Lettre 655 : Pierre Bayle à Jacques de Losme de Montchesnay

[Rotterdam, le 31 octobre 1686]

• M[onsieur] Je vous rends mille et mille graces de tous les éloges que vous m’avez prodigués [1], et dont je suis tout-à-fait indigne, il seroit infiniment glorieux de les mériter, venant d’une personne qui a l’esprit aussi délicat que vous. J’ai été charmé de vos imitations de Martial, j’en avois vû quelqu’une dans le Mercure galant [2] sans sçavoir le nom de l’auteur, et dès-lors j’avois trouvé que l’on rendoit les lieux les plus malhonnêtes du poëte latin, d’une maniere qui étoit tournée délicatement, et qui faisoit sentir ce que c’est, sans choquer trop les oreilles chastes. Je m’estimerai très-heureux, Monsieur, de contribuer de mes soins à faire voir le jour à votre Martial [3], et si vous voulez que pour mettre en goût nos libraires, je fasse imprimer parmi quelques piéces curieuses que je sçais qui s’impriment, l’écrit que vous m’avez envoyé, je le ferai de bon cœur. Je suis assûré que l’échantillon qu’ils en verroient par ce moyen, les exciteroit à mériter la préférence. Je suis épouvanté, Monsieur, quand vous me dites que ce sont des productions d’une Muse de 15 ans, et souffrez que je vous aplique ce mot de Claudien.

Primordia tantaVix pauci meruere Senes

 [4]

.

Je suis avec beaucoup d’estime et de joye d’avoir l’honneur de ne vous être pas indifferent, Monsieur, etc. Bayle

A Roterdam le 31. d’Octobre 1686.

Notes :

[1Bayle répond à la lettre du 25 octobre du jeune auteur (Lettre 652).

[2Bayle a bonne mémoire : il pense sans doute à la traduction anonyme de Martial dans le Mercure galant, novembre 1682, p.100-101. L’auteur était alors âgé de seize ans.

[3Bayle devait faire publier la traduction de Martial dans Le Retour des pièces choisies, ou bigarrures curieuses (Emmeric 1687, 12°), et il la commenta dans les NRL, décembre 1686, art. IV : « quelques imitations de Martial, qui ne font rien perdre à la pensée du poète, quoiqu’on l’exprime beaucoup plus honnêtement que lui. C’est une muse naissante et fort enjouée qui a produit ces vers françois, et qui en a, dit-on, un grand nombre de semblables sur le même poëte ».

[4Claudien, Panegyricus Olybrio et Probino consulibus, 68-69, « Vous avez atteint du premier coup un niveau où à peine un petit nombre d’autres sont arrivés dans un âge avancé ».

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