Lettre 440 : Adriaan Paets à Pierre Bayle

[A Londres, le 17 juillet 1685]

• Monsieur

Quoy que le séjour [d’]Angleterre [1] n’ai[t] rien pour moy de fort charmant il me plairoit pourtant bien davantage si je pouvois jouïr icy du bonheur de vostre compagnie[ ;] la conversation que j’ay dans cette ville a je ne scay quoy de triste et de languissant et elle ne me revient guere [mieux] que celle des Espagnols, qui n’a rien de fort aimable. J’ay veu Mons r Boyle [2] qui a la mine d’un homme de bien, et un air de modestie et de douceur. Monsieur Justel [3] est d’un temperament plus gay, ayant plus de feu et d’enjouement que Mons r Boyle, qui asseurement est l’homme du monde le plus moderé dans toutes ses passions. Je ne croy pas que Mons r Justel demandera la prolonga / tion du terme de son sejour en Angleterre où il ne trouvera pas son compte. On a fait grace au comte d’Arguil c’est à dire on luy a coupé la teste au lieu de l’avoir suffoqué par la corde, ce qui auroit esté un supplice plus ignominieux [4].

Il est arrivé aujourd’huy un courier avec des nouvelles asses certaines, que le duc de Monmouth a perdu bien du monde dans un combat qui se donna il y a peu de jours [5] : au commencement il eut de l’avantage. Mais sa cavalerie qui estoit commandée par Milord Gray • commencant à plier il fut obligé de se sauver à Bridgwater. Il est aux abois, et ne pourra jamais se remettre. Il a compté sur bien des choses qui luy ont manqué et il est miserable au delà de ce qu’on se peut imaginer, et le roy le plus puissant prince de l’Europe : s’estant agrandi / par la rebellion de ces deux malheureux. Monmouth pour sa personne a fort bien fait à la derniere bataille et a montré qu’il a du courage et de l’adresse. Mais non obstant tout cela il aura apparemment le mesme sort, et la mesme fin qu’a eu Arguil de finir en sic [erat in] fatis [6] et ainsi a t il plu à Dieu, à qui je vous recommande[.] Le courier va partir. Je suis Mons r vostre tres humble serviteur

A Westminster le 7/17 juillet 1685

 

• A Mons r/ Mons r Bail pro/ fesseur en philosophie/ A Rotterdam

Notes :

[1Adriaan Paets était en mission diplomatique à Londres pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, afin de calmer les tensions créées par l’attaque néerlandaise contre le port de Bantan dans l’île indonésienne de Java en 1683 : voir C.W. Roldanus, « Adriaan Paets. Een republikein uit de Nadagen », Tijdschrift voor Geschiedenis, 50 (1935), p.134-166. De ce voyage naîtra aussi la lettre de Paets à Bayle « sur les derniers troubles d’Angleterre, où il est parlé de la tolérance de ceux qui ne suivent point la religion dominante », imprimée chez Reinier Leers à Rotterdam en octobre 1686 : voir Lettre 466 et H. Bost et A. McKenna, L’Affaire Bayle. La bataille entre Pierre Bayle et Pierre Jurieu devant le consistoire de l’Eglise wallonne de Rotterdam (Saint-Etienne 2006), Introduction, p.26-30.

[2Robert Boyle, un « monument » de la vie scientifique en Angleterre ; sur lui, voir Lettre 308, n.2.

[3Henri Justel, le correspondant de Bayle ; arrivé en Angleterre en 1681, il avait obtenu la charge de bibliothécaire de Charles II et devait rester en Angleterre jusqu’à sa mort : voir Lettre 79, n.13.

[4Le comte d’Argyll fut décapité à Edimbourg le 30 juin 1685 : voir Lettre 435, n.3.

[5Il s’agit de la bataille de Sedgemoor le 6 juillet 1685 : voir Lettre 435, n.3.

[6« c’était écrit par le destin ».

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