Lettre 676 : Paul A. Pithoys à Pierre Bayle

[Tournai, le 26 décembre 1686]

• Comme on ne peut donner une meilleur forme à la proposition générale, que celle que M. Sauveur lui a donnée [1], je tâcherai seulement de rendre raison des trois articles qui la composent ; et afin de me faire mieux entendre, je m’explique par demande et réponses en cette sorte [2]. [Eclaircissement sur les nombres multiples.] I. Pourquoi faut-il partager les chif[f]res du mul / tiple donné en deux tranches, de telle maniere que l’on veut ? Réponse. Ce n’est que pour rendre ce multiple plus connu, car étant en deux tranches on le trouve divisé en deux autres multiples, qui sont si simples que tout le monde les peut connoître, puisque la tranche à gauche le sera toûjours de 10, ou de 100, ou de 1000, etc. Selon que l’on fera les tranches, et l’autre de l’unité. Exemple, si on prend 1512 pour le multiple de 7, et qu’on le partage en deux tranches 151, 2, il ne faut que jetter les yeux dessus pour voir que la premiere tranche 151 est multiple de 10, puis qu’elle est de 151 dixaines, et que l’autre l’est de l’unité, puis qu’elle est de 2 ; si on le partage en deux autres 15, 12, la premiere tranche est multiple de 100, puis qu’elle est de 15 centaines, et l’autre 12 l’est de l’unité. Que l’on varie chacun de ces partages tant que l’on voudra, comme en 150, 12, ou 129, 122, etc. on aura toûjours deux multiples connus, l’un de 10, ou de 100, ou de 1000, etc. et l’autre de l’unité. II. Pourquoi faut-il multiplier la premiere tranche par la difference du soumultiple à 10, ou à 100, etc. selon qu’elle est de dixaines, ou de centaines ? Réponse. C’est pour trouver combien il y a de trop, ou combien il manque à cette tranche, pour qu’elle contienne précisément le soumultiple, autant de fois qu’elle contient de dixaines, ou de centaines, etc. Exemple, la premiere tranche étant de 151 dixaines, est multiple de 10, ou du soumultiple de 7 plus 3. qui est la même chose, c’est-à-dire qu’elle contient 151 fois le soumultiple 7 plus 151 fois 3, qui est la difference de 7 à 10. Ainsi en multipliant 151 par cette difference 3, on a 453, pour le nombre qui se trouve dans 151 dixaines au dessus de 151 fois 7. Mais si le soumultiple est 12, la premiere tranche 151 dixaines le contiendra 151 fois, moins 151 fois 2, difference de 10 à 12, de maniere qu’en multipliant 151 par cette difference 2, on aura 302 pour le nombre qui manque à 151 dixaines, pour qu’elles contiennent précisément 151 fois 12. III. Pourquoi en ajoûtant à ce produit la derniere tranche, lors que le soumultiple est au dessus de 10, ou de 100, etc. et qu’en l’ôtant lors qu’il est au dessus, il vient ou 0, ou le soumultiple, ou le multiple positif ou négatif ? Réponse. Afin d’abreger cette derniere réponse, je reprens 1512 comme multiple de 7. Par la précédente le produit 453 est le nombre qui se trouve dans la premiere tranche 151 dixaines au dessus de 151 fois 7, et si on lui ajoûte la seconde tranche 2, on a 455 pour le nombre qui est dans 1512 au dessus de 151 fois 7, c’est-à-dire qu’en ôtant 151 fois 7 de 1512, le reste est 455. Mais parce que c’est un multiple que l’on ôte d’un autre multiple, donc le reste 455 est encore multiple. Si je reprens encore 1512 pour le multiple de 12, par la précédente le produit de la premiere tranche 151 par la difference de 10 à 12 qui est 302, est ce qui manque à 151 dixaines, pour qu’elles contiennent 151 fois 12, c’est-à-dire que c’est ce qui manque à la premiere tranche, pour qu’elle soit multiple de 12 ; or en ôtant la seconde tranche 2 du produit 302, on fait comme si on l’ôtoit pour la remettre avec 151 dixaines, afin d’avoir 1512, puisqu’en ajoûtant le reste 300 avec 1512, on a la même somme que si on ajoûtoit le produit 302 avec 151 dixaines. Mais cette somme est multiple de 12 aussi-bien que 1512 ; donc le reste 300 est aussi multiple, ce qu’il faloit prouver. D’où il s’ensuit que si la seconde tranche est égale au produit dont il la faut ôter, il viendra 0. Que si elle est moindre il viendra ou le soumultiple, ou un multiple positif, et enfin si elle est plus grande il viendra un multiple négatif. Je ne vous marque rien pour les multiples de 9, puisque l’on peut en trouver les propriétez et les demontrer, comme je viens de faire pour les autres nombres. J’ai ici un livre in 12° sous la presse que j’ai fait pour mes disciples, intitulé Elemens de géometrie, ou cours de mathematique divisé en deux parties, qui contiennent d’une maniere fort courte et fort aisée, ce que l’on doit savoir pour parvenir à leur connoissance [3]. J’espere que la premiere partie sera achevée d’imprimer à la fin du mois prochain ; on n’attendra point le tout pour la distribuer, d’autant qu’elle contient l’arithetique demontrée d’une maniere courte, instructive et nouvelle, où est ajoûtée la maniere de faire ses principales operations, sans connoître les chif[f]res, propre pour toute sorte de personnes.

Notes :

[1Cette lettre, publiée dans les NRL, janvier 1687, art. II, est une réponse à la « Démonstration touchant les nombres multiples » de Joseph Sauveur, publiée dans les NRL, octobre 1686, art. V. Sur cet article, voir Lettre 640, n.2, et 643, n.1 et 3.

[2Paul A. Pithoys (ou Pithois), professeur de mathématiques au collège royal de Tournai, catholique, était cousin de Claude Pithoys, le prédécesseur de Bayle dans la chaire de philosophie à Sedan. Par ailleurs, celui-ci, ancien minime, converti au protestantisme en 1632, eut un fils, Joseph, qui devint ministre à Leeuwarden en 1659 ; destitué dix ans plus tard, pour malversations, semble-t-il, il s’exila en Angleterre, où il obtint en avril 1673 que les autorités wallonnes le réadmettent à la participation aux sacrements ; en 1673, il était de nouveau ministre en activité, à Guernesey. Voir E. Henry, Notes biographiques sur les membres de l’académie protestante et les pasteurs de l’Eglise réformée de Sedan (Sedan 1896), p.57-58.

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