Lettre 627 : Pierre Vieu à Pierre Bayle

De Berne [c]e 10 septembre 1686.

Monsieur Bien que j’aye eu l’hon[n]eur de vous connoitre à Puylaurens [1], et que pandant l’espace de dix années j’aye été le plus proche voisin, et le meilleur amy de feu Messieurs vôtre pere, et, vôtre frere de qui j’ay receu l’imposition des mains dans l’eglise des Bordes [2], toutefois sachant les grandes occupations et les importantes affaires que vous avés sur les bras, et n’ignorant pas d’ailleurs combien vous étes sollicité, et importuné par les gens de mon caractere je n’aurois pas pris la liberté de vous écrire si je n’y avois été necessité, et comme forcé par Monsieur de Courbaut vôtre parent [3] qui m’a prié diverses fois d’écrire à son fils sous le nom de Monsieur Delpradas, et de vous adresser ma lettre pour luy faire tenir dans l’endroit où il sera et comme c’est une personne pour qui j’ay une amitié et une consideration toute particuliere, j’ay creu que je ne devois pas negliger plus long temps sa satisfaction et que vous ne trouveriés pas mauvais que je me servisse de cete occasion pour vous asseurer de mes respects et de mes tres humbles services et pour vous prier en méme temps Monsieur qu’en cas il se faira quelque ouverture, ou qu’il se presentera quelque employ, et quelque condition avantageuse, vous ayés la bonté de vous souvenir de moy, et faciés tout vôtre possible pour me la procurer. Monsieur d’Arbussy [4] qui est le dernier de nôtre troupe qui nous a quittés, vous dira à peu pres à quoy je puis étre propre, et sera garent pour moy qu’il y / a peu de fatigues, et peu de dangers que je ne sois capable d’essuyer, et d’affronter. Il m’avoit promis de faire merveille pour moy, et de m’advertir incessamment de tout ce qui se passeroit à nôtre occasion dans vos heureuses contrées, mais il a fait comme les autres, je veux dire qu’il m’a jetté dans le fleuve d’oubli, patience, je ne saurois qu’y faire, je veux croire pourtant que si les choses dependoit de luy je serois déià placé ; car je say qu’il est chaud amy. Pardonnés moy (Monsieur) céte petite digression que je n’ay peu m’empecher de faire, et soyés persuadé s’il vous plait que de tous les hommes du monde il n’y en a point quy vous soit plus acquis que Monsieur votre tres humble, et tres obeissant serviteur Vieu ministre A Monsieur/ Monsieur • Bele professeur en/ philosophie, et en histoire/ à Rotredam •

Notes :

[1Bayle à fréquenté l’académie de Puylaurens entre le 12 février 1666 et le 9 septembre 1666 et de nouveau entre le 5 novembre 1668 et le 19 février 1669. Il partit ensuite pour le collège jésuite de Toulouse, où il arriva le 21 août 1670 : voir le Calendarium carlananum, au premier tome de notre édition de la correspondance, i.xxviii-xxix.

[2Après avoir été proposant à Puylaurens, Pierre Vieu devint donc pasteur de Bordes – village qui porte aujourd’hui le nom de Les Bordes-sur-Arize, situé à six km du Carla, à deux km de Sabarat et à trois km du Mas d’Azil. A la Révocation, il dut gagner la Suisse en compagnie de Théophile d’Arbussy : voir ci-dessous, n.4.

[3M. de Courbaut, dont on ne connaît pas le prénom, cousin de Bayle du côté maternel, était lieutenant à Campagne dans le comté de Foix en 1672 : voir C. Barrière-Flavy, Dénombrement du comté de Foix sous Louis XIV (1670-1674) (Toulouse 1889), p.20. Ses deux fils quittèrent la France à la Révocation et cherchèrent à prendre du service : ils passèrent à Rotterdam, où Bayle prêta de l’argent à l’aîné, qui partit pour l’Allemagne et, de là, pour la Morée, tandis que le cadet se décidait à revenir en France. Une note administrative du 28 avril 1689 sur Courbaut père signale qu’il est mauvais nouveau catholique (« lui ni sa famille ne font rien qui vaille ») : voir J. Lestrade, Les Huguenots dans le diocèse de Rieux (Paris 1904), p.119n. Une lettre de Bayle à Courbaut nous est parvenue : elle date du 20 mai 1688 (Lettre 711).

[4Sur Théophile d’Arbussy, ancien pasteur de Puylaurens, qui, au moment de la Révocation, s’était exilé à Berne, avant de gagner les Pays-Bas et de devenir pasteur français de Leurs Hautes Puissances les Etats de Hollande, à La Haye, voir Lettres 427, n.2, et 524, n.5.

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