Lettre 437 : Denis Papin à Pierre Bayle

A Londres, ce 26 e juin 1685

 [1]
Monsieur,

La grace que vous m’avez faitte de faire temoigner à mon pere à Bloys que vous seriez bien aise de lier avec moy quelque correspondence sur les nouvelles de philosophie [2] m’a presque fait oublier ce que je suis et depuis que j’ay l’avantage de lire vos ouvrages je les ay considerez comm’un des temples les plus sacrez de l’immortalité, et où les places se doivent rechercher par de grands soings appuyez de beaucoup de merite : ainsi vous pouvez juger si je me suis d’abord agreablement flatté en me voyant offrir des places de cett’importance : mais il m’a fallu bien tost quitter de si douces pensees quand je suis venu à considerer combien je suis peu en estat de profiter de vos offres : je sens ma foiblesse dont vous vous serez sans doute aussi bien apperceu, et ainsi j’ay lieu de croire simplement qu’ayant veu mon bonheur en quelque decouverte qui n’estoit pas difficile vous avez voulu m’encourager dans l’esperance que qui a esté heureux une premiere fois le peut estre une seconde, et que le public en pourra profiter. Je vous diray deplus que depuis mon retour à Londres je suis à la Societé royale [3], c’est à ces Mrs. que je doibs tout ce que je produis : ainsi tout ce que je pourray faire si j’ay encor occasion de publier quelque chose ce sera Mr. de vous l’envoyer des premiers et vous prier de ne le mettr’au jour que comm’un extraict des Transactions philosophiques, et je ne sçays pas si cela vous pourra satisfaire : car l’honneur que vous m’avez fait meritoit sans doute que je ne veinsse pas à vous au second bond : cependant, dans l’esperance que vous excuserez mon engagement, je vous envoye une piece qui est soubs la presse pour les Transactions de ce mois [4] : je feray tous mes efforts pour produire quelque chose moins indigne de tenir place dans vos ouvrages, et si par hazard le public en retiroit quelque avantage il devroit vous en avoir une partie de l’obligation.

Je suis avec respec, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur.
D. Papin

• A Monsieur/ • / Monsieur Henry Des Bordes/ marchand libraire dans le Kalverstraat/ pres le Dam/ A Amsterdam/ pour Mr Bell

Notes :

[1L’adresse porte, curieusement : « pour Mr Bell » ; on lit sur la lettre, de la main de Bayle, « Lettre de Mr Papin du 25 juin 1685 », mais la lettre est datée, très lisiblement, par le signataire : « 26 e juin 1685 ». La lettre est datée en vieux style ; nous la mettons donc à sa place selon le calendrier nouveau style : le 6 juillet 1685.

[2Denis Papin (1647-1714), médecin, avait été initialement aide de laboratoire de Christian Huygens à Leyde, où il tenta de mettre au point une pompe à air ; il s’établit en 1680 à Londres, où il collabora avec Robert Boyle et devint membre de la Royal Society en 1682. Il fit un séjour à Venise comme directeur des expériences de l’Académie d’Ambrose Sarrotti, puis revint à Londres ; il devait occuper un poste de professeur à Marbourg de 1688 à 1707. Voir C. Cabanes, Denys Papin, inventeur et philosophe cosmopolite (Paris 1935), et C.-A. Klein, Denis Papin : illustre savant blaisois (Chambray 1987).
La famille était protestante. Son père, Denis Papin, receveur général, ancien de l’Eglise de Blois, avait donc contacté Bayle : sa lettre ne nous est pas parvenue. Son oncle, Nicolas était docteur de médecine également à Blois.
Isaac Papin (1657-1709), son cousin, fils d’ Isaac et de Madeleine Pajon, avait été pasteur et s’était réfugié aux Pays-Bas, où il publia différents ouvrages de controverse avant d’abjurer en 1690 et de retourner à Paris : à la date de la présente lettre, il avait accompagné d’une préface l’ouvrage de Martin Clifford, Treatise on human reason (Amsterdam 1682, 12°) : voir G. Tarantino, Martin Clifford, 1624-1677. Deismo et tolleranza nell’Inghilterra della restaurazione (Firenze 2000), et R. Zuber, « Isaac Papin lecteur de Spinoza », Bulletin de l’Association des Amis de Spinoza, 11 (1983), p.1-14. Bayle donnera une courte préface à l’ouvrage qu’ Isaac Papin fait paraître chez Leers sous le titre La Foy réduite à ses véritables principes et renfermée dans ses justes bornes (Rotterdam 1687, 12°) : OD, v.209-210.

[3Depuis son retour à Londres en 1684, après son séjour à Venise, Denis Papin était devenu « praticien » de la Royal Society.

[4Bayle avait publié dans les NRL, mai 1685, art. X, la « Description d’un siphon qui produit les mêmes effets que celui de Wirtemberg, inventé par le Docteur Papin, de la Société Royale », tirée des Philosophical Transactions, n° 167. Il s’agit ici de l’« Extrait des Transactions philosophiques, ou du Journal d’Angleterre du mois de juin dernier, contenant un écrit présenté dans une Assemblée de la Societé Roïale de Londres, par M. Papin, touchant une nouvelle maniere d’élever les eaux », que Bayle publiera dans les NRL, août 1685, art. VIII.

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