Lettre 446 : à


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[La Haye, le 24 juillet 1685]

 [1]
Je réponds enfin à votre lettre que vous m’avez envoyée aux calendes de juin [2], que le Très Honorable Rumphius [3] réparera la perte du livre égaré et en apportera sans doute un exemplaire avec lui, parce que les autorités lui ont donné la permission de revenir et de s’occuper de ses affaires pendant quelques mois. Cet homme excellent m’a souvent envoyé dire que vos travaux font l’objet en Suède de la plus grande admiration ; et les hommes de la plus grande considération sont fortement impressionnés par l’élégance de la matière et de la langue ; et l’exemplaire que j’ai l’habitude d’envoyer tous les mois par l’intermédiaire du courrier public dans cette région de la terre vole continuellement de main en main. Lactance De Mortibus Persecutorum muni des notes de Columbus et des miennes a enfin vu le jour [4] ; je vous l’enverrai sous peu ainsi que la dissertation de Asylis de Johannes Bilbergius [5] et l’ Anticluverus de Georgius Stiernhielm au sujet de l’origine de la race des Goths, imprimé avec son Hyperborei [6], pour vous permettre de les connaître et d’en tirer des extraits. Vous recevrez la lettre du culte de l’âne chez les Juifs [7], que j’ai envoyée l’année dernière au Très Honorable Bleyswyckius [8], pour qu’elle soit insérée dans vos actes ; mais je vous prie instamment de ne pas mentionner que son auteur poursuit ses travaux au pays des Bataves ou en Confédération belge. En effet, je n’ai pas l’habitude de chercher le renom dans des bagatelles, et ce n’est pas mon intention de me quereller avec un homme exceptionnel. J’ai mis par écrit mes opinions et je suis bien préparé pour la discussion, tout en étant prêt à changer de sentiment du moment que je serai mieux instruit. Si vous possédez le Nummi antiqui populorum et urbium de Jean Hardouin [9], je vous prie de me l’envoyer dans quelques jours pour que je puisse l’utiliser ; je brûle en effet d’une très grande ardeur de feuilleter ce livre. Adieu, portez-vous bien.

A La Haye, 9 e avant les calendes d’août 1684.

Je vous prie de faire mes baisemains à Mr Jurrieu. /

[On] a célébré en allumant des flambeaux, en tirant des coups de canon, en envoyant dans les airs des flèches ardentes, comme on les appelle, et en buvant le vin qui était offert ; à tel point, qu’il faut qu’on rende sans délai la tranquillité au royaume, pour lequel beaucoup avaient non sans raison des craintes ; une tranquillité que j’espère que Dieu, donneur de toutes choses et source du bonheur apportera dans l’intérêt de son Eglise et des âmes pieuses. Le duc a attaqué le roi avec un écrit des plus virulents, et l’accuse de crimes si noirs que personne ne croira facilement qu’un homme, et surtout un roi, les aura commis [10]. Certainement je frissonne en le lisant : je vous en enverrais un exemplaire, mais de peur d’être accusé de publier des libelles diffamatoires j’espère que vous m’en dispenserez. Adieu, portez-vous bien.

 

A La Haye, 9e avant les Calendes d’Août.

 

Cette lettre étant terminée, des envoyés extraordinaires viennent faire savoir au roi qu’un soldat de sa garde a capturé le duc de Monmouth alors qu’il était caché sous des buissons dans un bois ; et le roi, ayant reçu cette nouvelle, a fait incarcérer les enfants du duc dans le château qu’on appelle Towr ou Tour. La mère, ne supportant pas de quitter ses chers enfants, a été emprisonnée également.

Adieu encore une fois.

Notes :

[1Kuiper date bien sa lettre de 1684, mais c’est certainement une erreur car il répond ici à la lettre de Bayle du 31 mai 1685.

[2Lettre 423 du 31 mai 1685.

[3Dans sa lettre du 31 mai (Lettre 423), Bayle déclarait n’avoir pas reçu un ouvrage envoyé par Kuiper : le Compendium artis medicæ de Schmitius, édité par Rumfius, Résident des Provinces-Unies en Suède.

[4Lactance, De mortibus persecutorum liber, cum notis Johannis Columbi (Aboæ 1684, 12°). Bayle lui consacre une notice dans les NRL d’août 1685, cat. ii.

[5Voir Dissertatio de asylis. moderante ... Johanne Bilberg ... publico examini oblata ab autore Gustavo Carlholm (Upsalie 1682, 8°) ; il s’agit apparemment d’une thèse soutenue par un certain Gustave Carlholm (ou Carlhielm) devant Johan Bilberg (1646-1717). Bilberg, qui avait fait des études à Uppsala, voyagea en Europe, où il fit la connaissance de grands érudits. Philosophe cartésien, professeur de mathématiques à Uppsala, puis professeur de théologie au Danemark, il finit sa carrière comme évêque de Strengnäs.

[6Georgii Stiernhielmi Anti-Cluverius, sive scriptum breve Joh. Cluverio oppositum, gentis Gothicae originem & antiquissimam Scandinavia sedem vindicans, ut et ejusdem de Hyperboreis dissertatio brevis : opuscula posthuma (Holmiæ 1685, 8°). Georg Stiernhielm (1598-1672), dit « le père de la poésie suédoise », fit ses études à Uppsala et dans des universités allemandes. Auteur du poème épique Hercules (1658) et possédant une érudition encyclopédique, il prétendait que le suédois avait été la langue d’origine de l’humanité. Bayle mentionne cet ouvrage dans les NRL d’août 1686, à la fin de l’art. III, comme une pièce de la « guerre » que se font les Allemands et les écrivains du Nord, mais il ne l’a toujours pas eu entre les mains.

[7« Si les juifs adoraient la tête d’un âne » : cette pièce fugitive en latin sera insérée par Bayle dans les NRL dès le numéro d’août 1685 (art. II).

[8Il s’agit sans doute de Hendrik van Bleyswijck (ou Bleiswijk), né à Delft en 1640, mort après 1700, qui fut nommé échevin de Delft en 1669 et plusieurs fois bourgmestre à partir de 1684. Conservateur de l’Académie de Leyde, il fut un célèbre historien des antiquités de son pays natal. Il fut un des protecteurs de Pierre Jurieu.

[9Bayle avait déjà mentionné cet ouvrage, dans les NRL de janvier 1685, cat. vi : « Nous avions un article tout prêt sur un livre du Père Hardouin qui traite des médailles, et qui déplaît fort à la nation mal endurante des antiquaires ; mais il n’a pu tenir dans la feuille. » Il avait ensuite publié son article deux mois plus tard, NRL, mars 1685, cat. iv, faisant état des plaintes d’ André Morell et de Jean-Foy Vaillant contre les plagiats du Père Hardouin, et, en juin, cat. iii, il avait fait état de la réponse du Père jésuite à ses accusateurs : voir Lettre 439, n.17.

[10Il s’agit de la déclaration publiée par le duc de Monmouth au moment de son débarquement sur le sol anglais : « Or donc nous déclarons solennellement par la présente et proclamons la guerre contre Jacques, duc d’York [ Monmouth refuse à Jacques II son titre de roi], comme meurtrier et assassin d’hommes innocents, comme traître envers la nation et tyran du peuple » : voir P. Earle, Monmouth’s Rebels (London 1977).

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