Lettre 639 : Pierre Rainssant à Pierre Bayle

En Cour, ce 4 octobre [16]86

J’ay receu, Monsieur, le dernier pacquet que vous m’avez envoyé avec les trois lettres imprimées [1], mais je n’ay pas receu l’envoy du commencement de ce mois, et il n’est pas venu jusqu’à Monsieur Roullié ; de sorte que n’ayant pas de vos nouvelles, j’ay prié Mr Dalencé de m’envoyer les livres que je m’attendois de recevoir de vostre part. Je l’ay prié en mesme temps de vous faire sçavoir s’il me les envoyoit, afin de ne les pas avoir deux fois, et de ne point estre à charge à Messieurs les directeurs des Postes. Je verray si je pouray estre plus heureux par le soin qu’il prendra de me faire tenir son pacquet. Cependant je vous prie, Monsieur, de continuer à m’envoyer v[otr]e journal de septembre, et ce que vous jugerez à propos. L’addresse de Monsieur de Barbesieux sera tres seure, et je luy en ay parlé. C’est ce que je vous ay proposé dans la lettre que Monsieur Chabert, consul de la nation françoise à Amsterdam [2], vous aura envoyée de ma part. / C’est une étrange* peine, que de faire venir des livres de pays étrangers. Mais il ne faut pas s’en rebuter, et si un pacquet se perd, un autre se retrouve. Le livre de Mr Le Clerc contre le prieur de Bolleville est digne de son auteur [3]. Quoy que je ne voulusse pas souscrire à la pluspart de ses opinions, je ne peux me deffendre de louer son esprit, et son erudition. C’est ce qui me donne envie de voir de quel stile sera son journal. J’en entens dire du bien ; mais il ne vous suit pas d’assez pres pour vous causer de la jalousie ; et c’est de quoy je me doutois auparavant mesme qu’on m’en eust asseuré. Vous pouvez m’envoyer les petits pacquets par l’addresse ordinaire, et les plus gros sous une enveloppe à M gr de Barbesieux, secretaire d’Estat à qui vous pouvez mander* que vous le faites, sur ce que je vous ay mandé qu’il le trouveroit bon. C’est un jeune seigneur, qui a l’esprit bien fait, qui s’est fort distingué dans ses classes, et qui a beaucoup de consideration pour les gens de lettres. Nous / n’avons icy rien de nouveau dans la Rep[ublique] des Lettres. Si vous voyez une traduction des Pseaumes en m[anu]s[crit] faite par Mr Ferrand, et dediée à Monsieur l’archevesque de Paris [4], vous verrez une detestable traduction. On la donne pourtant aux nouveaux convertis, al disperto

 [5] de celle de Port-Royal, c’est à dire qu’ invectis frugibus glandes præponuntur [6]. Je vous demande la continuation de v[otr]e amitié, Monsieur, et suis tres veritablement à vous. A Monsieur/ Monsieur Baile, professeur/ en philosophie et en histoire/ à Roterdam. De Louvois

Notes :

[1Il s’agit apparemment des « lettres » dont Rainssant signalait la réception dans sa lettre du 22 septembre 1686 (voir Lettre 632, n.1) ; la lettre suivante de Bayle, adressée à M. Roullié, directeur des Postes, est perdue. Rainssant avait demandé à Bayle de lui envoyer, outre son exemplaire des NRL, le journal de Le Clerc, BUH, qui paraissait depuis le mois de janvier, et proposait à Bayle de les envoyer par l’intermédiaire de Barbezieux, troisième fils de Louvois (voir Lettre 633, n.4). Joachim d’Alence, chargé par Louvois d’une mission diplomatique à La Haye, était bien placé pour servir d’intermédiaire entre Rainssant et Le Clerc : voir Lettre 518, n.1.

[2C’est apparemment la lettre du 22 septembre 1686 (Lettre 632) que Rainssant avait envoyée à Bayle par l’intermédiaire de Chabert, consul français à Amsterdam : voir Lettre 551, n.10.

[3Richard Simon, prieur de Bolleville, avait publié son Histoire critique du Vieux Testament en 1678 (Paris 1678, 4°) et une nouvelle édition à Rotterdam en 1685 ; Jean Le Clerc lui avait adressé ses Sentiments de quelques théologiens de Hollande sur l’« Histoire critique du Vieux Testament » (Amsterdam 1685, 8°) ; Simon devait répliquer par sa Réponse au livre intitule « Sentiments de quelques théologiens de Hollande » [...] (Amsterdam 1685, 4°). Voir Lettre 593, n.12.

[4Sur la traduction des Psaumes par Ferrand et Macé, rivale de la Paraphrase de Cocquelin, voir Lettres 636, n.2.

[5Littéralement : « au dépit », « au désavantage ».

[6« aux fruits importés ils préfèrent des glands ». Voir Cicéron, De oratore, 30 : inventis frugibus glande vescantur, « [quoi de plus contrariant,] s’étant procuré des fruits, [que] de se nourrir d’un gland ».

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