Lettre 480 : Pierre Rainssant à Pierre Bayle

[Versailles, le]15 nov[embre 1685]

 [1]
Le placet, qui a esté dressé par Mr vostre advocat de Paris [2] a esté presenté, et sera communiqué à Sa Maj[es]té apres quoy je sçauray ce qui en aura esté ordonné, et je vous en donneray advis sans differer. Cela pourra estre dans huit ou dix jours.

Je n’ay point receu v[ot]re journal d’octobre, dont vous faites mention dans v[ot]re derniere [3]. Il aura esté arresté quelque part. Prenez la peine de m’en renvoyer un autre, et de mettre vostre pacquet cacheté, avec suscription, dans une enveloppe addressante à Mr Roullié le jeune, directeur g[é]n[ér]al des Postes à Paris [4]. Quand un commis ne verra que ce nom, il le respectera ; mais lorsqu’il le voit joint à un autre pour lequel il a peu de consideration / la tentation le prend, et le pacquet court risque.

Je ne seray pas long temps sans faire une tentative pour obtenir la liberté de publier icy vos journaux. Nous aurons à faire à un seigneur, qui est homme de lettres, curieux et traittable ; et icy des amys qui le connoissent. J’agiray comme pour moy mesme ; soyez en persuadé. S’il vous tombe en main quelque[s] livres ou d’erudition delicate, ou de raillerie non communis saporis [5] ; obligez moy de m’en faire part ; et • souvenez vous s’il vous plaist, de m’envoyer à la fin de l’année un estat de ce que je vous doibs et me faire sçavoir à qui j’en donneray l’argent, ou à Paris, ou à Amsterdam. / Vos journaux plaisent et à la Cour et à la ville. On proposera de les faire voir icy par quelqu’un, qui • examinera s’ils ne contiennent rien qui soit ou contre l’Estat, ou contre la religion. C’est de quoy je vous donne advis ; et c’est l’unique moyen de faire cesser le pretexte qu’on a eu d’en deffendre le debit. Si vous apprenez des nouvelles du pauvre Mons r Claude [6], obligez moy de m’en faire part. C’est un ho[mm]e que j’honnore beaucoup. J’en dis de mesme de Mr Du Vivier, qui a esté à Roussy [7], et dont j’estime et le cœur, et l’esprit. Mandez* moy à v[ot]re loisir qui sont ces Mrs Le Clerc [8], qui ont tant d’esprit, quoy que bizarres dans leurs sentimens ; et ce Mr Abbadie [9], auteur de ce docte Traitté de la verité de v[ot]re religion ; mais cela à v[ot]re / loisir, ne in publica commoda peccem [10]. Du reste, disposez de moy, et soyez persuadé que je vous aime, et que je vous honnore autant que personne.

Notes :

[1Le millésime est déterminé par les allusions aux démarches destinées à solliciter la libération de Jacob Bayle.

[2Sur ce placet, envoyé à Ruvigny par Janiçon de la part de Bayle, voir Lettres 455, n.3, 464, n.2, et 467, n.1.

[3Cette lettre de Bayle à Rainssant est perdue.

[4Sur M. Rouillé, voir Lettre 464, n.5.

[5« d’une saveur peu commune ».

[6Jean Claude, qui avait été pasteur de Charenton jusqu’à la Révocation et dont Bayle pouvait avoir appris des nouvelles puisqu’il s’était réfugié à La Haye auprès de son fils, le pasteur Isaac Claude.

[7Abraham Couet du Vivier (vers 1646-1719), pasteur de l’Eglise de Sainte-Marie-aux-Mines, puis d’Amiens, desservait l’Église de Roucy en Picardie au moment de la Révocation. Il s’exila en Hollande et devint pasteur à La Haye en 1686 (il en est à nouveau question dans la Lettre 558). Voir H. Bots, « Les Pasteurs français au refuge des Provinces-Unies », loc. cit., p. 33.

[8Jean Le Clerc : le pluriel vient sans doute d’un souvenir confus de l’ouvrage des Entretiens sur diverses matières de théologie, publié par Le Clerc en collaboration avec Charles Le Cène et dont Bayle avait rendu compte dans les NRL, avril 1685, cat. xiv : voir aussi Lettre 411, n.1.

[9Jacques Abbadie : voir Lettre 164, n.35, et 238, n.16.

[10« de peur que je ne pèche contre l’intérêt public », voir Horace, Epîtres, II.1,3.

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