Lettre 503 : François de Catelan à Pierre Bayle

A Paris ce 24 e janvier [16]86

Quel moyen, Monsieur, de laisser passer cette occasion sans vous demander quelque part à l’honneur de vostre souvenir ; il faut qu’il vous en couste la peine de lire une lettre de plus ; l’ amy qui m’a prié de vous addresser celle cy [1] m’est garrant que cette petite distraction de vostre occupation ordinaire ne vous sera pas incommode.

Il a courru icy un bruit qui nous a fort affligez luy et moy ; on disoit dans tous les cabinets des sçavants que vous estiez extremem[en]t et dangereusem[en]t malade ; mais vos derniers journaux ont fait enfin cesser ce bruit, et reconnoitre qu’il estoit faux ; nous avons pris beaucoup de part à la joye qu’en ont eu[e] tous ceux qui vous estiment en ce / pais comme vous le meritez Monsieur, et qui sçavent vous rendre justice sur vos ouvrages.

Je n’oublie point que je vous dois depuis quelque tems un remercim[en]t dont je m’acquitte, pour la place que vous avez bien voulu donner dans vos Nouvelles au memoire que je vous ay envoyé touchant le calendrier de Mr Sauveur [2]. Mais en payant mes debtes j’en fais quelquefois de nouvelles : on m’a mis entre les mains depuis peu un re[cu]eil d’experiences tres exactes sur la depense des eaux à l’occasion du livre de feu Mr Mariotte qu’on vient d’imprimer sur le mesme sujet [3]. Ces experiences ont esté faites avec bien plus de précision et de commoditez que celles de cet auteur ; car c’est Mons[ei]gn[eu]r le duc qui les a fait faire à Chantilly, et feu Mr Colbert qui les a fait réiterer à Versailles sans y epargner la dépense. Mais / sa mort et le changem[en]t du ministere [4] les a interrompües de maniere qu’il n’en a plus esté parlé. Celuy qui y a travvaillé [ sic] n’a point eu depuis ce tems là le tems ny l’occasion d’en faire un memoire pour le donner au public[ ;] il s’est contenté d’en garder un recueil qu’il m’a communiqué pour en faire ce qu’il me plairoit. Comme il ne se fera jamais rien de mieux sur ce sujet puisque la depense n’y a pas esté espargnée non plus que le travvail ; j’ay dessein si vous l’agréez d’en composer un memoire, d’y ajouter ce qui est necessaire pour l’intelligence de cette matiere, et d’en tirer toutes les regles possibles pour l’usage ; cela le plus succintem[en]t [ sic] qu’il se pourra, et de vous l’envoyer. Si vostre imprimeur pouvoit imprimer des tables que je calculerois pour l’usage, et que je proportionnerois au volume de vostre journal, je vous les envoirois / aussy pour estre imprimées avec le reste à la fin de quelque mois [5]. Mais comme je ne dois rien faire sans vostre ordre, je vous prie de vouloir me mander vostre volonté là dessus.

Je suis Monsieur vostre tres humble et tres obeissant serviteur
l’abbé de Catelan

Mon addresse est ruë Villedo chez Madame la marquise de Noisy [6] à Paris[.]

Notes :

[1C’est certainement Malebranche, auteur d’une lettre à Bayle datée du 22 janvier (Lettre 502), qui a invité l’abbé de Catelan à écrire à Bayle et à envoyer les deux lettres ensemble. Sur l’abbé François de Catelan, voir Lettre 401, n.2.

[2Catelan se réfère au petit mémoire qu’il avait envoyé à Bayle et que celui-ci avait publié dans les NRL de juin 1685, art. VI (ce qui explique que l’abbé parle du remerciement qu’il doit « depuis quelque temps » au journaliste) : « Extrait d’une lettre écrite de Paris à l’auteur de ces Nouvelles, contenant l’explication d’une nouvelle maniere de calendrier, pour tant d’années qu’on voudra », qui commence ainsi : « Ce calendrier dont je vais vous expliquer l’usage est de l’invention de M. Sauveur, qui montre les mathématiques à M. le duc de Bourbon et qui les enseignoit ci-devant à M. le prince de Vermandois ». Joseph Sauveur (1653-1716), géomètre, physicien et mathématicien, plus connu par la suite par ses travaux d’acoustique, deviendra membre de l’Académie des sciences en 1696.

[3C’est Philippe de La Hire (1640-1719) qui avait publié chez Etienne Michallet l’ouvrage posthume d’ Edme Mariotte (1620 ?-1684), Traité du mouvement des eaux et des autres corps fluides, divisé en V parties (Paris 1686, 12°).

[4Les expériences avaient donc été conduites par Condé à Chantilly et par Jean-Baptiste Colbert à Versailles. Colbert mourut le 6 septembre 1683 ; son fils, Colbert de Seignelay, ne put obtenir tous les emplois de son père, et c’est Louvois qui occupa la place principale dans la redistribution des responsabilités.

[5Catelan ne semble pas avoir donné suite à ce projet, car Bayle ne mentionne pas ces travaux annoncés dans le compte rendu qu’il donne de l’ouvrage de Mariotte dans les NRL, août 1686, art. V (voir aussi les annonces de cet ouvrages aux mois de mai 1686, cat. iii, et d’octobre 1686, cat. v). Au début de l’« Extrait d’une lettre écrite de Paris [...] par M. L[’abbé] D[e] C[atelan], touchant un niveau d’une construction nouvelle [...] », NRL, juin 1686, art. V, ces expériences sont évoquées : « Les grands travaux entrepris par l’ordre du Roi pour la conduite des eaux à Versailles ont si bien contribué à la perfection de l’art de niveler et de l’instrument propre à son usage... », et l’auteur renvoie à un article du JS du 20 mai 1686 portant sur une autre sorte de niveau : voir Lettre 569.

[6L’abbé de Catelan logeait chez sa cousine, semble-t-il, car, en 1686, la marquise de Noisy est Antoinette de Catelan (vers 1644-1720), qui avait épousé en 1661 Louis de Maupeou (1631-1669), maréchal de camp. Ce dernier, après avoir été compromis dans l’affaire Fouquet (il était un cousin de Nicolas Fouquet), se distingua dans la campagne de Franche-Comté ; il devint gouverneur de Salins et ensuite, en 1667, lorsque la ville fut conquise par Louis XIV, d’Ath (à mi-chemin, entre Lille et Bruxelles, dans le Hainaut occidental). De son côté, Antoinette de Catelan descendait de Théophile Brachet de La Milletière (1588-1665), auteur de projets de réunion des catholiques et des réformés (voir Lettre 10, n.35). La branche de la famille issue du mariage de Louis de Maupeou et d’Antoinette de Catelan est appelée Maupeou-Sablonnières, d’après une seigneurie appartenant à la famille de Catelan et dont hérita Antoinette de Catelan. Leur fils aîné, René (1663-1734), marquis de Noisy, capitaine aux gardes françaises, épousa Marie Jeannin en 1691 ; leur fils fut René Théophile (1697-1746), marquis de Sablonnières. Il s’agit donc bien, dans la présente lettre, d’Antoinette de Catelan, mais le degré exact de sa parenté avec François de Catelan n’a pas pu être déterminé.

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