Lettre 609 : Jean Chardin à Pierre Bayle

[Londres, le 2 août 1686]

Monsieur Quoy que je vous envoye ma relation [1] comme à un amy illustre à qui je dois le present d’un beau livre et d’autres faveurs plutost que comme au celebre autheur des Nouvelles de la republique des lettres dont le merite et le credit sont si repandus ; c’est pourtant pas entierem[ent] comme à cet autheur que je vous diray que si j’ay bien du regret en considerant le peu d’epoisseur de mon livre d’avoir tant fait attendre pour un livre si mince[ ;] je ne m’en fais pourtant aucun reproche car je say que je n’ay pas eu un jour entier libre depuis que je suis en Angleterre. La providence m’en fait avoir quelques uns en ce tems où je l’attendois le moins, et je suis deux ou trois jours la semaine en la roy[a]le maison de Greenwich à mettre en ordre les matereaux [ sic] des autres volumes qui seront / chacun une fois aussi gros que celuy-cy. Je me promets aussi de don[n]er le segond volume l’année prochaine et les autres de suitte le plus vite que je pouray. Si v[ou]s trouvez à propos Monsieur de parler de ma preface dans vos analyses accoutumées et d’y donner connoissance de ce que je v[ou]s écris[,] je croy que mon libraire vous en sera encore plus obligé que moy, qui v[ou]s sup[p]lie, que si v[ou]s avez quelque bon avis à me donner en particulier sur mon ouvrage[,] v[ou]s le fassiez avec toutte l’assurance qu’on peut prendre avec un honeste homme docile et tres defiant de son art[,] c’est Monsieur votre tres humb[le] et tres obeissant serviteur Chardin

A Londres le 2 e aoust 1686

Notes :

[1Jean Chardin (1643-1713), fils d’un bijoutier protestant, se rendit en Perse et en Inde en 1665 pour y faire le commerce des diamants. De retour en France en 1670, il publia Le Couronnement de Soleïmaan troisième, roy de Perse, et ce qui s’est passé de plus mémorable dans les deux premières années de son règne (Paris 1671, 8°). Puis il repartit pour la Perse en août 1671, passant à Smyrne, à Constantinople, en Crimée, dans le Caucase et en Géorgie. Il arriva à Ispahan en juin 1673, resta quatre ans en Perse et retourna en Inde avant de revenir en Europe en 1680. La persécution des protestants en France l’incita à s’exiler en 1681 à Londres, où Charles II le fit chevalier et le nomma bijoutier de la Cour. Il s’y maria et devint fellow de la Royal Society en 1682. Chardin se rendit ensuite en Hollande en tant que représentant de la Compagnie anglaise des Indes orientales et, à la date de la présente lettre, venait de publier le Journal du voyage du chevalier Chardin en Perse et aux Indes orientales, par la mer Noire et par la Colchide. Première partie, qui contient le voyage de Paris à Ispahan (Londres 1686, folio), ouvrage qui ne fut achevé qu’en 1711, sous le titre Voyages de M. le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient (Amsterdam 1711, 4°, 3 vol.). Bayle annonce l’ouvrage dans les NRL, juin 1686, art. X, in fine, et en donne le compte rendu au mois de septembre 1686, art. VII, et d’octobre 1686, art. II. L’ abbé de La Roque recense l’ouvrage dans le JS du 9 décembre 1686. Chardin traite Bayle d’« ami illustre » : il l’a peut-être rencontré à Rotterdam, mais aucune autre lettre n’a survécu de leur éventuelle correspondance. On sait que les Voyages de Chardin furent l’une des sources de Montesquieu pour la « couleur locale » dans les Lettres persanes : voir cependant le commentaire nuancé dans l’édition établie sous la direction de P. Stewart et C. Volpilhac-Auger (Oxford 2004), p.52-57.

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