Lettre 532 : à

[Rotterdam, le 8 mars 1686]

Au très éminent Monsieur Théodore Jansson d’ Almeloveen

Si cela vous convient et que l’achèvement de l’ouvrage ne s’y oppose pas, il faut insérer dans ma lettre les corrections qui suivent. Puisqu’elle comprend deux parties, c’est-à-dire des recommandations ou des observations pour le livre [1] et de la matière supplémentaire, si la première partie n’a pas encore été mise sous presse, c’est à cette partie que doivent être rapportées ces indications.

Page 333. L’auteur dit que les Œuvres posthumes de Benoît de Spinoza publiées 1678 avaient été précédées d’une préface extrêmement faible d’un auteur inconnu. On m’a dit récemment que cette préface avait été composée d’abord en langue belge par un certain monsieur de la secte des mennonites nommé Jarig Jelles [2] qui, après avoir été commerçant à Amsterdam, a pris la retraite pour vivre des revenus qu’il s’était créés, homme d’ailleurs n’ayant pas beaucoup d’instruction. On croit que par la suite cette préface a été traduite en latin, sous la forme où on la trouve dans le livre de Spinoza, par Ludovic Meyer [3], médecin d’Amsterdam, il y a quelques années un exemple pour les vivants, auteur, dit-on d’une dissertation paradoxale intitulée La Philosophie interprète de la Sainte Écriture [4], qui non sans raison a déplu aux théologiens en tant que sentant l’hérésie. Contre cette dissertation divers théologiens de cette fédération belge ont dégainé leur stylet [5].

Ce que je vous demande, mon cher Almeloveen, c’est de vous occuper des insertions dans la [première] partie de la Lettre, si cela est possible. Si en fait cette partie est déjà imprimée, l’insertion pourra se faire à la fin de mon supplément avec l’addition de ces petits mots : « J’aurais dû observer en plus sur la page 333 de Decker qu’il avait dit que les oeuvres posthumes etc. »

Adieu et aimez-moi.

Donnée le 8 mars 1686

Notes :

[1Bayle revient ici sur les informations données à Almeloveen dans les Lettres 527 et 529, destinées à une troisième édition de l’ouvrage de Deckherr, De scriptis adespotis-pseudepigraphis, et supposititiis conjecturæ : voir aussi Lettres 514 et 521. Bayle signale cette nouvelle édition du De scriptis adespotis dans les NRL, avril 1686, cat. i, et un très bref compte rendu en parut dans le JS du 10 juin 1686.

[2 Jarig Jelles  (1619/1620-1683) était, en effet, l’auteur de la Préface des Opera posthuma de Spinoza publiés à Amsterdam en 1677. Il était épicier à Amsterdam lorsqu’il vécut une crise spirituelle au début des années 1650. Il faisait partie du « cercle amstellodamois » de Spinoza et correspondait avec le philosophe. Avec ses amis Simon Joosten de Vries et Pieter Balling , Jelles appartenait à l’aile « libérale » ou rationaliste de l’Eglise mennonite et s’attacha dans sa Préface à démontrer que la philosophie de Spinoza ne contredisait pas le cœur de la doctrine chrétienne. Cette ambition l’amena à épouser des positions proches de celles du collégiant Johannes Bredenburg et de Louis Meyer (voir la note suivante), en particulier dans son identification de la « grâce » divine avec la raison ; ainsi, un amour authentique de Dieu ne peut naître que d’une connaissance rationnelle de sa nature. Voir DEDP, dir. W. van Bunge et al. (Bristol 2003), s.v. ; F. Akkerman et H.G. Hubbeling, « The Preface to Spinoza’s Posthumous Works (1677) and its author Jarig Jelles », Lias, 6 (1979), p.103-173 ; K.O. Meinsma, Spinoza et son cercle (Paris 1983) ; W. van Bunge, From Stevin to Spinoza. An Essay on Philosophy in the Seventeenth Century Dutch Republic (Leiden 2001), p.107-108.

[3Après des études à l’Ecole Illustre d’Amsterdam et à l’université de Leyde, Louis Meyer (1629-1681) obtint des diplômes en philosophie et en médecine et s’établit à Amsterdam comme médecin. Il y devint membre du cercle spinoziste, édita l’ouvrage de Spinoza Les Principes de la philosophie de Descartes (1663) et semble avoir dirigé l’édition des Opera posthuma de Spinoza (1677), pour laquelle il traduisit, en effet, la Préface hollandaise de Jarig Jelles. Voir DEDP, s.v. ; J. Lagrée, « Ad captum auditoris loqui ». Theology and Tolerance in Lodewijk Meyer and Spinoza (Delft 2001) ; C.L. Thijssen-Schoute, Lodewijk Meyer en diens verhouding tot Descartes en Spinoza (Leiden 1954) ; Th. Verbeek, « L’impossibilité de la théologie : Meyer et Spinoza », dans M. Benítez et al. (dir.), Materia actuosa. Mélanges en l’honneur d’Olivier Bloch (Paris 2000), p.274-298.

[4L’ouvrage de Louis Meyer, Philosophia S. Scripturæ interpres : exercitatio paradoxica, in quâ veram philosophiam infallibilem S. Literas interpretandi normam esse apodicticè demonstratur, et discrepantes ab hâc sententiæ expeduntur, ac refellentur (Eleutheropoli [Amsterdam] 1666, 4°) connut de nouvelles éditions en 1673 et 1674 dans un même volume avec le Tractatus theologico-politicus de Spinoza. Voir La Philosophie interprète de l’Ecriture Sainte, trad. et éd. J. Lagrée et P.-F. Moreau (Paris 1988 ; nouvelle éd. Paris 2009), et leur essai introductif « Louis Meyer et Spinoza ». Meyer propose de mettre fin aux disputes religieuses en fournissant un moyen clair et définitif de lire le texte où tous les arguments théologiques trouvent leur source : l’Écriture Sainte. Il disqualifie les différentes normes d’interprétation proposées par les diverses Églises chrétiennes, puis avance et défend sa propre thèse : seule la philosophie est capable d’éclairer les passages obscurs, de trancher entre les interprétations et, surtout de démontrer la validité de son propre travail exégétique. Voir aussi R. Bordoli, Ragione e scrittura tra Descartes e Spinoza. Saggio sulla « Philosophia S. Scripturæ Interpres » di Lodewijk Meyer e sulla sua recezione (Milano 1997).

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