Lettre 58 : Pierre Bayle à Jacob Bayle

[Lyon, le 4 juin 1674]
M[onsieur] et t[res] c[her] f[rere],

J’ecrivis il y a 2 ou 3 jours un petit billet à mon pere [1]. Mais douttant qu’il face bon voyage, j’en depeche un second. Le fait est que je m’en vai incessamment en Normandie [2] sous la favorable assistance du Ciel, et j’ay bien voulu vous en avertir, de peur que si le desir de m’ecrire vous fut enfin venu, vous n’adressassiez mal mes lettres. Je vous pourrai souvent donner de mes nouvelles, si la necessité ne me force pas d’errer vagabond ; donnés m’en des votres pro eo ac bonum videbitur [3] . Il faut observer un grand silence [4] et prier le bon Dieu qu’il tourne le tout à bien. Je salue les chefs de la famille, et comme je ne serai plus campagnard, je ne manquerai pas de me faire portraire selon le desir de l’un d’eux [5]. Dieu nous conserve tous en santé pour sa gloire et pour notre salut. Mr de Graveroles ministre de cette Eglize a fait un petit traitté en latin touchant l’accord des religions [6]. C’est un jeune homme qui est fort savant et qui preche d’une belle maniere. Le Roy est sur le point de prendre Dole, apres quoi la Franche Comté sera toute à luy [7]. Et des la reduction de cette ville, il ramenera à S. Germain la Reyne et M gr le Daufin pour aller luy en suitte dans la Flandres. Je salue tous ceux qu’il appartiendra*.

De Lyon, ce 4 juin 1674

 

A Monsieur / Monsieur Bayle fils f. / m. d. S. E. / Au Carla

Notes :

[1Cette lettre ne nous est pas parvenue.

[2Bayle quitta Coppet le 29 mai 1674 et il arriva à Rouen le 15 juin suivant. Il passa assurément par Paris.

[3« dans la mesure où cela [vous] semblera opportun ».

[4Bayle jugeait nécessaire une telle précaution, puisque, comme relaps, il était en principe sous le coup de poursuites judiciaires. Il ne fallait donc pas qu’un renseignement le concernant, tombant dans des oreilles hostiles par suite de bavardages inconsidérés, pût être répercuté auprès des autorités de la province où il allait résider.

[5Sur le portrait de Bayle que lui a demandé sa mère, Jeanne de Bruguière, voir Lettre 35, n.2, et Lettre 41, p.238-39.

[6Jean Graverol (1647-1718) était récemment devenu pasteur à Lyon. Il s’agissait d’un homme cultivé qui, cette même année, publia sous le pseudonyme – une anagramme – de Johannes Rolegravius, Tractatus de religionum conciliatoribus (Lauzannæ 1674, 12 o), dans lequel il réfutait la Réunion du christianisme (Saumur [1670], 12 o) de son collègue Isaac d’Huisseau, déposé à la suite du tollé général soulevé par son ouvrage.

[7Dôle tomba aux mains des Français le 6 juin 1674 : voir Gazette, extraordinaire n o 67 du 13 juin 1674. Le roi revint alors à Paris, où il fêta cette victoire, mais il n’en repartit pas comme le prévoyait Bayle, car il passa le reste de la campagne à Versailles. Ce n’est que le 11 mai 1675 qu’il partit pour la Flandre : voir Gazette, n o 49, nouvelle de Saint-Germain-en-Laye du 17 mai 1675, et n o 53, nouvelle du camp de Gevry du 22 mai 1675.

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