car celui-ci est fils d’ Omer Talon, lui-même issu du mariage (en 1568) entre Omer Talon et Suzanne Choart de Buzenval ; celle-ci était la fille de Jacques Choart (1530-1614), principal membre de la troisième branche des Choart, avocat en Parlement très réputé, et de Suzanne Coignet. Or, Guillaume de Lamoignon avait épousé Madeleine Potier, fille de Nicolas III Potier, seigneur de Blancmesnil, et donc nièce de René et Augustin Potier, successivement évêques de Beauvais, comme aussi de leur sœur nommée, elle aussi, Madeleine Potier. Celle-ci avait épousé Théodore Choart de Buzenval, et le couple avait eu comme fils Nicolas Choart de Buzenval, qui devait succéder aux Potier comme évêque de Beauvais. On voit donc que les Talon et les Lamoignon étaient apparentés par leurs liens avec la grande famille des Choart. Sur tous ces noms, voir le Dictionnaire de Port-Royal, s.v. C’est sans doute en reconnaissance de la médaille envoyée par Denis Talon par l’intermédiaire de Rainssant que Bayle insère un nouvel éloge de Lamoignon dans les NRL de septembre 1685, à la fin de l’art. X, à propos des Jugements des savants sur les principaux ouvrages des auteurs d’ Adrien Baillet : Bayle y précise que cet auteur « est bibliothécaire de M. l’Avocat général de Lamoignon, héritier des vertus et des lumières du célebre premier Président de Lamoignon (c’est tout dire en peu de mots) ».

[4Allusion aux NRL, d’avril 1685, art. IX, constitué par un mémoire de Pierre Poiret sur Antoinette Bourignon : voir aussi Lettre 409.

[5Nous n’avons su identifier plus précisément M. de Surmond (ou Zuurmond ?), sans doute un marchand d’Amsterdam.

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