Lettre 609 : Jean Chardin à Pierre Bayle
Monsieur Quoy que je vous envoye ma relation [1] comme à un amy illustre à qui je dois le present d’un beau livre et d’autres faveurs plutost que comme au celebre autheur des Nouvelles de la republique des lettres dont le merite et le credit sont si repandus ; c’est pourtant pas entierem[ent] comme à cet autheur que je vous diray que si j’ay bien du regret en considerant le peu d’epoisseur de mon livre d’avoir tant fait attendre pour un livre si mince[ ;] je ne m’en fais pourtant aucun reproche car je say que je n’ay pas eu un jour entier libre depuis que je suis en Angleterre. La providence m’en fait avoir quelques uns en ce tems où je l’attendois le moins, et je suis deux ou trois jours la semaine en la roy[a]le maison de Greenwich à mettre en ordre les matereaux [ sic] des autres volumes qui seront / chacun une fois aussi gros que celuy-cy. Je me promets aussi de don[n]er le segond volume l’année prochaine et les autres de suitte le plus vite que je pouray. Si v[ou]s trouvez à propos Monsieur de parler de ma preface dans vos analyses accoutumées et d’y donner connoissance de ce que je v[ou]s écris[,] je croy que mon libraire vous en sera encore plus obligé que moy, qui v[ou]s sup[p]lie, que si v[ou]s avez quelque bon avis à me donner en particulier sur mon ouvrage[,] v[ou]s le fassiez avec toutte l’assurance qu’on peut prendre avec un honeste homme docile et tres defiant de son art[,] c’est Monsieur votre tres humb[le] et tres obeissant serviteur
Notes :
[1] Jean Chardin (1643-1713), fils d’un bijoutier protestant, se rendit en Perse et en Inde en 1665 pour y faire le commerce des diamants. De retour en France en 1670, il publia Le Couronnement de Soleïmaan troisième, roy de Perse, et ce qui s’est passé de plus mémorable dans les deux premières années de son règne (Paris 1671, 8°). Puis il repartit pour la Perse en août 1671, passant à Smyrne, à Constantinople, en Crimée, dans le Caucase et en Géorgie. Il arriva à Ispahan en juin 1673, resta quatre ans en Perse et retourna en Inde avant de revenir en Europe en 1680. La persécution des protestants en France l’incita à s’exiler en 1681 à Londres, où Charles II le fit chevalier et le nomma bijoutier de la Cour. Il s’y maria et devint