Lettre 6 : Jacob Bayle à Jean Bayle
Je viens d’être averti tout présentement par mons[ieu]r Olivery [1] que si j’avois dessein de vous écrire je le pourrois faire par son moyen, puisqu’il prétend de s’en aller dans vos quartiers*. Je veux bien vous apprendre de mes nouvelles par cette voye. Nous vivons avec beaucoup de satisfaction en ce lieu, mon frère [2] et moy, et, si nôtre état est toujours comme celui où nous sommes, vous aurés sujet de vous en réjouir. En mon particulier, il me seroit difficile de vous apprendre en quelle manière je suis établi dans la maison qui a témoigné tant de passion de m’avoir [3]. J’ay été receu à bras ouvers et j’auray apparemment toute la satisfaction que je pourrois attendre. Tout ce beau monde vous salüe et à ma mére aussi. Messieurs les pasteurs et professeurs font la même chose. Pour les exercices de notre Académie, ils sont fort bien reiglés et l’Académie elle-même est très florissante. Je pense que mon tour pour la proposition latine viendra dans quelques semaines ; j’y travaillerai aveq[ue] la bénédiction de Dieu. Mon frere est aimé chés Mr Malab[iou] [4] ; il a été satisfait de nous et, pourveu que vous fasiés vos eforts de procurer à mon frère la subsistance, tout luy réüssira fort bien. Il a surtout besoin d’un habit et le tems de le faire approchera bien tôt. Les belles rases [5] de couleur tanée sont fort en vogue. Si vous avés plus de commodité* chés vous d’en avoir, vous luy en procurerés, et cependant nous nous informerons de la quantité qu’il y en faudra. Quoy qu’il en soit, mon trés honoré père, il est trés important que vous pressiés vos débiteurs à vous satisfaire pour nous pouvoir fournir le nécessaire. Après vous avoir souhaitté le bon soir et à ma tres honorée mere, et à tout le reste de nôtre parenté, je finis en vous asseurant toujours que je suis,
Monsieur mon tres-honoré pere
Vôtre tres-humble et tres-obeissant serviteur et fils
psSi vous témoignés à Mr Olivier [6] que l’Eglise sera satisfaite de quelcune de ses propositions, peut être qu’il sera en état d’y en rendre une.
Notes :
[1] Les Olivier (ou Olivery) sont très nombreux parmi les réformés de la région à cette date. Il s’agit ici, très vraisemblablement, du proposant Samuel Olivier, né à Montauban en 1639, étudiant à Genève en 1660 (orienté alors vers l’étude du droit), puis à Puylaurens, où il argumente en 1666 sous la présidence de Verdier : voir Nicolas, Histoire de l’ancienne Académie de Montauban, p.414. Il allait être reçu au ministère en septembre 1667 et devenir alors pasteur à Sabarat, tout près du Carla. Il abjura à la Révocation et mourut à Montauban en 1694.
[2] Il s’agit de Pierre Bayle qui, le vendredi 12 février 1666, était parti pour Puylaurens (voir le
[5] La rase était une étoffe de laine croisée et unie, dont le poil ne paraissait pas.
[6] Sur Olivier, voir n.1 ci-dessus : il s’agit de la même personne, car on écrivait indifféremment les noms propres sous leur forme française ou occitane. A son passage au Carla, Samuel Olivier est disposé à « proposer » sous l’égide de Jean Bayle. L’usage était en effet qu’un proposant s’exerçât en toute occasion et profitât des conseils de ses aînés, la formation d’un futur pasteur n’étant pas exclusivement académique. Ainsi, à Paris, où il n’y avait pas d’enseignement réformé institutionnel, les proposants étaient nombreux autour des quatre pasteurs de Charenton.