Lettre 585 : Charles Piozet à Pierre Bayle

A Londres le 30 e juin 1686

Monsieur

• Je ne say comm[en]t il s’est fait que je n’ay point repondu à la lettre obligeante que vous m’avez fait l’honne[u]r de m’êcrire [1]. J’en ay eu cent fois le dessein et cent fois j’ay êté empêché de l’executer par des embarras qui sont survenus lors qu’il faloit mettre la main à la plume. Ne croyez pourtant pas Monsieur que je sois insensible aux marques de votre estime. Je les ay receües avec beaucoup de joye et de reconnoissance. Je veux bien mesme / vous avoüer que ce n’a pas êté sans quelque mouvem[en]t de vanité d’avoir êté prevenu par l’illustre authe[u]r des Nouvelles de la republique des lettres qui a accoutumé* de l’être tous les jours par des personnes du premier ordre et du premier merite. Je ne l’aurois jamais crû qu’un Polonois m’eust procuré un si grand bien et encore moins que ce Polonois eust êté un jesuite [2]. S’ils faisoient souvent autant de bien au monde au lieu des maledictions qu’on leur donne de toutes parts je suis persuadé qu’ils recevroient des loüanges et des benedictions. Puis que cette occasion m’est si avantageuse vous voyez bien Monsieur que vous ne me deviez aucun remercim[en]t pour le Smiglecius que je vous ay envoyé. D’aill[eur]s c’etoit / un meuble assez inutile dans ma bibliotheque et j’ay sû bon gré à Mr de Larroque de l’en avoir debarrassée et de m’avoir en mesme temps presenté un moyen si aisé d’avoir votre connoissance et votre commerce*. Il y a long temps Monsieur que j’aspirois à cet honneur et j’ay été tenté vint fois en lisant vos admirables ecrits de vous importuner de quelqu’une de mes lettres. Cela pourra vous arriver lors que vous n’y penserez pas. Je vous prie de croire que je le feray avec toute sorte de discretion ; que je n’abuseray jamais de la grace que vous m’avés faite et que je sauray bien ménager un temps que vous employez si utilement pour tout le monde. Je seray ravi d’employer le mien pour votre service et pour celuy des personnes que vous me recommanderez. / Je l’ay fait le mieux qu’il m’a êté possible pour Mr Barbarin [3] qui est un fort honnête homme. Il a presentem[en]t quelq[ue] employ qui le fait subsister. Il s’en accommode en attendant mieux. Je feray tousjours pour luy ce que je dois au merite de sa personne et sur tout à celuy de votre recommanda[ti]on. Car je suis plus que je ne saurois vous l’exprimer Monsieur votre tres humble et tres obeissant servite[u]r
Piozet

A Monsieur/ Monsieur Bayle professe[u]r/ en histoire et en philosophie/ a Roterdam. •

Notes :

[1La présente lettre est le seul indice de l’échange entre Bayle et Piozet : la lettre de Bayle dont il est fait mention ici est perdue ; son objet est indiqué par la suite de la présente lettre (voir ci-dessous n.2). Malgré les indications de Haag il semble selon les recherches d’E. Labrousse qu’il s’agisse de Charles Piozet ancien ministre du Mans gendre de Jean-Baptiste Druet (1629-1683) professeur de philosophie à l’académie de Saumur. Sur sa carrière voir Lettre 546 n.6.

[2On comprend par la suite de la lettre qu’il s’agit ici du jésuite polonais Marcin Sïmiglecki auteur d’un ouvrage que Piozet avait prêté à Larroque et que Larroque avait prêté à Bayle : voir Lettre 546 n.5. On peut donc conclure que dans la lettre perdue que Bayle avait adressée à Piozet il remerciait celui-ci du prêt (ou du don) de ce livre. C’est sans doute dans cette même lettre que Bayle avait recommandé M. Barbarin auprès de Piozet (voir ci-dessous n.3).

[3Sur Barbarin qui avait été recommandé à Bayle par Amélie de Dohna-Friesen voir Lettre 547 n.2.

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