Lettre 633 : François de Launay à Pierre Bayle

De Paris, ce XXIV septe[mbre] [M]DCLXXXVI [1]

Monsieur Sur la connoissance, que je puis avoir de l’honnete caractere de votre esprit, j’esperois bien, que si ce traicté de L’Institution du droit romain et du droit francois [2] tomboit entre vos mains, vous n’emploiriez pas dans l’examen de ce livre, tout ce que la severité d’une critique accompagnée de la polimathie, que vous possedez, vous pouvoit suggerer. Comme je dois prendre part en cette grande indulgence, je me sens aussi obligé Monsieur de vous en remercier. Car quand je considere que les Anciens • tout eclairez, qu’ils fussent, n’ont rien produit, qui n’ait reçû quelque atteinte ; que les legislateurs memes, à qui les Grecs et les Romains doivent l’etablissement de leur repos, et le reglement de leurs mœurs, n’ont pas echappé à la censure de leurs contemporains ; quand je considere, que les jugemens, que l’on donne aujourdhuy au public, vont au dela de l’instruction, que l’on en pouvoit attendre, je croiroy etre bien • / coupable, si je manquois à vous louer d’une moderation, qui m’est si favorable[.] Mais aussi Monsieur j’oseray vous dire, que je ne suis pas tout à fait indigne de cette indulgence ; car je n’ay point été le maitre de • l’édition de ce livre. J’avois fait un petit discours, ou je rens compte de mon travail, mais les libraires, à qui ce m[anu]sc[rit], qui a eté imprimé, appartient, n’ont pas souffert, qu’il fût • inseré dans le livre[.] De plus j’avois remarqué quelques autres endroits, qui regardent meme en quelque facon les libertez de notre Eglise gallicane, oú j’eusse aporté quelques modifications, mais je n’ay pas eu le tems de rien faire à mon aise[.] Ces libraires ont meme changé la premiere page des remarques qui sont imprimées à la fin du livre ; enfin c’est plus leur ouvrage que le mien. Et là dessus j’espere que la bonté que vous avez eue ne vous doit point donner de chagrin[.] Quelques uns de mes amis m’ont conseillé de faire • / imprimer ce petit discours, j’en ay fait tirer une douzaine de copies, pour les leur donner, sous le seau de la confession, permettez moy Monsieur d’user de ce mot, je vous en envoie une [3] vous suppliant aussi que ces libraires n’en sachent rien parce qu’aprés m’avoir traicté si deshonnestement, qu’ils ont fait il[s] seroient ravis d’avoir occasion de me faire encore quelque sorte d’insulte. Et quoy que • je ne les apprehende en aucune facon, la retenue que je vous prie d’avoir sur ce sujet, sera une seconde obligation que je vous auray, vous asseurant Monsieur que je suis veritablement Monsieur vostre tres humble et tres obeissant serviteur Delaunay Avocat en la cour de Parlem[en]t Professeur roial du droit francois Depuis • ma lettre ecritte j’ay vû dans un livre imprimé cette année à Paris que l’auteur du livre qui a pour titre L’Institution du droit r[omain] et du droit f[rancois] etoit le s[ieu]r Forest qui l’avoit • composé en latin [4][.] J’avois bien oui dire la meme chose, mais ce n’estoit qu’un soupcon, aujourdhuy que cela est moulé on le peut croire. Mais quoy qu’il en soit l’on a demandé à M. B [5]. par deux ou trois fois, s’il avouoit le livre, il a toujours repondu que non, et c’est sur sa reponse, et sur la foy d’une requeste presentée au Conseil, où l’on expose que l’auteur est mort il y a quinze ans, que je me suis laissé engager à ce travail. Aussi M. B. n’a ny du latin ny du francois ny minutte ny copie. •

Notes :

[1La lettre est datée du « xxiv sept[embre] MDCLXXXVII », avec une rature du dernier chiffre qui pourrait être une tache. Il semble plus vraisemblable qu’elle soit datée de 1686, cependant, car l’auteur remercie Bayle d’un compte rendu fort modéré de son ouvrage qui fut publié dans les NRL, juillet 1686, cat. x : il serait étrange qu’il ait attendu un an avant de remercier le journaliste. On lit au dos de la lettre, de la main de Bayle, qu’il a reçu la lettre en 1687, mais il est possible qu’il se trompe sur la foi de l’indication de la date mal corrigée en tête de lettre. Bien entendu, il est aussi possible que la lettre date bien de 1686 mais qu’elle ait mis plusieurs mois pour arriver à Rotterdam, si l’auteur l’a adressée par des voies indirectes afin d’éviter à Bayle des frais de port.

[2François de Launay (1612-1693), né à Angers, professeur de droit à Paris, avait publié une édition de l’ouvrage de Jean Boscager, L’Institution du droit romain et du droit français (Paris 1686, 4°), commentée par ses soins, dont Bayle avait donné un compte rendu très modéré dans les NRL, juillet 1686, cat. x, combattant l’opinion de ceux qui tenaient le commentaire pour inutile. François de Launay appartenait au réseau d’amis – avec Baudelot de Dairval, l’abbé Dubos, Pinsson des Riolles, Pierre Cureau de La Chambre, autres correspondants de Bayle – qui devaient collaborer à la première édition des Menagiana (Paris 1693, 12°) : voir F. Wild, « Nouveau public, nouveaux savoirs à la fin du XVII e siècle : les Nouvelles de la république des lettres et le Dictionnaire de Bayle », in La Transmission du savoir dans l’Europe des XVI e et XVII e siècles, dir. M. Roig Miranda (Paris 2000), p.501-514.

[3Cette copie du discours de François de Launay est perdue.

[4C’est une erreur curieuse de la part du commentateur, car il ne fait aucun doute que l’auteur véritable de l’ouvrage est Jean Boscager ; de plus, nous n’avons trouvé aucune trace d’une édition latine. Ce n’est que quelques années plus tard qu’un ouvrage latin de Boscager devait sortir des presses de Pierre de Launay à Paris : J. Boscagerius, De Justitia et jure... studio... M. Joan. Car. Le Saché (Parisiis 1689, 12°).

[5Jean Boscager, apparemment.

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