Lettre 461 : Chotard à Pierre Bayle

• [Bordeaux, le 23 août 1685]

Monsieur

Les complimens que Monsieur l’ab[b]é Le Pelletier a receu de ses amys sur sa traduction de Sixte cinq[uiem]e l’ont moins touché qu’un mot obligeant que vous en avez dit dans vos Nou[velles] de la rep[ublique] des lett[res] du moys d’avril 1684 [1]. Il a crû, Monsieur, que vous voudriez bien qu’il vous en témoignast sa reconnoissance en vous presentant un exemplaire de l’ Histoire de la guerre de Chypre [2] q[u’i]l vient de traduire et qu’il m’a adressé pour vous l’envoyer. Cette sorte d’hommage q[u’i]l vous rend avec justice, et avec plaisir se pourra continuer si vous luy en donnez la permission, il travaille presentem[en]t à l’ Histoire de la Chine [3] dont la traduction pourra estre preste pour • s’imprimer l’hyver prochain.

Je me serviray, s’il vous plaist de l’occasion pour vous f[air]e mes remerciemens en particulier / des belles et savantes reflexions que vous nous donnez sur tous les ouvrages qui parroissent et qui charment tout le monde curieux par la delicatesse et l’esprit que vous y employez[.] Je vous offre mes services en ce pays icy, ou je me ferois une tres grande gloire de vous marquer avec quelle veneration je suis Monsieur vostre tres humble et tres obeissant serviteur.

 
Chotard receveur general du convoy de Bordeaux [4]

A Bordeaux le XXIII e aoust 1685 •

Notes :

[1Gregorio Leti, La Vie du pape Sixte cinquième [traduit par Louis-Antoine Le Peletier] (Paris 1683, 12°, 2 vol.), ouvrage que Bayle avait mentionné, en effet, avec éloge, dans les NRL, avril 1684, art. IV, consacré au Teatro britannico de Leti : « L’auteur de ce livre s’est fait connoître il y a long-temps, par quantité de beaux ouvrages italiens, qui ont été traduits en diverses langues, entre autres […] par La Vita di Sisto V qu’on a imprimée depuis peu à Paris traduite en fort beau françois. » L’ abbé de La Roque avait également fait une mention élogieuse de cette traduction dans le JS du 27 août 1685. Bayle reviendra sur cet ouvrage dans les NRL, septembre 1685, cat. xi, à propos de l’ Histoire de la guerre de Chypre (sur laquelle, voir ci-dessous, n.2) : « Celui qui nous donne cette traduction, nous avoit déjà donné celle de La Vie de Sixte V par M. Leti. On vient de la réimprimer à Paris, corrigée et augmentée de Tables : mais il y a plusieurs personnes qui eussent mieux aimé qu’on y eût rejoint les endroits que l’on fut obligé d’en retrancher, pour obtenir la permission de la publier en France. » Cette remarque est reprise ensuite dans les NRL, octobre 1685, dans le cadre de l’art. VII, qui est consacré à un « Sup[p]lément aux Nouvelles du mois passé » : « Pour ce qui regarde La Vie de Sixte V, nous n’avons qu’un fort petit supplément, qui est que le public ne sera pas toûjours frustré des morceaux, qui en ont été retranchez dans la traduction françoise ; car M. Leti qui fait réimprimer actuellement cette Vie en françois et en italien, y a rajusté non seulement ce qui manque à l’édition de Paris, mais aussi des additions considérables, tirées des mémoires qu’un chanoine de Rome, fils du sous-secrétaire du cardinal de Montalte, neveu de Sixte, lui a fait avoir. Voilà tout notre supplément ; si nous avions à le grossir, ce seroit principalement pour dire, que M. Le Pelletier n’est point blâmable de n’avoir pas publié tout ce qu’il a trouvé dans l’original ; lorsqu’on veut être auteur dans un païs, il faut se conformer aux loix de la librairie qui y regnent. » Cet adoucissement illustre les efforts du journaliste pour ne rien écrire qui risquerait d’aggraver le sort de son frère, emprisonné à Bordeaux, où réside Chotard.

[2Antoine Maria Graziani (ou Gratiani), évêque d’Amelia, Histoire de la guerre de Chypre, traduite en françois par M. Le Pelletier, prieur de S. Gemme et de Poüencé (Paris 1685, 4°), ouvrage que Bayle mentionnera également dans les NRL, octobre 1685, art. VII (à la suite du passage cité ci-dessus, n.1) : « L’ Histoire de la guerre de Chypre qu’il [ Le Peletier] vient de traduire, fait déjà beaucoup de bruit dans ces Provinces, et ce n’est pas sans sujet, puisque la beauté de l’original se trouve dignement soûtenuë par celle de la version. Les deux choses qu’on cherche dans une histoire, paroissent ici avec pompe ; les évenemens y ont beaucoup de grandeur, et les intrigues du cabinet beaucoup de finesse ; mais on les débrouille avec une extrême capacité […] Voilà comment tout se fait enfin ; le Temps est un terrible maître pour découvrir toutes choses, et pour faire voir principalement d’un côté la sottise d’un million d’auteurs, qui louent sans garder aucune mesure ce qui dans le fond ne mérite que du blâme ; et de l’autre, l’inutilité des précautions que l’on prend pour tromper la postérité. » Un compte rendu avait paru également dans le JS du 6 août 1685.

[4Chotard, le correspondant de Bayle, est « receveur général du convoy de Bordeaux » : le convoi était un « droit levé à Bordeaux sur les vins et eaux-de-vie exportés par eau et venant de ce que, primitivement, les bourgeois et marchands de Bordeaux s’imposaient pour les frais d’une escorte destinée à garantir la sécurité de ces expéditions : le droit avait subsisté alors même qu’il était devenu sans objet. Il y avait aussi des bureaux de perception du convoi à Libourne, Bourg, Blaye, la Teste de Buch, Langon. Le convoi de Bordeaux avait bien des traits communs avec la comptablie. Il se prélevait, à l’entrée, sur les vins, les prunes, le miel et le sel : à la sortie, sur les mêmes denrées et en outre les châtaignes, les noix, la résine et la cire. » : voir M. Marion, Dictionnaire des institutions de la France, XVII e-XVIII e siècle (Paris 1923, 1999), s.v.

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